Les origines du masque remontent aux civilisations pré-industrielles. Les plus anciens ont été confectionnés par les Égyptiens, les Incas et les Aztèques, sans oublier les Premières Nations de l’Île de la Tortue, dont les Iroquois du bassin inférieur des Grands Lacs et les Haïdas de la côte ouest du Canada. Le couvre-visage était porté lors des rituels pour cacher la personnalité du célébrant et présenter le visage de l’être divin.
Durant l’époque de la Grèce antique, le masque devient un symbole de caractérisation du personnage sur scène. Le port du masque correspond toujours aux cérémonies religieuses, mais l’aspect théâtral est davantage évident. Chaque œuvre représente un personnage différent – le roi, le héros, la divinité – avec des traits distincts pour différentes émotions.
Le masque a commencé à perdre son caractère magique vers la période de la Renaissance. Les visages artificiels du théâtre de la Commedia dell’arte, entre autres, font fureur à travers l’Europe en imposant le masque comme personnage.
Aujourd’hui, le masque est utilisé dans le domaine de la danse et lors des célébrations du carnaval. En Acadie, les déguisements sortent pendant la Mi-Carême. Dans la région de Chéticamp, mais aussi dans d’autres régions acadiennes comme Clare, cette célébration a pour but de « soulager les gens des sacrifices du carême ».
L’humain, peu importe l’époque, semble bien aimer le masque et le costume. C’est une manière de s’amuser, de sortir de sa bulle et de découvrir de nouvelles facettes de sa personnalité. En se déguisant, on change d’humeur et d’attitude, comme si l’on devient temporairement quelqu’un d’autre.
Mais ce n’est pas tous les types de personnifications qui sont acceptées. Dernièrement, l’État du Tennessee a légiféré contre les spectacles de drag sur son territoire, criminalisant les performances de ce genre qui incorporent costumes et maquillage. Le projet de loi, l’un parmi plus de 400 projets dits anti-LGBT+ ayant été dénombés cette année aux États-Unis, entrera en vigueur dans quelques semaines. Dès lors, les spectacles de drag queens à moins de 1 000 pieds des écoles seront interdits.
Certains, notamment les auteurs dudit projet de loi, sont contre la soi-disant nature sexuelle et inappropriée de cet art pour les enfants. Le plus ironique est qu’une image du gouverneur Bill Lee circule sur les réseaux sociaux depuis l’annonce. Dans cette image, il porte une robe et une perruque pour incarner le rôle de la « Hard Luck Woman », comme s’il faisait lui-même du drag.
Je n’ai jamais compris cet instinct de rendre le monde incolore, de censurer et de politiser certaines formes d’expression, surtout quand elles apportent tant de joie dans la vie des gens.
Je ne mets pas les célébrations de la Mi-Carême et le drag dans le même pot, car elles sont deux choses très différentes, l’une célébrant la tradition et l’autre l’expression. Mais, ayant vu des performances avec des gens masqués et des gens en drag, j’ai remarqué une magie semblable dans les yeux des spectateurs, peu importe le type de divertissement.
La tradition de la Mi-Carême se perpétue, même si la société devient de moins en moins pratiquante. Mais pourquoi ? Car c’est amusant !
Je crois que le désir de se perdre dans le jeu de la comédie fait partie intégrante de l’expérience humaine. Il ne faut pas perdre ce réflexe de jouer et de présenter des personnages autres que celui qu’on incarne au quotidien. Comme le dit si bien la drag queen RuPaul : « Le drag ne change pas qui tu es, en fait, il te révèle qui tu es ».
En regardant les images des activités de la Mi-Carême qui se sont déroulées récemment à Chéticamp, je vois des gens qui lâchent prise et qui s’amusent pour soulager et divertir les autres.
C’est une tradition humaine tellement précieuse qui mérite d’être préservée et célébrée, quelle que soit la forme.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef