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le Mercredi 15 janvier 2025 11:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Le réseau tentaculaire des bases militaires américaines à l’étranger (3ème partie)

Base militaire russe en Syrie, vers 2016. — PHOTO : Wikimedia
Base militaire russe en Syrie, vers 2016.
PHOTO : Wikimedia
Décidément, l’année 2025 fait une entrée en scène dramatique: en témoignent les guerres, les catastrophes naturelles et – est-il besoin de le rappeler? – l’investiture imminente de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
Le réseau tentaculaire des bases militaires américaines à l’étranger (3ème partie)
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Pour le Canada et pour plusieurs autres pays, les promesses électorales en vue de son deuxième mandat ressemblent à autant de menaces, dont celle d’expulser l’ensemble des immigrés en situation irrégulière, au nombre de plus de 11 millions d’individus.

La riposte ne se fait guère attendre. Dans son discours du Nouvel An, la présidente du Honduras, Xiomara Castro, suggérait que l’arrivée en masse de milliers de ressortissants de son pays, sans aide ni consultation, pourrait mettre en doute la coopération militaire avec l’oncle Sam. 

Elle a surtout évoqué les bases américaines «qui, dans ce cas, perdraient toute raison d’être au Honduras», et dont les privilèges risqueraient d’être révoqués. Ce qui reviendrait à compromettre l’hégémonie états-unienne en Amérique centrale et, du coup, dans toute la partie sud de notre hémisphère.

Éventualité sérieuse ou brandie pour l’effet choc, la présidente Castro a mis le doigt sur une corde sensible et une question très pertinente pour l’actualité. Car la présence d’installations militaires à l’extérieur du territoire national des grandes puissances – sujet déjà traité dans mes deux dernières chroniques – est en train d’être dénoncée de tous côtés. Ainsi, les bases françaises en Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest, ainsi que celles de la Russie en Syrie, au Moyen-Orient, pourraient disparaitre à terme. 

Rappelons tout d’abord qu’aucun pays n’arrive à la cheville des États-Unis en ce qui concerne l’étendue de leurs réseaux d’installations militaires. Il s’agit de plus de 750 bases, de divers types et tailles, dont celle de Soto Cano, au Honduras, qui remonte au début des années 1980. Officiellement, celle-ci appartient au pays hôte qui ne fait qu’accueillir les forces aériennes de l’Oncle Sam. Dans les faits, c’est autre chose. 

Des villageois honduriens observent des troupes américaines près de la base aérienne de Soto Cano.

PHOTO : Wikimedia

Ce modèle est devenu plus courant après la guerre froide, lorsque la rivalité avec l’Union soviétique a cédé à la réalité d’un monde multipolaire que nous connaissons aujourd’hui.

«Les planificateurs militaires conçoivent généralement des bases de taille moyenne, comme Soto Cano et d’autres bases similaires à Singapour, à Djibouti et en Roumanie, de manière à ce qu’elles soient facilement agrandissables», explique l’anthropologue David Vine, grand spécialiste de ce sujet. 

«Cela permet des déploiements à court terme des forces américaines à des fins de formation et d’opérations diverses, mais aussi des constructions plus permanentes du type de celles que Soto Cano a connues dans les années 1980 et qu’elle connait aujourd’hui.»

La présence américaine au Honduras a également permis d’influencer la politique dans la région, notamment en appuyant des dirigeants favorables aux intérêts américains, mais pas toujours très démocratiques.

Si les États-Unis devaient perdre Soto Cano (ce qui est loin d’être sûr), ce serait toutefois un revers moins sévère que le coup infligé à la Russie si celle-ci était obligée de renoncer à ses bases en Syrie. 

Une telle possibilité découle de l’un des faits les plus saisissants et les plus surprenants de l’actualité récente. Après une longue guerre civile caractérisée par une stagnation devenue chronique, le régime de Bachar al-Assad est tombé comme un château de cartes au cours d’une offensive éclair menée par le groupe Hayat Tahrir al-Cham et ses alliés. 

Or, le plus grand appui d’al-Assad, tyran sanguinaire, c’était justement de la Russie, dont les ressources sont désormais drainées vers le conflit en Ukraine. Les nouveaux maitres du pays, qui souhaitent établir un gouvernement d’unité tout en courtisant la communauté internationale, doivent donc décider du sort des bases russes. Celles-ci ont une grande valeur stratégique, en donnant un accès à la Méditerranée ainsi qu’à l’Afrique, où l’influence russe se fait de plus en plus sentir. À l’heure actuelle, l’incertitude plane sur ce dossier.

Ce qui est plus certain à l’égard du continent africain, c’est que le poids de la France est en train d’y diminuer. Après l’indépendance des anciennes colonies, l’influence française a été maintenue dans plusieurs pays à travers des relations sur les plans de l’économie, de la politique et de la diplomatie. Or, depuis quelque temps, la Françafrique s’effrite de manière drastique. De nouveaux gouvernements au Niger, au Mali et au Burkina Faso ont commencé à couper les liens de dépendance avec l’ancienne métropole, y compris au niveau de la coopération militaire.

Jusqu’à tout récemment, la France conservait toujours une présence militaire dans cinq pays: en Côte d’Ivoire, au Djibouti, au Gabon, au Sénégal et au Tchad. Ses missions ont eu pour objectifs de lutter contre le terrorisme, de stabiliser certains pays lors de crises politiques et, bien sûr, de protéger les intérêts français. C’est d’ailleurs au cours de l’année dernière qu’un commandement spécial pour les forces françaises en Afrique a été créé, en prévision d’une réduction des effectifs. 

Le 31 décembre dernier, cependant, le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, annonçait le départ prochain des troupes françaises. Prise à l’avance d’une campagne électorale, en tenant compte du ressentiment de la population contre l’ancienne puissance coloniale, la décision de M. Ouattara n’avait rien pour plaire à son homologue français, Emmanuel Macron. 

Ainsi s’accentue une tendance déjà forte: la Russie et la Chine gagnent en influence sur le continent africain au détriment des puissances occidentales.

Toutefois, les avantages des bases militaires à l’étranger pour tel ou tel pays, et surtout pour les États-Unis, sont loin de faire l’unanimité, comme l’affirme David Vine. En plus de leur cout énorme qui enlève des fonds à d’autres priorités, comme la santé et l’éducation, «ces bases ont, à bien des égards, porté atteinte à la sécurité nationale». 

Il précise: «En simplifiant la conduite de guerres à l’étranger, elles ont fait de l’action militaire une option encore plus attrayante parmi les outils de politique étrangère à la disposition des décideurs américains, et elles ont rendu la guerre plus probable.»

Voilà donc un enjeu à surveiller en 2025… parmi tant d’autres!