
Tiana Meralli Ballou est éducatrice communautaire francophone au sein de Youth Project.
Les notions d’identité de genre et d’orientation sexuelle sont explicitement présentes dans les programmes scolaires de la Nouvelle-Écosse à partir de la quatrième année, que ce soit dans le cursus francophone ou anglophone.
Côté anglophone, de la quatrième à la sixième année, ces questions sont abordées dans le programme d’éducation à la santé, refondu en 2021.
En quatrième année, les élèves sont censés discuter d’expressions de genre, de construction sociale du genre ou encore des préjugés liés aux genres. En cinquième année, ils doivent enquêter sur la représentation médiatique des genres. En sixième année, ils sont appelés à s’intéresser aux stéréotypes liés au langage.
En septième et huitième années, ces notions se retrouvent dans le programme intitulé « Vie saine », qui date de 2022. Les élèves doivent trouver des sources d’informations fiables sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ou encore réfléchir aux conséquences sur la santé physique et mentale des attentes de la société en matière d’expressions de genre.
En revanche, il n’y a plus aucune trace de ces thématiques de la neuvième à la douzième année.

Années scolaires qui abordent l’identité de genre et l’orientation sexuelle en Nouvelle-Écosse.
Des programmes en accord avec l’UNESCO
Côté francophone, la découverte des concepts d’identité de genre, d’orientation sexuelle et de sexualité fait clairement partie des résultats d’apprentissage de la quatrième année à la sixième année.
En septième et huitième années, les programmes d’études du Conseil scolaire acadien provincial (CSAP) n’en font plus mention.
En neuvième année, les adolescents réfléchissent à l’impact des stéréotypes des rôles attribués aux genres sur les relations. Mais, de la dixième à la douzième année, à nouveau, les curriculums ne traitent plus de ces enjeux.

Laurie Martin-Muranyi est directrice générale du Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse.
« Tout n’est pas un résultat d’apprentissage, ça ne fait pas nécessairement partie des programmes au secondaire, mais c’est un sujet de conversation », explique Ryan Lutes, président du Syndicat des enseignants de Nouvelle-Écosse.
Le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de Nouvelle-Écosse assure que les programmes suivent des lignes directrices nationales et internationales, y compris les principes directeurs de l’UNESCO sur l’éducation à la sexualité.
« Le document de l’UNESCO nous aide à nous assurer que les concepts et l’enseignement concernant le genre sont adaptés à l’âge et au développement », affirme le ministère par courriel.
Dans ce même courriel, le ministère met en avant la Politique provinciale sur l’éducation inclusive, entrée en vigueur en septembre 2020 : « Cette politique est en place pour s’assurer que l’apprentissage et l’enseignement dans toutes les matières confirment les expériences vécues de tous les élèves et de leurs familles. »
Le Centre régional d’éducation d’Halifax, celui du Cape Breton-Victoria et le CSAP affirment également que toutes leurs écoles veillent à ce que la diversité et l’équité fassent partie des programmes d’études.
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Cynthia Sweeney est fondatrice de Simply Good Form.
Le personnel enseignant coincé
« Nos ressources pédagogiques sont régulièrement révisées pour s’assurer qu’elles tiennent compte des réalités culturelles », précise le Centre régional d’éducation du Cape Breton-Victoria par courriel.
Rohini Bannerjee, professeure et vice-présidente associée à la diversité à l’Université Saint-Mary’s, estime ces mises à jour essentielles.
« Les curriculums doivent refléter la nouvelle réalité démographique de la Nouvelle-Écosse, avec des nouveaux arrivants qui viennent de cultures où les notions de deuxième ou troisième genre sont tout à fait normales », souligne l’universitaire.
Mais ces efforts restent insuffisants aux yeux de Veronica Merryfield, fondatrice du Cape Breton Transgender Network (CBTN) : « Le contenu des programmes souffre d’un manque de représentation de la communauté 2SLGBTQIA+ au sein des instances qui conseillent le ministère de l’Éducation. »
Aussi, dans les salles de classe, les moyens et les heures de cours ne suivent pas toujours.
Au sein du CSAP et des centres régionaux d’éducation, des équipes diversité et équité sont présentes pour appuyer le corps enseignant. Elles sont notamment formées pour offrir des ateliers sur l’identité de genre et la sexualité.
Mais le personnel enseignant demeure tiraillé entre l’urgence de rendre les écoles inclusives et l’urgence de boucler le programme.

