Comme le mentionne Annette Boudreau dans son ouvrage Dire le silence: Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, la presse est beaucoup plus qu’un diffuseur d’informations. « Les journalistes sont en effet des fabricants d’opinions, qui exercent un pouvoir certain sur les idées qui circulent sur les langues. Ils participent ainsi au maintien des normes linguistiques […] les journalistes sont à la fois les gardiennes et les gardiens de la langue […] et des instigatrices et des instigateurs de changements, leur appréciation ou dépréciation des pratiques étant réappropriées, réinvesties et mises en circulation, ce qui favorise ou non le changement linguistique ».
Il y a un débat dans le monde de la presse écrite concernant la transcription des citations qui ne fait pas toujours l’unanimité. Des médias comme Radio-Canada ont même des principes directeurs sur la qualité du français.
Alors, doit-on citer un propos mot pour mot, peu importe la formulation, ou bien « ajuster » la phrase pour respecter les règles de grammaire imposées ? Même si l’intention du reporter est bonne, est-ce que ces changements peuvent provoquer l’insécurité linguistique chez le lecteur ?
Comparativement à la radio ou à la télévision, le journal a beaucoup plus de contraintes et se veut un médium d’information fidèle à un standard linguistique à la hauteur du niveau de compréhension de son lectorat. Si un mot en anglais, un anglicisme ou un « archaïsme » passe facilement sur les ondes d’une radio, l’incorporation de ces mêmes mots dans les colonnes d’un journal peut susciter des réactions inverses.
Cette semaine, l’équipe du Courrier a commencé sa tournée provinciale dans les communautés acadiennes, avec des arrêts à Par-en-Bas et Par-en-Haut. C’est un projet que nous entamons avec enthousiasme et nervosité, et ce, pour trouver des solutions afin de créer du contenu qui représente mieux les gens qui nous lisent.
Jusqu’ici, tout va bien, mais j’aimerais souligner le fait que les gens qu’on a rencontrés ne partagent pas tous la même perspective. Pour chaque personne qui souhaite valoriser davantage les mots de la langue acadienne, acadionne ou acadjonne, il y a une autre personne qui résiste ou qui ne voit pas le lien entre la presse écrite et l’insécurité linguistique.
Nos premières rencontres nous ont permis de colliger des solutions et des suggestions pour faire du Courrier un média plus inclusif. En voici quelques-unes : prendre en compte la grammaire de la langue acadienne, mais éviter de mettre « trop de franglais » dans des textes, plus de contenu multimédia, de poésie et d’oeuvres littéraires, travailler sur des lexiques pour accompagner les articles, plus de témoignages de monsieur et madame Tout-le-Monde, etc.
Au-delà de notre objectif principal, à mon avis, ces regroupements ont servi de zones neutres pour parler de l’insécurité linguistique, un sujet qui est encore tabou dans certains milieux. C’était un moment d’écoute, de réflexion et de travail sur sa compassion. Même si la discussion tournait autour de la presse écrite, j’ai eu l’impression que les gens se sont donné la permission de parler, de se confier et de trouver les atomes crochus qu’ils ont avec les autres participants. Bref, c’est un début.
Mon opinion, c’est qu’il y a absolument un lien entre l’insécurité linguistique et la perte d’intérêt dans la presse écrite. Non, évidemment, ce n’est pas le seul facteur. On sait qu’avec les réseaux sociaux, le monde consomme beaucoup plus de vidéos et de podcasts. D’ailleurs, en 2018, une étude pancanadienne a permis de déterminer que 90 % des jeunes de 18 à 35 ans se tiennent informés surtout grâce aux médias sociaux.
Cependant, selon mon expérience personnelle, je ressens absolument que les gens préfèrent la radio et la télévision pour des raisons qui me semblent évidentes, et je suis d’avis qu’il est dangereux de prétendre qu’il s’agit d’une coïncidence.
Je ne pense pas que le Courrier mène une révolution dans le domaine de la presse écrite, mais j’espère qu’on pourra au moins entamer une conversation fructueuse autour du rôle d’un journal dans la représentation de la langue, et pour commencer, on va écouter.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef