Marine Ernoult – Francopresse
Les francophones en situation minoritaire sont de plus en plus nombreux à vivre en zone urbaine. Selon Statistique Canada, en 2021, 57 % résidaient dans une région métropolitaine de 100 000 habitants ou plus, contre 45 % dix ans plus tôt.
«La concentration de la majorité des nouveaux arrivants de langue française dans les grandes villes joue pour beaucoup dans ce phénomène d’urbanisation», analyse Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval, à Québec.
«Les immigrants préfèrent s’installer dans des centres qui font preuve de dynamisme économique avec de l’emploi à proximité, mais aussi des services et des écoles», poursuit le chercheur.
Les francophones éparpillés
La ville attire, certes, mais «la tendance des francophones en situation minoritaire à s’urbaniser reste en deçà de celle des Canadiens de langue anglaise résidant hors Québec», précise Étienne Lemyre, analyste au Centre de démographie de Statistique Canada.
En 2021, 74 % de la population anglophone à l’extérieur de la Belle Province vivait ainsi dans une région métropolitaine de 100 000 habitants ou plus.
Dans la plupart des grandes agglomérations, les francophones en situation minoritaire sont éparpillés sur l’ensemble du territoire, explique Étienne Lemyre. Halifax, Toronto, Edmonton, Calgary ou encore Vancouver ne comptent pas de quartier francophone.
«L’existence d’une école française témoigne néanmoins de la présence d’une communauté francophone dans un rayon de 25 kilomètres», avance Jean-Pierre Corbeil.
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Départ francophone dans le Grand Sudbury
Statistique Canada vient de terminer une étude sur les migrations dans le Grand Sudbury, car la région métropolitaine de 163 000 habitants dans le nord de l’Ontario connait une baisse du nombre de francophones.
Ils ne représentent plus que 23 % de la population, contre 27 % en 2006, alors même que le nombre total de Sudburois a augmenté sur la même période.
«Les francophones qui quittent le Grand Sudbury ont entre 17 et 29 ans. Ils partent à la recherche d’un emploi ou pour leurs études vers Montréal ou Ottawa», expose Gabriel St-Amant, coauteur de l’étude, dont les résultats ont été présentés au Colloque «La ville et ses frontières linguistiques», organisé par le Réseau de la recherche sur la francophonie canadienne à l’Université de Moncton les 21 et 22 aout.
Néanmoins, «ces migrations ont joué à la marge sur la décroissance de la population francophone», insiste le statisticien. À ses yeux, le principal facteur serait plutôt la «perte de transmission du français entre les générations.»
Bastions francophones à Ottawa, Moncton et Winnipeg
À cause de la dispersion géographique des francophones, Étienne Lemyre estime que «le français est susceptible d’être moins utilisé», que ce soit à la maison, au travail ou dans l’espace public. «La représentation politique de la minorité linguistique peut s’en trouver affaiblie.»
«L’accès aux services en français est aussi plus difficile, ajoute Jean-Pierre Corbeil. Des parents peuvent mettre leurs enfants en immersion ou dans des établissements anglophones, car l’école en français est trop loin de chez eux.»
Trois grands centres urbains font cependant exception. Le quartier Saint-Boniface à Winnipeg, ceux de Vanier, Côte-de-Sable et Basse-Ville à Ottawa, ainsi que le centre-ville de Moncton constituent des enclaves francophones historiques.
Seule ombre au tableau, «le poids démographique des francophones dans ces quartiers tend à diminuer et à tomber sous le seuil des 50 %», observe Étienne Lemyre.
«Les francophones et les anglophones ont tendance à vivre aux mêmes endroits, il y a plus de mixité», complète l’analyste.
À Vanier, 60 % des habitants parlaient le français en 1971, ils n’étaient plus que 36 % en 2021.
Selon Étienne Lemyre, plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette évolution démographique. La population francophone vieillissante laisserait la place à de nouvelles générations beaucoup plus «mobiles», prêtes à s’installer dans des environnements anglophones. La multiplication des mariages exogames avec un conjoint anglophone pourrait également être une piste.
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Le français invisible
De son côté, Jean-Pierre Corbeil considère que la désaffection des nouveaux arrivants pour les quartiers historiquement francophones pourrait causer ce déclin.
«Les immigrants ne vont pas nécessairement s’établir là où réside déjà une communauté de langue française, beaucoup d’autres facteurs entrent en ligne de compte, souligne le sociologue. Ils s’installent en priorité là où résident des gens de leur pays d’origine, c’est le premier incitatif.»
La bonne nouvelle vient d’Acadie. Au Nouveau-Brunswick, Dieppe et les quartiers est de Moncton sont devenus une région majoritairement francophone au cours des dernières années.
«L’Université de Moncton à proximité semble attirer une population immigrante et jeune, âgée de 18 à 24 ans», relève Étienne Lemyre.
Si quelques quartiers francophones subsistent à travers le pays, ils restent très discrets dans le paysage urbain. «La langue minoritaire n’est pas suffisamment affichée et valorisée alors qu’elle devrait avoir pignon sur rue, regrette Jean-Pierre Corbeil. On a besoin de plus d’invitation à utiliser le français dans l’espace public, c’est le nerf de la guerre.»
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