Rohini Bannerjee est professeure et vice-présidente associée à la diversité à l’Université Saint-Mary’s.
« Certaines écoles font très bien, d’autres ne font rien »
« Il y a de fortes différences entre les écoles et au sein d’une même école. Tout va dépendre de la sensibilité du professeur et de ses valeurs personnelles. S’il n’est pas confortable avec le sujet, il va faire l’impasse », constate Tiana Meralli Ballou, éducatrice communautaire francophone au sein de Youth Project, un groupe de défense des droits 2SLGBTQIA+.
« Il n’y a aucune cohérence. Certaines écoles font très bien, d’autres ne font rien, que ce soit en milieu urbain ou rural. Les écoles se reposent souvent sur le travail d’organismes communautaires locaux », se désole Veronica Merryfield du CBTN.
L’organisme Youth Project intervient ainsi dans de nombreux établissements scolaires de la province.
« On vient à la demande des directions ou des enseignants, mais ça reste ponctuel. On aimerait mettre sur pied des tournées systématiques dans les écoles », observe Tiana Meralli Ballou.
« Les écoles doivent être proactives. Elles agissent trop souvent en réaction à quelque chose qui se passe mal », poursuit Cynthia Sweeney, fondatrice de Simply Good Form, qui offre des formations sur l’inclusivité aux élèves et au personnel enseignant des établissements scolaires néo-écossais.
Les personnes interrogées sont unanimes : une réelle éducation passe par la formation du personnel enseignant.
L’an dernier, le Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse (CJP) a offert un atelier à une trentaine d’enseignants et enseignantes du CSAP sur ces questions.
Cet atelier, animé par une personne de la communauté 2SLGBTQIA+, a révélé un grand manque de connaissances, selon Laurie Martin-Muranyi, directrice générale du CJP.

Veronica Merryfield est fondatrice du Cape Breton Transgender Network.
Peur de mal faire
« On a vu à quel point les enseignants n’ont pas le même niveau de connaissance et de langage que la jeune génération, rapporte la responsable. Sans aucun jugement, il faut les outiller, leur donner des informations validées et actualisées afin de créer des ponts. »
« Parce que ce sont eux qui sont là au quotidien, on doit leur donner une base de connaissances solide pour leur donner confiance. Ils doivent se sentir prêts, car s’ils ont peur de mal faire, ils ne vont rien faire du tout », renchérit Tiana Meralli Ballou.
Les personnes interrogées plaident également en faveur d’une approche pluridisciplinaire. Autrement dit, elles invitent le personnel enseignant à parler d’identité de genre et d’éducation sexuelle dans toutes les disciplines et non pas à réserver cet enseignement à une matière précise.
« Ça doit faire partie de la façon de travailler des enseignants. Ça doit irriguer le contenu de leurs cours que ce soit en maths, en histoire ou en littératie », insiste Rohini Bannerjee.
Avec l’ambition d’aider le corps enseignant, certains centres régionaux d’éducation, comme celui du Cape Breton-Victoria, mettent déjà en ligne des ressources pédagogiques adaptées aux enjeux 2SLGBTQIA+.
« Pendant trop longtemps, les personnes de la communauté 2SLGBTQIA+ ont été effacées des curriculums », déplore Cynthia Sweeney.
Pour la fondatrice de Simply Good Form, il est nécessaire de mettre davantage en lumière des modèles queers, transgenres ou non binaires dans le matériel pédagogique.
Lexique
Diversité sexuelle et de genre : Expression englobant toutes les orientations sexuelles et la pluralité des identités et des expressions de genre. Ce terme rassemble les personnes homosexuelles, bisexuelles, trans et appartenant à d’autres communautés, comme les personnes queers, intersexes, asexuelles, bispirituelles, etc.
Expression de genre : Manière dont une personne se présente au monde, notamment en personnalisant son apparence (coiffure, vêtements, maquillage, etc.). Une personne peut avoir une expression de genre plutôt féminine, plutôt masculine ou un peu des deux (androgyne). L’identité de genre et l’expression de genre sont deux choses distinctes.
Identité de genre : Sensation intérieure qui amène une personne à définir son genre (à se définir, par exemple, comme homme, femme ou non-binaire). Il s’agit d’une connaissance intime, profonde et personnelle de soi qui peut continuer d’évoluer et de fluctuer tout au long de la vie. L’identité de genre n’est pas déterminée par le sexe biologique de la personne et peut ne pas correspondre au sexe assigné à la naissance.
Non-binaire : Personne dont l’identité de genre n’est ni exclusivement masculine, ni exclusivement féminine. Cette identité peut se définir comme un mélange de féminin et de masculin, à la fois féminin et masculin, ou aucun des deux. Cette identité peut également être fluide.
Orientation sexuelle : Attirance romantique ou sexuelle portée par une personne envers une autre personne en fonction de son identité de genre (attirance envers le même genre que le sien, un genre différent du sien, plusieurs genres, aucun genre).