le Mercredi 18 septembre 2024
le Vendredi 17 novembre 2023 7:00 Éditorial

Ce que la poésie nous apprend sur la représentation

  PHOTO : Kelly Sikkema - Unsplash
PHOTO : Kelly Sikkema - Unsplash
Qu’est-ce qui est plus beau que la représentation ? Son étymologie, bien sûr, soit « l'action de replacer devant les yeux de quelqu'un ». Une miette intellectuelle et philosophique, n’est-ce pas ?
Ce que la poésie nous apprend sur la représentation
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La représentation culturelle peut avoir des effets incroyablement positifs sur les membres d’une communauté et mener à des créations artistiques hors pair, et ce dans une myriade de disciplines. À l’inverse, un manque de représentation peut laisser un vide, qui empêche les gens de se nourrir et de s’épanouir. 

« Je pense qu’il y a vraiment un besoin de se sentir représenté, à Par-en-Bas surtout. Y’a Sluice, y’a quelques bands, mais y’a pas vraiment du pop. Y’a personne, je crois. So, je m’ai décidé que j’allais essayer de faire du pop/hip hop/rap. » 

C’était un extrait d’une entrevue avec Robert d’Entremont, un artiste originaire de Pubnico. On voit sa volonté de donner une voix à sa communauté par l’entremise de ses chansons, écrites dans son parler, soit dit en partant. 

La musique, comme de la poésie, permet de relater en allant au-delà des mots et en sortant des schémas. Ça se fait souvent de manière franche et dans un registre de langue accessible et populaire. 

La poésie moderne, de son côté, est très marginale et peut être tout aussi punk que la musique, si ce n’est pas plus. On a qu’à jeter un coup d’œil sur la poésie de l’artiste chiac pluridisciplinaire, Xénia, pour comprendre son effet sur le lecteur. 

j’existe pas en pétales timides

j’existe entre les histoires qu’ej raconte

ça vaut la peine de se mettre en scène

en blindfoldant son jardin

en squirtant ses own arômes

pis en trustant que ses fleurs vont pousser à voix haute

En lisant ce poème, on pourrait penser beaucoup de choses : c’est beau, c’est avant-gardiste, c’est musical. On pourrait également se demander si on comprend pleinement le message et si l’œuvre est aussi efficace qu’un texte vulgarisé et rédigé en phrases complètes. 

La poésie m’a appris qu’il y a quelque chose de puissant dans le fait de s’exprimer sans ressentir le besoin d’être compris. Dans la vie de tous les jours, on passe son temps à se demander si le message est bien passé, si les bons mots ont été employés. Mais dans un poème, on priorise le ressenti et le message en allant droit au but. 

je te parlerai

anyway

dans la mélodie

de ces mots

avec l’intonation

qu’il faut

je te parlerai

près du corps

avec les mots

qui collent 

à la peau

et à l’histoire

L’auteur du poème, Gérald LeBlanc, pourrait bien s’asseoir avec nous pour expliquer en plus grands détails ce qu’il essaie de dire, pour que ça soit clair et net. Mais pour quelle raison ? Dans quel but ? 

Je trouve que les poètes sont certains des meilleurs portes-paroles de la langue et de la culture.  Pas parce que la poésie est supérieure aux autres disciplines, du tout, mais parce qu’ils n’ont souvent aucune limite à leur expression. 

On est tous poètes, sans le savoir. Nos vers sortent quand on lâche prise. Quand on abandonne l’idée d’être compris. Quand on se donne la permission de tout dire sans bien le dire. 

Et quand les mots sortent, on se démasque et on révèle notre histoire. 

Et le gars du nord

Va voir sa femme et

Il lui dit : 

J’ai pas de pays.

J’ai pas de pays. 

T’as pas de pays. 

On n’a pas de pays. 

Qu’est-ce qu’y a pour souper? 

Le steak es-tu cuit?

Y’a pas de steak. 

Juste des restants. 

J’ai pas de pays. 

Où sont les enfants? 

Ce qui est si beau à propos de cette œuvre de Patrice Desbiens, poète franco-ontarien originaire de Timmins, c’est que j’ai à peine compris le message, mais j’ai tout ressenti. Il se sent invisible, sans-patrie, sans ressources. Il veut son steak, mais les gens comme lui n’ont pas de steaks. Je ne l’aurais pas dit de même, mais à travers ces mots, je me sens représenté… et rassasié. 

L’ironie du sort, c’est qu’on ne peut pas avoir plus de représentation dans le monde sans incompréhension, car chaque personne est différente et possède une perspective différente. C’est à travers cette exploration de la différence qu’on obtient plus de représentation, et non par l’entremise du copier-coller de ce qui existe déjà. Il faut que les gens aient le courage de se perdre et qu’on ose se perdre avec eux, pour se retrouver à mi-chemin. 

Et toi, si tu voulais plus de représentation, quels seraient tes vers ? 

Jean-Philippe Giroux 

Rédacteur en chef