On peut remercier Travis Price pour la création de ce geste de gentillesse. Lors de sa première journée d’école en 12e année à l’école Central Kings Rural High School de Cambridge, en Nouvelle-Écosse, Travis a appris qu’un élève de la 9e année était victime d’intimidation. Le fait qu’il portait un chandail rose a fait de lui une cible d’insultes homophobes et de menaces de violence physique.
Travis a voulu agir. Avec l’aide de son ami, David Shepherd, il réussit à convaincre des centaines d’élèves à revenir le jour suivant à l’école en portant des vêtements roses. La Journée du chandail rose est maintenant un mouvement international de lutte contre l’intimidation grâce à la gentillesse et la bonne volonté de Travis et son ami.

Et plus de 15 ans plus tard, le mouvement a encore beaucoup d’importance. D’après l’étude de Statistique Canada Victimisation par intimidation chez les jeunes de la diversité sexuelle et de genre au Canada, sept jeunes sur 10 dans la tranche d’âge de 15 à 17 ans ont déclaré avoir subi de l’intimidation à un moment ou un autre entre 2018 et 2019. L’étude se focalise notamment sur les effets de l’intimidation sur les personnes de la communauté LGBTQ2+ : « 77 % des jeunes de la diversité sexuelle et de genre avaient été victimes d’intimidation au cours de l’année précédente. Il s’agit d’une proportion plus élevée que celle observée chez les jeunes cisgenres attirés exclusivement par des personnes d’un genre différent (69 %). »
Bien que le pourcentage soit plus élevé chez les jeunes de la diversité sexuelle et de genre, notons que celui de la population cisgenre et hétérosexuelle, 69 %, est très élevé, peu importe l’identité en question. D’après une autre étude menée en 2020 par l’Agence de la santé publique du Canada, parmi un échantillon de jeunes de la 6e à la 12e année, 20 % ont déclaré avoir été intimidés au cours des deux derniers mois précédant l’entrevue pour effectuer le travail de collecte de données.
Je ne sais pas si l’on peut vivre dans un monde sans intimidation, mais j’aimerais croire que l’on peut vivre dans un monde avec moins d’intimidation. Et je pense que cet idéal se rapproche de plus en plus de notre réalité, selon mon expérience personnelle.
J’ai grandi dans des écoles catholiques francophones en Ontario, un coin de pays encore très religieux, avec un code de vie et des règles qui correspondent avec la mentalité de la religion catholique. Même si ce n’était pas dit explicitement, on savait qu’être LGBTQ2+ n’était pas entièrement accepté. Il n’y avait pas de club queer à l’école et aucune affiche ou aucun dessin pour représenter les différentes couleurs de l’arc-en-ciel. Bref, il fallait en parler discrètement et judicieusement. Cette réalité, comme vous pouvez vous l’imaginez, n’a pas fait grand-chose pour minimiser les instances d’intimidation, surtout envers les membres de la communauté LGBTQ2+.
Mais en 2022, huit ans après avoir obtenu mon diplôme, les écoles secondaires du Conseil scolaire catholique de district des Grandes Rivières ont hissé pour la première fois le drapeau LGBTQ2+, à ma surprise. C’était un gros choix de leur part qui, j’en suis sûr, n’a pas fait l’unanimité.
À peine un an après cet événement, je me retrouve en Nouvelle-Écosse pour découvrir une réalité différente. Il y a quelques semaines, je suis allé visiter les couloirs de l’École secondaire de Clare. Arrivé au deuxième étage, j’étais étonné de voir les murailles de drapeaux représentant toutes les communautés de la diversité sexuelle et de genre, quelque chose que je n’aurais jamais pu voir sur les murs de mon école lorsque j’étais au secondaire. J’étais encore plus ému de voir une affiche pour un club d’alliance.
J’ai ressenti plusieurs émotions. À ce moment, je me suis demandé quelle a été l’expérience des jeunes qui ont traversé ces couloirs sachant qu’ils ont la permission totale de s’exprimer comme bon leur semble. Je suis certain que ça n’a pas été facile, qu’il y a eu des obstacles et des défis. Mais, j’ose croire qu’il y a eu aussi une certaine liberté d’être authentique.
Même si le monde n’est pas toujours rose, ce sont des moments comme celui que j’ai eu à l’École secondaire de Clare qui me poussent à revoir la vie en rose. Même si la vie n’est pas parfaite, je choisis de croire qu’on va dans la bonne direction.
Et quand les méchants sortent de leur grotte, je me rappelle qu’il y aura toujours des gens comme Travis Price pour changer la situation et rendre le monde meilleur… et plus rose.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef