le Jeudi 19 septembre 2024
le Vendredi 23 août 2024 7:00 Éditorial

Un CMA vécu à coeur ouvert

Nicolas Jean, directeur général du Courrier avec Tim Houston, Premier Ministre de la Nouvelle-Écosse et Colton Leblanc, Ministre des Affaires acadiennes et Francophonie le 15 août à l'école secondaire de Par-en-Bas dans le cadre du Congrès Mondial Acadien 2024. — Mikaël Theimer
Nicolas Jean, directeur général du Courrier avec Tim Houston, Premier Ministre de la Nouvelle-Écosse et Colton Leblanc, Ministre des Affaires acadiennes et Francophonie le 15 août à l'école secondaire de Par-en-Bas dans le cadre du Congrès Mondial Acadien 2024.
Mikaël Theimer
C’est le premier CMA pour moi. J’ai dit il y a quelques jours que je n’avais que des émotions, pas de mots. Puis les mots sont venus soudainement, dans l’émotion.
Un CMA vécu à coeur ouvert
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Des heures de route à n’en pas finir, sous le soleil, dans le brouillard, sous la pluie. Des journées de quinze heures, des nuits sans sommeil ou presque, mais aucun regret, que des bons souvenirs. Nous avons vécu une expérience hors du commun. Personnellement, c’est une des plus belles choses qu’il me soit arrivé, et je le dis avec certitude. Ce sentiment restera avec moi. Parce que je l’ai décidé, parce que c’est une évidence.

J’ai écrit cet édito en quelques minutes dans la fosse du Mariners Center, à l’Ultime Tyme. Au milieu des gens, au milieu du son, pour ne pas en perdre un morceau. Au même moment, j’ai reçu un message de B. pour me souhaiter une bonne fête nationale. Il me disait que c’était le désordre émotionnel pour lui. C’était la même chose pour moi. Les émotions sont toujours présentes et je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Ça va prendre du temps avant que je comprenne ce qu’elles veulent dire.   

On a parlé des chaises aux spectacles, de la distance entre les lieux de célébrations, du manque de représentation des nouveaux arrivants… Ce n’est pas l’objet de ce papier. On a vu 300 évènements rouler sans encombre malgré les défis d’une région rurale et tout ce que cela implique, en termes d’infrastructures notamment. Parce que la volonté était là, que le grand projet collectif qu’est le Congrès a primé, parce que l’on a ressenti de l’entraide et de la solidarité à tous les niveaux. Bénévoles, employés, leur travail doit être salué. Souvenir personnel qui peut sembler insignifiant, une bouteille d’eau que l’on m’a apportée au spectacle du 15 aout, au pic du show, dans le pit alors que je prenais des photos. Ça m’a touché et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. 

Il y aura un avant et un après. Le CMA m’a changé. Je ne peux plus penser à l’Acadie sans être ému. 

Étrangement, je me suis senti «en famille» et en même temps terriblement seul. Inclus et à la fois en dehors. C’est peut-être la condition des gens comme moi qui ne sont pas d’ici. On est perdu dans «l’entredeux» de l’artiste François Gaudet. Un pied d’un bord, un pied de l’autre. Pourtant, je connais beaucoup de monde, des relations de travail, du monde que je rencontre tous les jours ou presque pour faire survivre Le Courrier, mais je ne suis pas Acadien. 

Le symptôme de l’imposteur ou la sensation d’usurper une identité qui n’est pas la mienne, même si au final le sang qui coule dans nos veines partage certaines cellules. Je n’ai pas vécu les mêmes peines, les mêmes traumatismes. Je n’ai pas dû me battre pour mes droits linguistiques. Je suis émotionnel, mais peut-être que c’est disproportionné, peut-être que c’est parce que je viens d’une culture qui met en silence les émotions. C’est aussi la fatigue, je crois. On est tous heureux, mais épuisés.

J’ai croisé Elaine Thimot à la soirée louisianaise vendredi. J’ai juste eu envie de la prendre dans les bras et de pleurer comme on le ferait avec notre grand-mère. Je l’ai prise dans mes bras, mais je n’ai pas pleuré. Justement, au moment où j’écris ces lignes, Lisa LeBlanc a rejoint Les Lost Bayou Ramblers de Louisiane. Un pont entre deux mondes, qui ont plus en commun que ce que l’on pense.

La Louisiane, c’est le sang et la terre qui se mélangent, c’est le poids de l’histoire. Il n’y a rien de plus puissant. La musique, c’est le véhicule.  L’Acadie du Canada, c’est la mère, c’est le sein, c’est les origines. Il y a un lien évident. Quand les deux se rencontrent, c’est l’explosion, c’est la vie qui (re)nait. C’est Jourdan Thibodeau et sa chanson, «Né dans un ouragan». 

Les frontières de l’Acadie sont plus grandes que ce que l’on pensait. Ce fut une réalisation pour beaucoup de monde : dans les réunions de famille, au Forum économique, aux concerts, à l’Échange… C’est sans doute l’apprentissage collectif de ce Congrès. On est plus proche de ce que l’on pense. 

Acadien, Cadien, ça veut dire la même chose, mais dans le respect de nos singularités. On a besoin d’une vision collective, d’un projet commun.  Ce sera le levier du futur de la diaspora acadienne à travers le monde, le collectif. 

La France dans tout ça? C’est moi et mes émotions dont je ne sais que faire. Pourtant, je sais que je fais partie de l’écosystème, la France aussi. 

Faire partie de l’écosystème

On doit voir l’Acadie comme un écosystème. On a pas besoin d’être tous les mêmes, au contraire, mais on peut se compléter pour améliorer notre condition et notre écosystème, c’est la minorité. Je n’ai pas vécu les mêmes traumatismes, mais j’en ai vécu. J’ai aussi dû me battre pour mes droits. Je fais partie d’une minorité. Ça ne fait pas de moi un Acadien nécessairement, mais ça fait au moins de moi un allié. Je fais partie de l’écosystème, j’y ai ma place. 

C’est le temps de la fin des frontières de la diaspora. C’est le temps de la cohésion, car on fait tous partie de l’écosystème. J’ai pris en photo des centaines de personnes, on est le même corps uni. Qu’on soit étoile montante, P’tit Belliveau ou Sylvie Boulianne, qu’on soit pêcheur, travailleur communautaire, Acadien(ne) ou allié, on a tous le droit d’être là et on a tous quelque chose à apporter. 

C’est sûrement ça que mes émotions essaient de me dire. Il suffit de s’organiser. Le génie n’est pas l’idée, c’est l’exécution, comme on dit. Reste à définir le pourquoi et le comment de notre écosystème. Tous les ingrédients sont réunis pour y arriver. Les Acadiens ont des leçons à donner au monde en matière de résilience et de créativité.

Ce n’est pour rien qu’il a été mentionné à de très nombreuses reprises par des ministres, des conférenciers et des participants que les Acadiens étaient une source d’inspiration pour le monde entier. C’est sans doute parce que le peuple acadien résiste au temps, aux mouvements du monde, à la mondialisation. Il reste lui-même. 

Candy Darling à dit «qu’être soi-même est la plus haute forme de moralité». C’est ce que fait le peuple acadien, et il le fait depuis des siècles, contre vents et marées.

Nicolas Jean

Directeur général du Courrier de la Nouvelle-Écosse