le Mardi 10 décembre 2024
le Vendredi 28 juin 2024 7:00 Éditorial

Faut-il remercier Google d’avoir demandé une exemption?

Ironiquement, les médias de langue minoritaire sont peut-être mieux servis par la décision de Google de demander une exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne.  — PHOTO: Mitchell Luo – Unsplash
Ironiquement, les médias de langue minoritaire sont peut-être mieux servis par la décision de Google de demander une exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne.
PHOTO: Mitchell Luo – Unsplash
ÉDITORIAL – Un an après l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, les finances de plusieurs médias restent précaires. Ceux de langue minoritaire n’y échappent pas. Les 100 millions de dollars de Google offrent une toute petite lueur d’espoir, mais le tunnel est long et les sorties encore en construction.
Faut-il remercier Google d’avoir demandé une exemption?
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Ironiquement, les médias de langue minoritaire sont peut-être mieux servis par la décision de Google d’utiliser l’exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne. Parce que c’est le seul endroit dans la Loi où les parlementaires ont pensé aux médias des minorités linguistiques.

La Loi sur les nouvelles en ligne prévoit en effet la demande d’une exemption. L’article 11 donne le droit à un «intermédiaire de nouvelles numériques» – comme un moteur de recherche ou un réseau social – de demander une exemption à la Loi s’il respecte certaines conditions.

L’une de ces conditions stipule qu’il doit avoir conclu des accords qui «assurent qu’une partie importante des médias d’information des communautés de langue officielle en situation minoritaire en bénéficie et [que les accords] contribuent à [la] viabilité [de ces médias]». Très gentil… à moitié.

Loi sur les nouvelles en ligne

Le projet de loi C-18, devenu la Loi sur les nouvelles en ligne, contraint les entreprises qui servent d’intermédiaire entre les producteurs de contenu en ligne – comme les médias – et les lecteurs ou auditeurs à négocier des compensations financières avec les producteurs.

Afin de ne pas être assujetti à cette Loi et de ne pas devoir indemniser les médias d’information pour leur contenu, Meta bloque depuis aout 2024 les nouvelles sur Facebook et Instagram au Canada.

Pour éviter de négocier des accords d’indemnisation avec des dizaines d’entités, Google demande une exemption à la Loi et, en échange, l’entreprise remettra 100 millions de dollars à un seul groupe, qui sera ensuite responsable de redistribuer cette somme aux médias.

Labyrinthe juridique

Le critère de protection des médias de langue minoritaire figure dans le processus d’exemption qu’invoque Google – et certainement créé à la demande de l’entreprise –, mais nulle part ailleurs dans le texte de la Loi.

Puisqu’ils ne sont pas expressément mentionnés dans les critères d’admissibilité de la Loi elle-même, très peu de médias de langue minoritaire auront la possibilité de négocier une entente avec les plateformes en ligne, notamment parce qu’ils doivent répondre à un autre critère, soit celui d’employer au moins deux journalistes.

La plupart des journaux et radios communautaires en milieu minoritaire ne comptent pas deux journalistes.

Selon le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, à l’heure actuelle, 96 % des médias qu’il représente ne sont pas admissibles à une indemnisation selon la Loi. Cette proportion pourrait peut-être descendre à 85 % si l’on compte les journalistes recrutés à l’aide de l’Initiative de journalisme local (IJL).

À lire : Entente Google : les médias de langues minoritaires sur leurs gardes

Pourtant, les médias autochtones sont mentionnés explicitement dans la section sur l’admissibilité de la Loi. Ils ne sont pas tenus d’avoir deux journalistes.

Pourquoi des médias qui produisent du «contenu de nouvelles d’intérêt public qui est axé principalement sur des questions d’intérêt général et qui rend compte d’évènements actuels, y compris la couverture des institutions et processus démocratiques» dans une langue officielle en situation minoritaire n’ont-ils pas droit au même statut distinct?

Sont-ils protégés par la Loi sur les langues officielles? Le temps que la question fasse l’objet d’un débat, il sera trop tard.

En d’autres mots, si Google n’avait pas demandé d’exemption, la Loi ne forcerait pas le géant américain à discuter avec les médias francophones en milieu minoritaire, ou les entités qui les représentent, s’ils ne respectent pas tous les autres critères d’admissibilité.

Il fait noir dans le tunnel

Malgré la précision dans le processus d’exemption, les médias de langue minoritaire ne savent pas encore s’ils seront inclus dans la distribution des 100 millions de dollars de Google en raison des critères d’admissibilité.

Les médias communautaires de langue minoritaire attendent de voir s’ils auront une place au sein du Collectif canadien de journalisme (CCJ), l’organisation choisie par Google pour distribuer l’argent. 

Le CCJ sera fort probablement sympathique à ces médias, puisqu’il a été créé par des petits médias et des médias communautaires.

L’admissibilité des médias de langue minoritaire à la somme promise par Google reste tout de même un mystère. Est-ce que l’obligation d’avoir deux journalistes s’applique ou non à l’exemption? C’est une exemption à la Loi après tout! Sinon, est-ce que le CCJ sera plus souple dans l’interprétation de la Loi?

Il est certain que l’argent de Google ne règlera pas tous les problèmes des médias. De fait, Patrimoine canadien s’attend à ce que les petits médias reçoivent environ 17 000 $ par journaliste. C’est loin de couvrir un salaire.

De plus, si aucun éclaircissement n’est fait dans la loi ou le règlement, les mêmes questions pourraient revenir dans cinq ans, lorsque l’entente entre Google et le CCJ viendra à échéance.

À lire : Les angles morts de l’Entente Google

Impossible aussi de savoir quels autres défis pendent au bout du nez des médias canadiens.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications poursuit ses audiences publiques pour la création du cadre règlementaire de l’application de la Loi.

Il doit encore déterminer quels autres «intermédiaires de nouvelles numériques» pourraient être assujettis à la Loi. Est-ce que ces derniers demanderont une exemption comme Google ou est-ce qu’ils couperont l’accès aux médias d’information au Canada, comme l’a fait Meta?

En attente de réponses, les médias de langue minoritaire retiennent leur souffle.

Ils suffoquent.