
Sylvie Boulianne
Au sein de l’équipe du Courrier, on se demande parfois : « Où s’en va l’Acadie ? » Dans une mer d’anglais, il peut être compliqué de trouver sa place et de s’affirmer en tant que non-anglophone. Je pense souvent à ce qu’on pourrait accomplir sans l’assimilation, un phénomène difficile à éviter dans notre contexte. C’est trop tentant, face aux défis actuels, de ne pas s’imaginer différents scénarios quant au futur de l’Acadie et de la francophonie canadienne.
Mais ce qui me fascine le plus de l’Acadie, c’est la langue acadienne, qui n’existe nulle part ailleurs. Si un jour le français dans ma région natale, le nord de l’Ontario, disparaît pour de bon, ce serait triste, mais on pourrait tout simplement se rendre au Québec pour la retrouver. Cependant, la langue et la culture acadienne, elle est ici, seulement ici. Et je me demande parfois ce que la nouvelle génération pense de l’Acadie d’aujourd’hui et de demain.
« Si tu dis que tu l’es, ben tu l’es », m’a répondu Sylvie Boulianne, auteure-compositrice-interprète de la Baie Sainte-Marie, lorsque je lui ai demandé quelle était sa définition d’une Acadienne ou d’un Acadien. Selon elle, l’acadiennité vient du cœur. C’est un peu pareil pour Gabrielle Samson d’Isle Madame, qui inclut plein de « catégories » pour définir les membres, allant des personnes avec des ancêtres acadiens aux gens qui œuvrent envers l’épanouissement de la nation.

Valerie Kendall
Pour certains, comme Valerie Kendall, directrice générale de Radio CKJM, la réponse est courte et simple : un Acadien, c’est quelqu’un de descendance acadienne. Pour d’autres, comme le comédien Robert d’Entremont, « Acadien » est difficile à définir, car il ne s’agit pas d’un seul accent. Ce n’est pas non plus un seul endroit.
Si se définir est un processus laborieux, est-ce qu’il y a au moins un événement déclencheur pour allumer le flambeau de sa fierté identitaire ? Un aha moment ? Ce fut le cas de Robert l’année dernière, lorsqu’il a animé Havre au tchai à Dennis Point, un moment de célébration et d’introspection pour l’artiste. « J’ai été obligé de réfléchir à des questions que j’avais pas réfléchi vraiment, comme c’est quoi la fierté d’être Acadien. »
C’est précieux d’avoir un aha moment et de découvrir sa fierté. Mais au quotidien, est-ce qu’il y a aussi des p’tits aha moments, où l’on exprime et affirme son identité acadienne ? « Je vis, je chante, je respire ma culture », lance Sylvie, qu’il ne lui faut pas grand-chose pour la vivre.

Robert d’Entremont
Valerie, de son côté, vit surtout son identité acadienne dans la langue et l’accent acadien, notamment avec ses enfants. Elle me raconte à quel point elle adore les entendre sortir des mots et des expressions typiques de Chéticamp.
Mais souvent, ce n’est pas quelque chose d’identifiable. C’est simplement une partie de qui nous sommes. « Je n’ai pas le choix d’être Acadien », précise Gilles Saulnier, qui fait remarquer que, oui, son identité se vit par ses valeurs personnelles et certains choix de vie , mais, au bout du compte, son ancienneté ne se dissocie pas de son identité.
Alors, peut-on faire des choix pour changer la manière dont la communauté évolue ? Est-ce qu’on peut réellement se questionner sur le futur de l’Acadie ?
Avant de trop y réfléchir, on pourrait commencer par une prise de conscience. Selon Valerie, il faudrait commencer par accepter le fait que chaque langue autour du monde évolue et que le mélange linguistique ne date pas d’hier. « Le métissage de langue, ça existe depuis forever », renchérit Robert. Comme il dit, même le français possède des racines hétérogènes, influencé par le grec et le latin.

Gabrielle Samson
Alors, pourquoi est-ce que l’anglais suscite autant d’émoi ? Car elle marque la fin d’un chapitre, dans plusieurs cas. Valerie ne pense pas que la langue de ses grands-parents sera la langue des prochaines générations, ce qui est peut-être difficile à accepter, avoue-t-elle. Or, elle est d’avis qu’il faut apprendre à garder sa fierté acadienne tout en réévaluant ce que cette fierté symbolise aujourd’hui.
Toutefois, l’infiltration de l’anglais mène également à une zone grise et de nouveaux défis. « Pour moi, c’est quasiment une perte d’identité parce que si on parle plus français, c’est quoi qui nous sépare des autres Canadiens ? »
Les enjeux dépassent la langue dans plusieurs cas. Il y a aussi la question de l’isolement culturel. D’après Gabrielle, il faut évaluer la situation de manière réaliste. Elle croit qu’il faut d’abord plus de collaboration et de réseautage entre les communautés pour s’assurer d’aller dans la bonne direction. « Je trouve qu’on se cible trop dans nos silos et là, ça fait que les gens travaillent juste plus fort. »
Collaboration, unité, décentralisation des ressources. Des Acadiennes comme Gabrielle nous montrent qu’il y a des choix à faire et des Acadiens comme Gilles nous rappellent qu’il ne faut pas perdre espoir. Il mentionne le besoin de continuer à mettre l’accent sur les capacités de la communauté à vivre en français, pour éviter de faire une transition plus marquée vers la langue anglaise. Sinon, les prochaines générations pourraient perdre une partie de leur lien avec leur passé ou y avoir accès plus difficilement. « C’est plus une adaptation qu’une mort. »
Où s’en va l’Acadie ? Vers l’affirmation de soi, mais aussi l’adaptation, comme toutes les autres générations d’antan. Alors, je pose la question : dans quelle direction voulez-vous voir l’Acadie aller ?
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef