le Jeudi 12 septembre 2024
le Vendredi 13 octobre 2023 7:30 Éditorial

La fatigue informationnelle, c’est normal

  PHOTO : Şahin Sezer Dinçer - Unsplash
PHOTO : Şahin Sezer Dinçer - Unsplash
Bienvenue à l’ère de l’information, où presque toutes les connaissances de l’univers sont à votre disposition. Vous n’avez qu’à poser la question à Siri, qui peut faire la recherche Google pour vous. Or, le journalisme, qui lui aussi a pour objectif de divulguer des informations, en a pris un coup ces dernières années, surtout avec le blocage de Meta en août dernier comme point culminant. 
La fatigue informationnelle, c’est normal
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Plusieurs médias croyaient que ce changement allait provoquer des remous, mais trois mois plus tard, il n’y toujours pas d’agitation. 

Depuis que les Canadiens n’ont plus accès aux nouvelles sur Instagram et Facebook, on dirait que notre fil d’actualité est plus léger, comme si la vie était plus paisible. Pourtant, le droit des femmes en Iran est encore en péril, le conflit israélo-palestinien continue de coûter des vies et le Canada a toujours de la misère à se divorcer de l’industrie pétrolière. 

Ce sont tous des enjeux discutés dans les médias traditionnels, sauf qu’on pourrait ne pas en être au courant en se fiant à nos médias sociaux préférés. Et qu’est-ce qui remplace les nouvelles sur ces réseaux ? De la désinformation ? De la propagande russe et chinoise ?

Le monde n’est pas plus rose de nos jours, mais on aimerait peut-être qu’il le soit. La fatigue informationnelle (news fatigue) n’est pas un nouveau problème, mais les médias sociaux l’ont exacerbée au cours de la dernière décennie. D’après le Rapport d’actualité numérique de 2022, la proportion de consommateurs évitant les informations augmente progressivement. 

Au Brésil, par exemple, 54 % des répondants de ce rapport affirment avoir évité la consultation des nouvelles au cours des cinq dernières années, souvent parce que les informations en question ont un effet négatif sur leur humeur, leur donnant un sentiment d’accablement et d’impuissance.

Une étudiante diplômée de la Hussman School of Journalism and Media, Heesoo Jan, explore cette lassitude dans ses recherches. « Avant l’ère d’Internet, dit-elle, le nombre d’informations était assez limité parce que les gens recevaient les informations des médias traditionnels – par exemple, les journaux et la télévision – et l’une des caractéristiques des médias traditionnels est que le temps et l’effort consacrés à la réception des informations sont limités. »

Avec X et TikTok, l’idée est de faire croire à l’utilisateur qu’il y a un nombre illimité de nouvelles. L’internaute a peur de rater des choses, explique Mme Jan, donc il reste plus longtemps que nécessaire. 

On est surexposé aux nouvelles et les effets sont dévastateurs. C’est comme aller au restaurant le ventre vide et ouvrir le menu pour découvrir qu’il y a 200 choix. En passant à travers les options, on n’a quasiment plus faim. 

Autrefois, les médias traditionnels proposaient un menu plus simple avec moins d’options. Le résultat : une prise de décision plus rapide et un choix plus convaincant, sans se sentir comme si on avait raté un plat. 

Les médias, tout comme les consommateurs, sont dépassés par le montant d’information à présenter, car aujourd’hui, on a accès à tout. Internet a ouvert la porte et maintenant, les possibilités sont infinies. Le monde n’est plus un village ou une région. Le monde d’aujourd’hui est la planète Terre. 

Malgré la beauté de cette ouverture, on fait face à un enjeu à long terme, car il est physiquement impossible de se préoccuper de tout ce qui se passe, ce qui en pousse à éviter les nouvelles complètement. « Le problème est que vous ne pourrez pas accéder aux informations dont vous avez réellement besoin et qui sont essentielles pour votre vie quotidienne, votre santé ou votre participation politique », précise Mme Jan.  

Toutefois, on peut s’en sortir. Le rapport intitulé Journalism, Media and Technology Trends and Predictions 2023 présente des solutions pour lutter contre cette fatigue, soit en réalisant plus de journalisme explicatif, d’articles en format questions-réponses, de nouvelles inspirantes et de journalisme de solution. 

Mais il faudrait surtout changer de mentalité. Comme les membres d’un village d’antan ne pouvaient connaitre que ce qui se passait dans leur voisinage, on ne peut pas tout digérer non plus. 

C’est donc à nous de sélectionner judicieusement ce qu’on doit consommer, pour se tenir informé tout en évitant l’épuisement. 

Jean-Philippe Giroux

Rédacteur en chef