le Mercredi 11 septembre 2024
le Vendredi 5 avril 2024 7:00 Éditorial

Nos histoires qui se répètent

La Une de l’édition du 14 mai 1999 du Courrier de la Nouvelle-Écosse.  — PHOTO : Archives
La Une de l’édition du 14 mai 1999 du Courrier de la Nouvelle-Écosse.
PHOTO : Archives
Avez-vous déjà voulu voyager dans le temps? C’est malheureusement un rêve qui ne pourra jamais être exaucé, mais on a quand même des outils pour s’imaginer vivre dans le passé. L’un d’entre eux est sans aucun doute la consultation des archives d’un journal comme celui que vous tenez dans vos mains ou que vous feuilletez virtuellement. Vive l’ère numérique!
Nos histoires qui se répètent
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Dans mon dernier éditorial, j’ai abordé les défis sociaux et économiques liés à l’engagement communautaire, qui est en évolution depuis le tournant du siècle. Depuis sa publication, une grande question m’est venue en tête : est-ce que l’Acadie était si différente il y a 20 ans? Est-ce qu’on fait face aux mêmes défis?

Les aînés pourraient en dire long sur les années qui se sont écoulées et écriraient sûrement un éditorial tout à fait différent. De mon côté, je me suis fié aux anciennes publications du Courrier, datant de l’année 1999. 

Au début, en passant à travers les archives, je pensais découvrir un monde totalement différent, où les problématiques se manifestent différemment. Mais, au contraire, j’avais l’impression de lire un journal sorti il y a quelques années : désaffectation des bâtiments religieux, remises de prix et de certificats, valorisation des récits des aînés, la Mi-Carême à Chéticamp, alphabétisation, fierté acadienne, définition de la chanson acadienne… je pourrais continuer, mais je n’ai qu’une page pour cet édito. 

Le texte le plus frappant était une lettre d’opinion concernant une attaque glottophobe – terme utilisé pour décrire la discrimination langagière – envers une personne de Yarmouth, qui avait pris la parole lors d’une présentation en français à Halifax. L’écrivain soulève des points qui reviennent souvent aujourd’hui comme le paternalisme entre francophones, le dénigrement des parlers et les registres de langue à l’écrit. 

L’équipe du Courrier a vécu une situation semblable l’année dernière, dans le cadre des rencontres de la tournée du Courrier sur la sécurité linguistique, lorsqu’un participant a formulé des commentaires désobligeants à propos du parler d’une autre personne présente à la rencontre. La situation aurait mérité elle aussi une lettre ouverte pour dénoncer le geste. Bref, nous voilà, 20 ans plus tard, témoin de mêmes formes de discrimination. 

Une autre lettre ouverte touche à la séparation entre les Acadiens du CSAP et ceux de l’immersion française ou des écoles anglophones, plus précisément durant les Jeux de l’Acadie. Malgré le fait que les écoles acadiennes d’aujourd’hui sont beaucoup plus inclusives qu’autrefois, on voit qu’il reste des défis pour regrouper les Acadiens, francophones et francophiles de divers parcours. Pensons aux personnes d’origine acadienne d’Amherst qui veulent célébrer leur héritage dans un espace sûr ou aux Acadiens anglophones qui assistent aux spectacles culturels que les communautés organisent, malgré la gêne qu’ils pourraient ressentir de ne pas parler la langue. 

C’est un sujet qui devient de plus en plus pertinent depuis la tenue du premier sommet du Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC). Ce dernier rapporte qu’en moyenne, 52 % des francophones dans les communautés francophones en situation minoritaire ont des compétences en littératie en dessous du seuil minimum (niveau 3) et que certaines communautés frôlent les 70 %. 

La ligne est de plus en plus mince entre francophone et francophile. La présence de l’anglais dans les écoles est assez difficile à ignorer, surtout quand on marche dans les couloirs et qu’on entend les jeunes parler principalement l’anglais entre eux, mais aussi avec le personnel de l’école. 

Comme il y a 20 ans, le rapport avec la langue dominante demeure complexe et nuancé, même si le contexte est différent, et il semble que plusieurs personnes, malgré leur éducation en français, font de l’anglais leur langue dominante. Face à cette situation, ne serait-il pas intéressant d’ouvrir la porte aux Acadiens d’autres parcours, tel que proposé en 1999?

Bon. Revenons à nos moutons, car ce n’est pas un édito sur la sociolinguistique. Est-ce que l’histoire se répète? Tout le temps, perpétuellement. Mais est-ce qu’on peut sortir des sentiers battus et faire les choses un peu différemment? Certainement. 

La première étape, c’est l’acceptation radicale, soit de ne pas résister ou combattre la réalité, mais de l’embrasser tel quel, même si elle nous fait souffrir. Ensuite, c’est de faire la paix avec le fait qu’il faut d’abord accepter la réalité pour passer aux modifications. «L’acceptation radicale repose sur l’abandon de l’illusion du contrôle et sur la volonté de remarquer et d’accepter les choses telles qu’elles sont actuellement, sans les juger», commente la psychologue Marsha Linehan. 

Mes deux dernières années au Courrier m’ont permis d’accepter, parfois à contrecœur, qu’on est impuissant face à deux choses : l’histoire et la réalité. Personne ne joue le rôle du magicien ou du Grand Manitou et personne ne va changer drastiquement le déroulement des péripéties de l’histoire d’une communauté. 

Mais ça ne veut pas dire que je ne souhaite pas que les histoires s’écrivent différemment, avec plus d’optimisme, de détermination et de joie, en dépit des défis. Et cette altération commencera assurément par l’individu, par toi, par moi et, avec un peu d’espoir, par nous. 

Jean-Philippe Giroux

Rédacteur en chef