La langue est un fait social. Malgré les efforts de standardisation de certains groupes, on n’est jamais arrivé à freiner son cheminement. L’évolution de la langue est aussi humaine que l’humanité. Avant le français, une langue « romane », et l’anglais, qui fait partie de la famille des langues germaniques, il y avait l’indo-européen, une langue hypothétique qui est à l’origine de multiples groupes linguistiques du 21e siècle. Avec le temps et la dispersion géographique, les locuteurs de cette langue ont développé de nouvelles langues, selon cette théorie.
Il n’y pas de consensus autour de l’origine de la diversité linguistique, mais on peut tirer des conclusions en se fiant à notre réalité moderne. Pourquoi est-ce qu’un Australien, un Anglais et un Appalachien pourraient avoir de la misère à se comprendre, même si la base de leur langue est la même ? Pourquoi est-ce qu’un Acadien, un Maghrébin et un Québécois choisiraient d’utiliser l’anglais pour converser, malgré le fait qu’ils sont tous francophones ?
Comme la langue indo-européenne, qu’elle soit réelle ou non, le français n’évolue pas en vase clos, et il faut mettre en valeur cette belle facette de l’expérience humaine. Mais pour ce faire, il faut trouver l’équilibre, ce qui est plus facile à dire qu’à faire.
Dans mon quotidien, je dois penser à plusieurs choses quand je révise un texte. Il faut que je pense au lecteur, qui doit être capable de comprendre. Mais je dois aussi penser à l’auteur, qui tient à être représenté fidèlement et à reconnaître sa plume. Je ne peux non plus oublier les exigences nationales en matière de rédaction, compte tenu du fait qu’on fait partie d’un plus grand réseau de journaux francophones.
Bref, la seule option est l’équilibre. J’ai donc fixé trois objectifs pour Le Courrier qui, selon moi, peuvent se concrétiser facilement.
Une miette pour toutes et tous
On ne peut pas plaire à tout le monde, mais on peut quand même s’essayer. Non, on ne peut pas tout faire, mais on peut offrir une miette de tout pour que chacun puisse avoir un petit quelque chose qui correspond à ses intérêts. Que ça soit une chronique en acadjonne comme Notre musique de côte à côte ou un texte scientifique vulgarisé, il y a un éventail de contenu à produire.
Il y a aussi la question de la représentation. Non, on ne peut pas être partout tout le temps, mais on peut se concentrer sur différents sujets à différents moments de l’année afin de s’assurer que plus de gens se sentent représentés et entendus.
Finalement, il peut y avoir de la diversité linguistique dans les lignes d’un même article, entre l’écriture du journaliste et les citations des interviewés.
Tout bien mélanger
Un autre défi est de publier du contenu dans un français « à la hauteur » de notre lectorat. Mais quand il y a autant de registres de langue sur un même territoire, quel est le plafond en question ? Je ne pense pas qu’il y ait une réponse objective à cette question. Il faut tout simplement se mettre à la place de plusieurs personnes en même temps pour trouver un équilibre.
Des outils pour y arriver seraient, entre autres, d’incorporer des lexiques pour définir les mots qui ne peuvent pas être remplacés, de simplifier certaines phrases et de trouver des synonymes moins compliqués. Mais, comme mentionné lors de l’une de nos rencontres, il ne faut pas tout enlever, car le journal est là également pour l’apprentissage du lecteur.
Bref, c’est de mettre en place des outils pour trouver un équilibre entre un français « universitaire », qui n’est pas compris par tout le monde, et un français plus « populaire », qui, lui aussi, n’est pas familier pour tous les lecteurs.
Contenu multimédia
Les gens veulent plus d’images, plus de vidéos, plus de contenu ludique dans les infolettres. Je suis d’accord. On est au 21e siècle, il faut se brancher. C’est aussi un excellent moyen de faire rayonner des accents et des parlers, ce qui se perd lorsqu’on passe à l’écriture.
Ma seule inquiétude est que ce type de contenu journalistique éclipse les textes. Je n’ai rien contre le contenu multimédia, je l’adore. Pour certaines nouvelles, c’est la manière la plus digeste de présenter le sujet. Cela dit, si l’écriture prend le bord, on est plus un journal et on cesse d’exister.
Dans une société en évolution perpétuelle, on doit trouver l’équilibre, et ce, au rythme de notre monde. Ce n’est pas toujours évident de créer un média inclusif, mais au bout du compte, quand on voit que ça a un impact réel, on se dit que ça en vaut la peine.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef