J’imagine que bon nombre d’employeurs aimeraient se sentir aussi puissants que M. Manitou face à la pénurie de main-d’œuvre qui touche beaucoup de secteurs, mais nous sommes loin de vivre dans un conte de fées. Dommage.
C’est la réalité du 21e siècle : il n’y a pas assez de travailleurs hautement qualifiés pour pourvoir tous les postes. C’est ce qu’on me dit souvent quand je demande aux employeurs et recruteurs quel est leur plus grand obstacle.
L’équation n’est pas complexe : un accroissement naturel négatif de la population de plus qu’une automatisation remplaçant les emplois moins qualifiés nous amène vers un nouveau monde du travail qui se cherche avec difficultés.
En se fiant au pire scénario projeté, les données de Statistique Canada démontrent que la croissance totale de la Nouvelle-Écosse pourrait chuter de 7,5 % d’ici 2043, avec un taux de mortalité de 14,7 % et un taux de natalité de 7,2 %. À partir de 2030, plus d’un quart des personnes en province auront soixante ans ou plus, affirme le gouvernement de la Nouvelle-Écosse.
Au cours des deux prochaines décennies, le poids démographique de la province devrait passer de 2,6 % en 2018 à environ 2,1 % en 2043. Il va sans dire que les régions rurales seront les plus touchées, avec la croissance exponentielle de la population des centres urbains, dont Halifax.
Comme mentionné plus tôt, au problème s’ajoutent les changements technologiques qui transforment nos emplois, comme les robots qui remplacent les caissières et les chauffeurs de camion. Cette automatisation est présente également dans le domaine du journalisme, notamment lors de la période des élections, et ce, pour alléger la tâche des journalistes qui couvrent de vastes territoires.
D’après McKinsey & Company, près de 50 % de toutes les activités professionnelles à l’échelle mondiale pourraient être automatisées grâce aux technologies avancées. « Cela entraînerait une baisse de la demande de main-d’œuvre dans certains domaines et une hausse de la demande dans d’autres, ce qui obligerait un grand nombre de personnes à changer de profession », constate les auteurs du projet Immigration et revitalisation de l’Atlantique du Forum des politiques publiques (FPP).
Un sondage mené par Manpower Group, une société multinationale qui tente de trouver des solutions de main-d’œuvre, a conclu que 54 % des 43 pays et territoires visés par leur travail de recherche ont « déclaré éprouver des difficultés à pourvoir des postes vacants pour des employés en 2019 ». À l’échelle du Canada, ce pourcentage est de 48 %.
Et le contexte des Provinces atlantiques est encore pire à cause de son isolement géographique et de son économie dépendante des ressources. Depuis 2000, dans l’Est canadien, les trois principales industries qui ont connu une perte nette de l’emploi sont le secteur manufacturier (-25 300), la pêche (-8 000) et la foresterie (-5 000). « On estime que 76 % des nouveaux emplois seront créés dans des professions hautement qualifiées entre 2017 et 2026 », précise le FPP.
En regardant ce portrait, on dirait qu’on a plutôt un déficit de compétences de la main-d’œuvre, ce que je trouve tout à fait étonnant. On n’a jamais eu autant de gens ayant terminé des études supérieures. Pourtant, on arrive à peine à compléter nos équipes. On est entouré de gens avec une panoplie de qualités et de talents, mais ils n’ont malheureusement pas les qualifications pour le poste.
Parfois, j’ai l’impression que nos sentiers battus ne nous mènent nulle part. Mais que faire ? En prenant comme exemple le secteur du journalisme, le manque de personnel est tellement grave que certains journaux recrutent et forment de jeunes journalistes avant qu’ils terminent leurs études. Et on ne peut pas les blâmer, avec l’offre qui surpasse la demande.
Il est peut-être le temps de s’ouvrir à la formation en dehors de l’école et d’accepter que le travail est la deuxième école des débutants. C’est déjà le cas dans plusieurs entreprises qui offrent du mentorat ou des études à temps partiel en dehors du travail pour mieux encadrer l’employé.
Il faut aussi tenir compte de la mission sociale de l’entreprise pour cerner les valeurs de l’employé, offrir une expérience agréable, pas juste un boulot, créer une ambiance invitante, etc. Le nombre d’options ne fait qu’augmenter et ça va de soi que les travailleurs vont choisir la possibilité la plus alléchante.
Même si l’on ne possède pas les pouvoirs du Grand Manitou, avec un peu d’ingéniosité, de créativité et de bonne volonté, je crois qu’on peut changer la donne, tranquillement, pas vite, comme par magie.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef