le Vendredi 24 janvier 2025
le Vendredi 2 juin 2023 8:00 Rubrique - Le Carrefour des Francophones

Mieux comprendre la situation du français sur les territoires postcoloniaux – 2e partie : Haïti

Les participants d’Haïti au Parlement francophone des jeunes des Amériques en 2018. — PHOTO - Centre de la francophonie des Amériques
Les participants d’Haïti au Parlement francophone des jeunes des Amériques en 2018.
PHOTO - Centre de la francophonie des Amériques
La toile de fond de la dernière chronique était la situation du français sur les territoires postcoloniaux en Afrique tandis que la présente chronique s’intéresse aux territoires postcoloniaux du reste du monde, particulièrement Haïti.
Mieux comprendre la situation du français sur les territoires postcoloniaux – 2e partie : Haïti
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Nicolas Sarkozy avec son homologue haïtien, René Préval, lors de sa visite. 

PHOTO - François Mori/AFP

La présence des colons français sur le territoire d’Haïti a duré plusieurs siècles jusqu’à la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1804. Si après l’indépendance les gouvernements haïtiens ont toujours priorisé le français dans leurs documents officiels ainsi que pour l’éducation et l’administration, entre autres, cette langue n’était jamais la langue de la population. D’ailleurs, l’article 5 de la constitution de 29 mars 1987 a clairement précisé que « tous les Haïtiens sont unis par une langue commune : le créole. »

Force est de constater que les Haïtiens ne s’identifient ni à la langue française ni à la francophonie. Michel Saint-Germain, dans un article paru en 1997 sous le titre de Problème linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats, a précisé que, malgré son statut constitutionnel comme langue officielle en Haïti, le français occupe un espace minoritaire.

Dans son article titré Le français haïtien et la contribution d’Haïti au fait francophone, en 2020, Renauld Govin a précisé que les Haïtiens « vivent le français comme une langue non haïtienne. Ils ne s’y identifient pas comme un moyen identitaire d’expression et de (re)présentation de soi. Ils ne se considèrent pas comme acteurs de sa construction, de son évolution. » 

Hugues Saint-Fort, un autre linguiste haïtien, a abondé dans le même sens en 2019 dans La langue française : langue première, langue seconde ou langue étrangère. Pour le chercheur, à l’opposé de la langue française, c’est le créole qui constitue le réel symbolique de l’identité sociolinguistique des locuteurs haïtiens. 

Le 1er juillet 2011, lors de la cérémonie de la 32e réunion ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CARICOM, le président de la République d’Haïti, Joseph Michel Martelly, a proposé l’intégration du français dans cet organisme. Cela a choqué nombre de personnalités concernées par les questions linguistiques en Haïti. Ces personnes se sont montrées inquiètes, voire déçues après cette décision. Pour eux, le français ne mérite pas cette place.  

Il est clair que le français, en dépit de son statut officiel en Haïti, n’est ni la langue parlée ni celle appréciée par la population. En raison du fait que cette langue est héritière de la colonisation, elle est souvent considérée comme une langue étrangère au profit du créole. Il n’y a que l’élite intellectuelle haïtienne et l’État haïtien qui accordent toujours une importance à cette langue.   

Autre chose à signaler, les relations entre la France et Haïti, après la proclamation de l’indépendance, sont très tendues. D’ailleurs, non seulement aucun président français n’a visité Haïti jusqu’à Nicolas Sarkozy – dans une visite de quelques heures – le 17 février 2010, mais aussi l’Académie française n’a jamais entré le mot « Vertières » dans son dictionnaire, jusqu’à l’arrivée de Dany Laferrière, écrivain d’origine haïtienne, à l’Académie. À rappeler que Vertières est reconnu comme un lieu historique, où la dernière bataille pour l’indépendance d’Haïti a eu lieu, le 18 novembre 1803. 

Autres faits marquants qui a intensifié le désaccord entre la France et Haïti après l’indépendance, c’est la somme faramineuse qu’elle a exigée à Haïti sous forme de dédommagement après la guerre. En mai 2022, New York Times a publié une série d’articles sur cette histoire de dédommagement. Selon le journal américain, les paiements versés à partir de 1825 par le gouvernement haïtien, pour indemniser les anciens colons esclavagistes, ont coûté au développement économique de Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars en pertes sur deux siècles, soit une à huit fois le produit intérieur brut du pays en 2020. 

En somme, le français ne se porte pas à merveille dans tous les territoires postcoloniaux. Si effectivement c’est une langue ayant le statut officiel dans beaucoup de pays et qu’elle est présente sur tous les continents, la réalité sociolinguistique de beaucoup de pays francophones est très complexe.