En mai dernier, je posais mes valises en Nouvelle-Écosse et je débutais une nouvelle aventure avec Le Courrier de la Nouvelle-Écosse. S’installer en Nouvelle-Écosse après dix années passées au Québec et une trentaine en France avant ça, ce n’est pas une mince affaire.
Ce qu’il faut accepter avant tout, c’est de quitter son statut de francophone en situation majoritaire. C’est une nouvelle réalité, un Nouveau Monde régi par de nouvelles règles qu’il faut apprivoiser. On est désormais de l’autre côté du mur. Un mur qu’il faut escalader tous les jours pour continuer de vivre et de s’épanouir dans sa langue, au risque de la perdre.
Et ce n’est pas seulement notre langue qui est en jeu. Ce sont nos valeurs, nos références communes, notre culture. Tous ces éléments forment un tout indissociable que l’on appelle l’identité. Surgit alors ce nouveau sentiment, jamais expérimenté avant, le risque de pouvoir perdre cette identité.
Et c’est à ce moment précis que la communauté joue un rôle essentiel, vital même. On est désormais en situation minoritaire, mais l’on apprend très rapidement que l’on peut compter sur l’appui d’un réseau tout entier dédié à réduire le fossé entre majorité et minorité. Un fossé qui peut sembler vertigineux à de nombreux égards. Encore plus vertigineux, quand les dernières données du recensement canadien démontrent que la langue décline.
On s’engage alors dans un combat quotidien pour maintenir ce que l’on est, préserver notre identité. Le tout, au sein d’une société qui n’est pas organisée pour vous. Un combat qui, à bien des égards, pourrait sembler perdu d’avance. Le risque d’épuisement n’est jamais bien loin, le risque de baisser les bras face à l’ampleur de la tâche est constant. Et pourtant, il faut célébrer l’énergie déployée des uns et des autres pour défendre cette identité.
En tant que nouvel arrivant en Nouvelle-Écosse, on se sent parfois submergé par cette vitalité visant à défendre et faire vivre cette culture. Il s’en passe des choses en Nouvelle-Écosse au sein de nos communautés !
Il faut le dire haut et fort, nous sommes plus qu’une position défavorable au sein d’une majorité.
Justement, la vitalité communautaire était au cœur des réflexions de la 54e assemblée générale annuelle, Conseil provincial des membres et Forum communautaire de la FANÉ, à Dartmouth les 21, 22 et 23 octobre 2022.
Y participer pour la première fois, c’est ressentir un sentiment double et contradictoire. On ressent à la fois une grande excitation, de l’enthousiasme et de la combativité et en même temps, on constate une forme de lassitude et d’épuisement.
Les grands combats épuisent, on le sait, surtout lorsque les résultats peinent à se faire sentir. Le français recule, le poids démographique de nos communautés également. Beaucoup de membres vivent cette difficulté à se maintenir à flot, à « joindre les deux bouts », comme on dit en France. La résilience peut montrer ses limites.
Il faut alors saluer les efforts de la FANÉ qui, tout au long de cet important évènement, a veillé à tirer ses membres vers le haut. Parler des défis, oui, mais surtout élaborer des pistes de solutions, des avenues de collaborations. L’union fait la force ou encore, le tout est plus grand que la somme des parties, en quelque sorte. Ces solutions sont souvent plus proches que nous ne le pensons.
En tant que communauté(s), nous avons des leviers, des soutiens à différents échelons gouvernementaux : Patrimoine canadien, les Affaires acadiennes, le Commissariat aux langues officielles … Bien que vitaux, ces soutiens ont leurs propres limites, en matière de financement notamment. Il faut faire attention aux risques d’institutionnalisation de notre position de communauté minoritaire. Oui, les soutiens politiques et financiers de ces institutions sont essentiels, il faut continuer de militer pour plus de financement, il s’agit avant tout d’une question d’équité.
Cependant, cela n’est pas suffisant. Les communautés acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse ne se résument pas à leur position minoritaire. Il faut le dire haut et fort, nous sommes plus qu’une position défavorable au sein d’une majorité. Un exemple comme celui de la Commission scolaire acadienne provinciale nous a prouvé qu’en un quart de siècle seulement, l’impossible est possible. Le certificat de mérite Léger-Comeau remis à Mme Glenda Doucet-Boudreau nous démontre que les solutions viennent le plus souvent de la communauté elle-même, de ses membres, en partenariat avec les institutions qui nous financent et non pas l’inverse.
Le monde de demain et la résilience de nos communautés seront à l’image des décisions qui seront prises aujourd’hui.

Remise du certificat de mérite Léger-Comeau à Mme Glenda Doucet-Boudreau pour son incroyable contribution au développement des communautés acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse. Nous lui devons notamment une importante contribution à la création des classes homogènes.
- Collaborer entre communautés
Nous devons nous questionner sur notre capacité, en tant que communautés, à collaborer et à nous soutenir mutuellement. Tout au long de cette fin de semaine, à juste titre, le risque du travail en silo a été mentionné par M. Kenneth Deveau. Les silos sont géographiques, sectoriels, mais aussi générationnels. Il suffisait de regarder comment les invités étaient répartis aux tables du banquet samedi dernier, pour observer la matérialisation de ces silos devant nos yeux. C’est une piste de progrès pour laquelle nous avons tous une responsabilité et un rôle à jouer. Il ne peut y avoir d’innovation sans confrontation à d’autres réalités, à d’autres perspectives, en affaires comme dans tout autre domaine.
- Être le narrateur de notre propre récit
Nous devons aussi réfléchir à notre capacité en tant que communautés, à nous allier pour reprendre le contrôle de notre propre récit. Il faut plus que jamais promouvoir nos réussites. Nous manquons de visibilité et nos capacités à communiquer et à faire rayonner notre culture au-delà de nos cercles, sont limitées. Nous avons sans doute plus d’alliés que nous le pensons. Les terres de nos ancêtres et les aboiteaux ont créé un sol fertile. La Nouvelle-Écosse peut compter sur une nouvelle génération de créateurs et d’artistes qu’il faut promouvoir. Pour qu’une culture rayonne, elle doit être mise de l’avant sinon elle se meurt.
- Coexister entre générations, dans le respect
Nos communautés vivent une période de transition générationnelle. Cet événement peut donner le sentiment de deux générations qui cohabitent sans pour autant réussir à trouver les outils pour coexister. Personnellement, j’ai eu le sentiment qu’une jeune relève peine à se faire entendre et à être prise au sérieux. Il faut faire attention aux fausses représentations. Beaucoup de jeunes ont à cœur leur culture et la préservation de leur langue. Il faut simplement accepter que cette culture et cette langue soient en mouvement et s’adaptent à leur environnement. Il faut savoir reconnaître les bâtisseurs de nos communautés, c’est certain, mais réfléchissons dans le même temps à la façon de promouvoir les leaders du futur. N’oublions jamais que ce sont eux qui construiront les aboiteaux de demain… Le Conseil jeunesse provincial (CJP) est une force de proposition en la matière, il faut les écouter et passer à l’action. C’est à la portée de tous.
Le monde de demain et la résilience de nos communautés seront à l’image des décisions qui seront prises aujourd’hui.
À l’issue de cette importante fin de semaine auprès des membres de la FANÉ, la Société de Presse Acadienne et le Courrier de la Nouvelle-Écosse et son équipe réitèrent ses engagements:
- Celui de collaborer davantage avec les membres des communautés
- Celui de contribuer activement à promouvoir la richesse de nos communautés
- Enfin, celui d’accorder une place plus grande à la jeunesse en position de leadership en son sein
Au dernier festival du film documentaire de Lunenburg, fut projeté le film “Roots of Fire” d’Abby Berendt Lavoi et de Jeremey Lavoi. Ce film nous parle de la jeune génération d’artistes qui se bat pour maintenir une culture cadienne vibrante en Louisiane, malgré un contexte défavorable. À la fin du documentaire, on peut entendre l’artiste Jourdan Thibodeaux (Jourdan Thibodeaux et les Rôdailleurs) prononcer ces mots : “Nous ne sommes pas un livre d’histoire, nous ne sommes pas un musée, nous sommes une culture bien vivante – a living and breathing culture.”
En Nouvelle-Écosse, notre situation n’est pas si différente. Avant d’être une minorité, nous sommes avant tout une culture vivante. Comme nous l’a rappelé le ministre des Affaires acadiennes, M. Colton LeBlanc, nous sommes des communautés florissantes.
Ne l’oublions jamais.