Le Canada est un vaste pays avec des communautés très différentes les unes des autres. Même si on se limite aux communautés francophones en situation minoritaire (CFSM), on constate rapidement sa diversité. On ne peut pas mettre les francophones du Yukon, qui font partie de la 3e région la plus bilingue au Canada, et les Acadiens de Pomquet dans le même pot ou même comparer la réalité des résidents de Clare à ceux de Halifax.
Et dans certaines CFSM, la francophonie n’est même pas toujours au premier plan, car elle n’a pas besoin de l’être. C’est le cas dans plusieurs « villages gaulois » du nord de l’Ontario ou dans des municipalités majoritairement francophones. Avec un poids démographique élevé des francophones, il y a moins de crainte face au déclin, car la majorité du monde se tourne vers la langue sans même y penser, ce qui permet aux résidents de se concentrer sur d’autres questions.
C’est le cas de la Municipalité de Hearst, en Ontario, où le français est bien vivant, au point où on n’en parle presque pas. De quoi parle-t-on ? Des impôts, du logement, du sans-abrisme, de l’engagement communautaire, de l’emploi, du bois … Bref, des enjeux très typiques, mais des problématiques qui touchent tout autant les francophones de cette région.
En Nouvelle-Écosse, la situation diffère à cause de nombreux facteurs historiques, géographiques et sociolinguistiques. Les Acadiens et francophones semblent s’intéresser aux mêmes enjeux cités dans le paragraphe ci-dessus, mais on n’a pas l’impression qu’il s’agit des enjeux de la communauté acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse. Ce sont des défis de société qui interpellent à peu près tout le monde, donc qui peuvent être traités dans n’importe quel média pour n’importe quel public.
Je suis loin d’être assez expérimenté pour parler au nom de toute la communauté acadienne au singulier, n’étant dans la province que depuis maintenant un an et demi. Toutefois, il y a des choses qui me sautent aux yeux. L’une d’entre elles est l’importance des écoles acadiennes au sein des communautés. Non, la vie ne tourne pas autour d’elles, mais quand on parle de l’intersectionnalité entre la société et la francophonie, on se tourne très souvent vers les communautés scolaires, ce qui est excellent ! On mise sur l’éducation, un fait très positif.
Cela dit, il y a une partie de moi qui se demande si la francophonie néo-écossaise a de la misère à sortir des quatre murs de la salle de classe. Si oui, pourquoi ? Ne méritons-nous pas de construire des sociétés comme les autres, où on vit en français sans devoir parler du français ? Un monde où on célèbre notre héritage, mais aussi le train de la vie ?
On peut continuer à mettre l’accent sur la langue et la culture, mais à un moment donné, je pense qu’il sera très difficile de construire une communauté acadienne (au singulier) sur le long terme sans des enjeux supplémentaires pour nous unir. Et soyons honnêtes, parfois, la langue et la culture ne sont pas suffisantes pour fédérer tout le monde en Nouvelle-Écosse, à cause de nos différences linguistiques, culturelles et identitaires.
On n’a même pas besoin de se focaliser sur la langue. Si on prend par exemple Le Louisianais, un média créé en septembre dernier afin de mettre en lumière les enjeux et les succès des communautés créoles et d’expression françaises. C’était justement une demande de la communauté, et ce, pour « faire avancer les questions importantes » liées à la culture, mais aussi à l’environnement, la politique et l’éducation.
Ce sont les atomes crochus qu’on a avec les autres qui nous permettent de former une communauté, et il ne faut pas l’oublier. Si la pierre angulaire n’est que la langue et la culture, j’ai peur que la fondation de la communauté ne reste pas en place aussi longtemps qu’on l’aimerait.
Il faudrait se rassembler autour d’autres causes avec plus d’influence à long terme comme la lutte contre les changements climatiques, le développement économique et le pouvoir politique pour se construire une base plus solide et durable. Si on avait plus d’intérêts communs, j’ai l’impression qu’on serait moins isolés dans nos silos. C’est vrai qu’on ne peut pas se comparer aux milieux majoritaires, mais on peut s’inspirer d’eux pour se rallier.
Avec un Congrès mondial acadien 2024 qui arrive à grands pas, ce serait peut-être le temps d’y réfléchir, pour la jeunesse d’aujourd’hui et l’Acadie de demain.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef