le Mercredi 9 octobre 2024
le Vendredi 13 septembre 2024 9:00 Nos communautés - Halifax

«Les gens sont pas nécessairement perdus dans le brouillard» – pt. 2

  PHOTO : Roar Skotte - Unsplash
PHOTO : Roar Skotte - Unsplash
Une étude sociolinguistique sur les représentations linguistiques de jeunes adultes issus du système scolaire francophone d’Halifax permet de mieux comprendre la réalité de cette population et, de fil en aiguille, trouver des pistes de solution afin de créer des espaces plus diversifiés.
«Les gens sont pas nécessairement perdus dans le brouillard» – pt. 2
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Jean-Philippe Giroux

IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Ce qui est internalisé 

L’un des moments les plus marquants pour Daniel Boutin, en effectuant ses entretiens pour son étude, est lorsqu’une participante, en blague, s’est auto identifiée comme «fucked-up-ophone». Personne ne lui a donné ce titre, c’était une idée originale. 

À la suite de ce commentaire, il s’est rappelé la découverte qu’il avait faite par le passé, en travaillant sur une enquête afin de concevoir la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique (FJCF) de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF). 

Cette dernière a fait des entrevues avec quelque 1 374 personnes afin de réaliser cette stratégie. Elle a constaté que, hormis des sources externes comme le travail, la communauté et les réseaux sociaux, «le plus grand nombre de personnes répondantes indiquent que nous sommes – nous-mêmes – une source d’insécurité linguistique», peut-on lire dans le document. 

Ce qui avait frappé M. Boutin, qui est convaincu que beaucoup plus de gens se sentent de la même façon. 

Il présente dans sa thèse le concept du troisième espace et du discours authentique, en utilisant comme exemple les évènements du CJP et de la FJCF, où les jeunes créent ensemble des espaces sécurisants pour parler et se poser des questions sur l’identité, en dehors du cadre scolaire. 

Une participante de son étude a même confié que sans un troisième espace, elle n’aurait probablement pas poursuivi ses études et sa vie en français. 

Dans sa thèse, M. Boutin fait référence à une étude d’Annette Boudreau et Lise Dubois, qui présente quatre idéologies linguistiques véhiculées dans la région de la Baie Sainte-Marie, dont le discours d’authenticité de la région, l’acadjonne. 

L’argument de M. Boutin est que les idéologies comme le monolinguisme ont leurs places dans certains contextes comme dans la salle de classe, mais qu’il y aurait également de la place à faire à la valorisation du discours authentique et non standardisé, pour ne pas mettre des membres de la communauté à dos. 

Il y a une balance quelque part à faire entre [apprendre] le standard, mais [ne pas le faire] d’une manière prescriptive, où on montre qu’il y a une diversité de manières dans laquelle on peut parler pis qu’il y a pas un français qui est meilleur que l’autre.

— Daniel Boutin

«Il y a une balance quelque part à faire entre [apprendre] le standard, mais [ne pas le faire] d’une manière prescriptive, où on montre qu’il y a une diversité de manières dans laquelle on peut parler pis qu’il y a pas un français qui est meilleur que l’autre», défend l’auteur. 

À long terme 

Il y avait aussi la question du sens d’appartenance à la communauté francophone de Halifax, parmi les personnes interviewées pour l’étude, qui a été abordée. 

Certains disaient que les évènements culturels et communautaires ne leur parlaient pas. D’autres ont confié à Daniel Boutin, par l’entremise d’anecdotes, que c’était aussi un enjeu identitaire, qui s’est développé à travers leur cheminement scolaire. 

«C’était souvent des commentaires (liés à la langue) qu’ils recevaient de gens en position de pouvoir, de gens qui étaient soient leurs enseignants, des administrateurs ou des gens qui avaient un rôle significatif dans la communauté.» 

Des commentaires qui peuvent encourager les jeunes à ne plus parler français aussi fréquemment, selon l’auteur, et de se tourner vers la culture majoritaire.

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Ce qui pourrait servir de matière à réflexion, «c’est le discours qu’on utilise pis qu’on décide de mettre en priorité», d’après l’auteur. 

Ce dernier est d’avis que par exemple la logique de résilience, soit l’idée que c’est à l’individu d’endurer la discrimination langagière comme stratégie de lutte contre l’insécurité linguistique, ne mène pas vraiment aux résultats souhaités et ne résout pas le problème de la glottophobie. 

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L’auteur partage depuis quelques semaines les résultats de son étude sur les réseaux sociaux. Il remarque qu’ils trouvent un écho non seulement auprès des Néoécossais avec qui il est allé à l’école, mais aussi parmi les membres d’autres communautés francophones du pays. 

«Je pense, en quelque part, ça démontre qu’on parle peut-être des fois pas assez de la francophonie urbaine, surtout la francophonie urbaine pour les jeunes adultes», mentionne-t-il. 

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M. Boutin souhaite que sa thèse aide à déconstruire les idées fausses autour de l’assimilation des jeunes adultes francophones, notamment ceux qui s’établissent en milieu urbain. 

S’il devait avoir des études de suivi à faire, l’une d’entre elles serait de documenter les questionnements linguistiques des jeunes adultes, lorsqu’ils arrivent au stade de vie où ils prennent la décision de fonder une famille et d’inscrire leurs enfants à l’école, française ou anglaise, termine M. Boutin.