le Samedi 14 septembre 2024
le Vendredi 21 juin 2024 7:00 Éditorial

Quand les symboles changent de signification

  PHOTO: Lee Soo hyun - Unsplash
PHOTO: Lee Soo hyun - Unsplash
Qu’est-ce qui vous affecte le plus? Un geste, un mot? C’est à l’âge de trois à cinq ans que l’enfant commence son développement émotionnel. Tranquillement, il apprend que des mots font sourire, d’autres font mal. Si on enseigne la compassion, ça peut alléger le fardeau. Mais rien ne garantit qu’on ne fera pas face à la méchanceté au cours de notre vie. Alors, comment réagir face à l’imprévu?
Quand les symboles changent de signification
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J’ai assisté à un événement virtuel, le 23 mai, organisé par Parlons avec confiance. Les présentateurs(-trices) se sont penchés sur la réappropriation des symboles et stigmas négatifs pour affirmer son identité et les impacts positifs ou négatifs de cette action sur le développement identitaire. 

Originaire de Truro, la chercheuse Violette Drouin s’est focalisée sur la repolitisation de l’identité acadienne, qui, selon elle, se passe très souvent par la réappropriation de symboles négatifs. Elle utilise comme exemple l’amitié et l’alliance entre les Acadiens et les Mi’kmaq, tel qu’on la connait en se fiant aux écrits du 19e siècle, ayant été source de stigmtatisation de la part des Anglais au pouvoir qui croyaient que les Acadiens ne pouvaient pas vraiment être Néo-Écossais, puisqu’ils ont «compromis leur identité blanche à travers le mariage interracial». 

Dans ce contexte, elle propose qu’on renoue avec la conception de l’Acadie d’hier pour en faire aussi l’Acadie d’aujourd’hui. «C’est crucial de noter que cette réappropriation est un outil de positionnement politique, et pas juste une fin en soi, dit-elle. À mon avis, la réappropriation de stigmas négatifs doit pas juste servir à affirmer notre identité. Elle doit aussi nous servir pour nous replacer sur l’échiquier politique, au sens large, pour voir nos liens avec d’autres groupes marginalisés, et agir en conséquence.»

Natalie Robichaud, la première à présenter lors de l’événement, a utilisé la grenouille comme exemple de réappropriation, qui ne fait pas l’unanimité, mais qui a trouvé de l’écho au fil des années. Comme plusieurs le savent déjà, l’histoire du terme «French Frog», lancé par des groupes non francophones pour discriminer et minorer les Acadiens, Canadiens français et Français, a eu toute une évolution. Si des personnes plus âgées associent ces deux mots à des expériences traumatisantes et à des mouvements militants, de nouvelles générations l’ont réapproprié, avec des images sur des t-shirts ou des symboles sur des logos pour des événements culturels, dont Frogstock

Robichaud a fait un pont entre l’expérience acadienne et franco-ontarienne avec les concerts de La Nuit sur l’étang, qui ont lieu annuellement depuis 1973, à Sudbury. Le premier événement était une nuit blanche, où l’on a célébré l’identité canadienne-française – devenue franco-ontarienne – en grand nombre. Pourquoi l’étang? Car il s’agit d’une référence à l’habitat des grenouilles. Le but était de se réapproprier un symbole qui, pour très longtemps, était utilisé pour faire honte. 

Je vais faire un autre pont avec une autre expérience : la mienne. Quand j’étais jeune, le mot qui me blessait le plus était un mot en F, mais pas celui lancé pour attaquer les francophones. C’était ce mot en anglais utilisé pour attaquer les personnes gaies. Il était lancé ici et là entre les jeunes de mon école et a laissé des cicatrices. 

Mais, au fil des années, en allant à la rencontre d’autres personnes queers, j’ai constaté que plusieurs se sont réapproprié le mot, pas parce que ça ne fait pas mal de l’entendre, mais parce qu’ils ne veulent plus qu’il serve d’arme. Ils ne veulent pas non plus – et c’est l’élément le plus important, selon moi – laisser leurs détracteurs prendre le contrôle de leurs récits. 

Réapproprier : reprendre pour soi-même, s’approprier ce qui a été aliéné. C’est un choix controversé, mais pour certains, c’est une nécessité afin de guérir, de faire la paix avec sa différence et d’aimer ce qui a été aliéné. 

Je fais ce pont lors du Mois de la Fierté parce que je pense que, maintenant plus que jamais, on a besoin de penser à l’acceptation de manière plurielle. Il y a une montée de la transphobie et de l’homophobie inquiétante sur notre continent, mais aussi une montée de l’extrême droite, qui a le potentiel de toucher n’importe quel membre issu d’un groupe minoritaire, car lorsqu’on persécute une minorité, on cible avant tout la différence. 

Je pense qu’il faut vraiment arrêter de voir nos luttes comme des expériences qui existent en vase clos. La seule manière d’humaniser un groupe est d’humaniser tous les groupes qui font face à la discrimination, puisque c’est, dans la grande majorité des cas, tout interconnecté. Pour y arriver, on peut commencer par connaitre et comprendre leur histoire, leurs appropriations et leurs réappropriations. 

Les injures sont très puissantes. Or, même si un mot peut me faire du mal, il ne peut pas me définir sans ma permission. Il ne peut pas non plus être au cœur de mon identité. Il peut aussi être un outil pour faire savoir aux autres qui ne seront pas les raconteurs de mon histoire. 

French Power, Black Power, Queer Power. Ça revient toujours à l’autonomisation (empowerment). Ne laissons pas la peur d’autrui changer l’amour qu’on a envers soi-même, réappropriation ou non. 

Jean-Philippe Giroux

Rédacteur en chef