Ce faisant, le français est souvent perçu comme la langue des colons et la langue élitiste, voire une langue étrangère en Haïti.
En dépit de ce rapport dichotomique entre le créole et le français, Haïti est considérée comme un pays francophone, et ce, depuis la création de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). De plus, force est de constater qu’il y a un rapport étroit entre Haïti et cette organisation.
D’ailleurs, cinq Haïtien(ne)s ont été récemment nommé(e)s jeunes ambassadeurs(drices) de la francophonie des Amériques. Il s’agit de Judith Cénot, Laura Louis, Ritzamarum Zétrenne, Marc Sony Ricot et Weldy Saint-Fleur.
En effet, pour la réalisation de cet article, j’ai rencontré Laura Louis, Ritzamarum Zétrenne et Marc Sony Ricot, trois des jeunes ambassadeurs(drices). Comment conçoivent-ils/elles la coexistence du créole et du français sur le territoire haïtien? Comment, selon eux, la langue française ou la francophonie peuvent-elles aider Haïti notamment sur le plan diplomatique et économique? En tant qu’ambassadeurs(drices) de la francophonie, comment contribueront-ils au rehaussement de la francophonie dans les milieux haïtiens? Autant de questions ont nourri notre échange.
Ils ont un long parcours dans les milieux francophones. Laura Louis a remporté en 2019 le prix Jeune journaliste en Haïti, organisé par l’OIF, puis elle a été lauréate du prix Philippe Chaffanjon en France en 2021. Cette communicatrice a aussi collaboré avec l’OIF en tant qu’attachée de presse.
Laura Louis explique qu’elle contribuera au rehaussement de la francophonie dans son milieu en créant des initiatives francophones, d’une part, et en encourageant d’autres jeunes à chercher des avantages et profits que la langue française peut procurer, d’autre part. «À la cérémonie d’engagement, le dernier jour du Forum, je me suis engagée à toujours utiliser le français comme un outil inclusif», précise-t-elle.
En tant qu’ambassadrice de la Francophonie, Mme Louis souhaite apporter un regard différent sur la cohabitation du français et du créole en Haïti. «Quand j’ai grandi en Haïti, le français était considéré comme une barrière pour une bonne partie de la population. Malheureusement, la situation n’a pas beaucoup évolué avec le temps», précise-t-elle.
«L’essentiel est qu’il y a une certaine cohabitation qui peut être repensée, voire même améliorée. Cette cohabitation n’empêche nullement des rapports avec d’autres langues. Tout compte fait, qu’elle soit considérée comme un outil ou un mode de vie, la langue devrait rassembler les gens et le français peut jouer très bien ce rôle en Haïti.»
Quant à Marc Sony Ricot, en plus d’être journaliste et chroniqueur littéraire au quotidien Le Nouvelliste, il est blogueur chez Mondoblog de la Radio France internationale (RFI).
Selon le jeune ambassadeur, il poursuivra ses activités dans le milieu haïtien afin de rehausser la francophonie. Soulignons que Marc Sony Ricot publie depuis cinq ans des articles en français dans Le Nouvelliste.
De plus, il dirige une rubrique depuis plus d’un an où il donne la parole aux écrivain(e)s francophones. Il a aussi fondé le club littéraire Kettly Mars en Haïti. «Pendant plusieurs années, j’ai distribué des livres dans le quartier et j’ai animé des causeries pour les plus jeunes», rajoute-t-il.
Ritzamarum Zétrenne travaille aussi pour la RFI, où il présente l’émission culturelle Koze Kilti, en décrochage local en Haïti. De plus, le titulaire d’un Master 2 en management des médias est non seulement membre de la communauté des blogueurs francophones, Mondoblog, mais aussi chargé de mission culturelle de l’Institut français en Haïti.
Il souhaite montrer aux jeunes que «parler l’une des langues du pays ne détruit pas forcément l’autre». Sa vision est de montrer que les langues peuvent cohabiter.
Selon le créateur du balado Des fous et des dieux, si d’un côté il n’a jamais peur de présumer son caractère francophone en Haïti, de l’autre, il encourage un bilinguisme équilibré entre le créole et le français. «Je suis tout autant francophone que créolophone, je tiens à l’assumer au jour le jour dans toutes mes actions», dit-il.
«Je dis toujours aux gens : “Ne craignez pas de parler français, c’est aussi notre langue”. Même si je suis contre toutes formes d’utilisation de la langue à des fins d’exclusion ou de discriminations, peu importe quelle langue.»
D’autre part, selon les ambassadeurs(drices), la francophonie peut ouvrir des portes pour Haïti. Selon Laura Louis, Haïti peut développer avec d’autres pays des mécanismes d’échange sur plusieurs fronts, qui seront bénéfiques à toutes les parties.
Dans le même esprit, Ritzamarum Zétrenne et Marc Sony Ricot croient dur comme fer qu’Haïti ne peut pas se permettre de renoncer à la francophonie. Les jeunes ambassadeurs(drices) croient que le bilinguisme équilibré peut apporter de profits à Haïti.
Par ailleurs, dans une entrevue que Sylvain Lavoie, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques, a accordée au Courrier en aout dernier, les jeunes ambassadeurs(drices) ont comme responsabilité de faire découvrir la francophonie davantage dans leurs milieux.
Si l’on tient compte du milieu haïtien, où des inégalités sociales et de l’insécurité s’imposent, ces jeunes ambassadeurs(drices) ont une mission certes difficile, mais pas impossible.