le Mardi 18 février 2025
le Vendredi 16 juin 2023 7:00 Éditorial

Au rythme des pendules

  PHOTO - Ralph (Ravi) Kayden (Unsplash)
PHOTO - Ralph (Ravi) Kayden (Unsplash)
À huit ans, je portais du rouge à lèvres. J’aimais les complets, les costumes et les robes. Pour moi, c’était du pareil au même. J’aimais les personnages, le théâtre et le jeu de rôle, peu importe le genre. Avec un peu de recul, je peux voir que je n’étais qu’un jeune qui s’amusait. Mais, est-ce que j’essayais d'exprimer quelque chose d’autre ? Mon genre, entre autres ?
Au rythme des pendules
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Je pense qu’il y a beaucoup de personnes queers de mon âge qui se demandent quelle aurait été leur expérience à l’école s’il y avait eu une plus grande ouverture d’esprit à l’égard de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres. Notre identité aurait peut-être été forgée différemment, grâce à l’acceptation d’autrui et non le sentiment de honte. Qui sait, on a peut-être refoulé certaines facettes de notre personnalité pour se conformer, en espérant que les prochaines générations ne passeraient pas à travers la même chose. 

Même si la société a fait beaucoup de chemin depuis les émeutes de Stonewall, la crise du sida, la lutte pour le mariage pour tous et la première Journée du chandail rose, on ne vit pas encore dans un monde sans discrimination et harcèlement. D’ailleurs, comme une pendule, on dirait qu’on oscille dans le sens inverse depuis la pandémie de la COVID-19. Aux États-Unis, Human Rights Campaign a déclaré l’état d’urgence, où des centaines de projets de loi anti-LGBT, dont plus de 220 concernent les personnes transgenres, ont été déposés. 

On le ressent ici aussi en Atlantique. La semaine dernière, des centaines de manifestants de Saint-Jean, à Terre-Neuve-et-Labrador, se sont regroupés devant l’édifice de la Confédération pour dénoncer, selon eux, une hausse de propos malveillants envers les membres de la communauté 2SLGBTQIA+. Une manifestation semblable a eu lieu vendredi dernier à l’Île-du-Prince-Édouard pour protester contre la récente distribution, un peu partout en province, d’un dépliant anonyme qui remet en question les directives des écoles en matière d’identité de genre et d’inclusion. 

Et on ne peut pas oublier ce qui se passe au Nouveau-Brunswick avec les changements apportés à la politique 713. Cette dernière a été conçue afin de créer un environnement favorable et sécuritaire pour les élèves 2SLGBTQIA+. À l’issue de la récente révision de cette politique, le gouvernement Higgs a décidé que, dorénavant, une personne trans ou non binaire de moins de 16 ans sera obligée d’obtenir le consentement de ses parents afin d’utiliser un prénom ou pronoms différent à l’école . 

En gros, en respectant cette politique, il faudrait utiliser son morinom (deadname), ce qui est un manque de respect envers cette personne. Ce changement à la politique protège qui et quoi, à part l’égo du parent ? N’est-ce pas possible que l’élève n’en parle pas avec sa famille parce qu’il ne se sent pas en sécurité ? Tout être humain, peu importe l’âge, a besoin d’un espace pour s’exprimer et s’épanouir et pour plusieurs personnes 2SLGBTQIA+, cet endroit sécuritaire n’est pas la maison. 

Quand j’étais jeune, mon safe space était la maison, mais pas l’école. La première personne à qui je me suis confiée et à qui j’ai fait mon coming-out a diffusé la nouvelle un mois après ma rentrée au secondaire. C’était mon introduction aux insultes homophobes, à l’intimidation et à de graves problèmes de santé mentale. Pour m’en sortir, j’ai décidé de jeter tout ce qui se trouvait dans ma garde-robe. Je me suis acheté des vêtements amples et incolores pour passer inaperçu. 

Je regarde ce qui se passe dans le monde et, à ma déception, j’ai l’impression que certaines personnes pourraient passer à travers quelque chose de semblable, malgré mon souhait d’ados. Selon une portrait statistique de 2021 réalisé par Statistique Canada, les personnes de minorité sexuelle étaient plus susceptibles que les hétérosexuels de déclarer qu’ils considéraient leur santé mentale comme mauvaise ou passable et plus susceptibles d’avoir songé sérieusement au suicide au cours de leur vie. 

De plus, une étude de 2022 du Canadian Medical Association Journal a permis de conclure que les adolescents transgenres sont cinq fois plus susceptibles d’avoir des pensées suicidaires. Le risque d’idées suicidaires était également très élevé pour les autres membres de la communauté 2SLGBTQIA+. 

J’ai toujours eu l’impression que le progrès était un processus linéaire et que les prochaines générations n’auraient jamais à vivre ce que j’ai vécu. Mais, plus je vieillis, plus je constate que la vie est un pendule. On oscille perpétuellement, de gauche à droite et de l’avant à l’arrière et, en ce moment, on dirait qu’on revient en arrière. 

Si la vie est un pendule, la seule solution est de régler sa vitesse. J’espère qu’on pourra ralentir la cadence bientôt, car la santé et le bien-être de tant de monde en dépendent. 

En cette période un peu plus sombre, soyons brillant, coloré et flamboyant pour lutter contre la haine, le mépris et la peur qui réside dans le cœur de certains et pour rappeler aux gens qu’après la pluie vient le beau temps… et le calme. 

Jean-Philippe Giroux 

Rédacteur en chef