le Jeudi 12 septembre 2024
le Lundi 19 juin 2023 9:00 Actualités provinciales

L’enseignement de l’identité de genre provoque des remous en Nouvelle-Écosse

L’enseignement de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle dans les écoles de Nouvelle-Écosse est un sujet polémique.  — PHOTO - Kenny Elissa (Unsplash)
L’enseignement de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle dans les écoles de Nouvelle-Écosse est un sujet polémique.
PHOTO - Kenny Elissa (Unsplash)
Parler ou non d’identité de genre et d’orientation sexuelle à l’école reste un sujet clivant en Nouvelle-Écosse. Alors que les spécialistes, dans leur ensemble, plaident pour un enseignement dès le plus jeune âge, des parents retirent leurs enfants des établissements les jours où ces sujets sont abordés. Les personnes interrogées estiment que, derrière ces réactions, se cache notamment un discours de haine et de la désinformation en provenance des États-Unis.
L’enseignement de l’identité de genre provoque des remous en Nouvelle-Écosse
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 Tiana Meralli Ballou est éducatrice communautaire francophone au sein de Youth Project.

PHOTO - Courtoisie

 « Régulièrement, des parents retirent leurs enfants des écoles quand ils apprennent qu’on vient parler de sexe assigné à la naissance, de pluralité et d’expression des genres et de diversité sexuelle », raconte Tiana Meralli Ballou, éducatrice communautaire francophone au sein de Youth Project

L’organisme à but non lucratif intervient sur les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre dans les écoles néo-écossaises francophones et anglophones, de la maternelle au secondaire, depuis plus de 30 ans.

« Lorsque des écoles organisent des journées de célébration de la communauté 2SLGBTQIA+, certains parents demandent souvent de garder leurs enfants à la maison », confirme Cynthia Sweeney, fondatrice de Simply Good Form

L’entreprise offre notamment des formations sur l’inclusivité aux élèves et au personnel enseignant d’établissements scolaires de Nouvelle-Écosse.

Dans le même temps, les actes de haine et de discrimination à l’encontre de la communauté 2SLGBTQIA+ se multiplient dans la province.

Laurie Martin-Muranyi est directrice générale du Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse.

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Drapeau de la Fierté brulé

En avril, des élèves appartenant à la communauté 2SLGBTQIA+ ont affirmé que l’intimidation est en hausse à l’école Riverview au Cap-Breton. Le drapeau de la Fierté a également été brulé à l’école Bay View, près d’Halifax.

Le centre régional d’éducation d’Halifax, qui regroupe 135 écoles et 57 000 élèves anglophones, se veut rassurant et affirme, par courriel, que « la plupart des élèves comprennent la nécessité de créer un espace sûr pour tous leurs camarades de classe ».

Le même son de cloche se fait entendre du côté du Centre régional d’éducation du Cap-Breton-Victoria et du Conseil scolaire acadien provincial (CSAP). Le CSAP compte 22 établissements francophones, fréquentés par plus de 6 500 élèves. 

Les deux centres tiennent des propos identiques dans leur courriel de réponse : « Tous les élèves doivent se sentir à l’aise à l’école et avoir le sentiment d’appartenir à leur école. » Le CSAP veut « permettre à tous les jeunes de s’épanouir dans un environnement accueillant, sain et sécuritaire ». 

Exprimer son « vrai moi »

Des organismes représentants des enseignants, des parents et la jeunesse plaident, eux aussi, en faveur de l’enseignement de l’identité de genre. 

« C’est important de développer l’empathie et la sensibilité des élèves, de promouvoir l’acceptation de la diversité et les valeurs de vivre-ensemble », insiste Nicole Dupuis, directrice générale de la Fédération des parents acadiens de la Nouvelle-Écosse (FPANÉ).

« Les écoles doivent être des lieux surs et inclusifs pour que tous les élèves puissent exprimer leur vrai moi et se sentir eux-mêmes », renchérit Ryan Lutes, président du Syndicat des enseignants de la Nouvelle-Écosse (NSTU).

Laurie Martin-Muranyi, directrice générale du Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse (CJP), abonde dans le même sens : « C’est essentiel d’aborder ces questions qui touchent à la définition de soi. Et pouvoir le faire dans sa langue, c’est encore plus important. »

Même au sein de la chrétienté, des voix s’élèvent en faveur de cet enseignement en milieu scolaire. 

« Notre style de vie hétérosexuel s’est imposé dans notre culture, mais nous devrions tous nous affirmer indépendamment de notre orientation sexuelle, parce que c’est ainsi que Dieu nous a créés », confie Kevin Little, pasteur de l’Église Unie Bethany à Halifax.

En réalité, les tensions se cristallisent surtout autour de l’enseignement aux plus jeunes.

À lire aussi : Transformer sa langue et ses habitudes (Chronique)

Cynthia Sweeney est fondatrice de Simply Good Form.

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Des ateliers pour tout-petits annulés

En avril, le CSAP a ainsi dû suspendre des ateliers destinés aux élèves de la maternelle à la cinquième année à l’école Beaubassin à Halifax, après la tenue d’une première activité. 

Dans une lettre ouverte adressée à la communauté scolaire de l’établissement, Michel Collette, directeur général du CSAP, évoque de « vives réactions de la part des membres de la communauté » et s’excuse de ne pas avoir prévenu les parents. 

« Ça devrait être un sujet normal. Il ne devrait pas y avoir besoin d’annoncer ce type d’activités », considère Constance MacLeod, mère de deux enfants scolarisés à l’école Beaubassin en deuxième et quatrième année et présidente du comité de parents. Ses enfants ont pu assister à l’atelier avant sa suspension.

« Ils ont trouvé ça intéressant. Ils m’ont expliqué avec leurs mots qu’on pouvait naitre fille ou garçon, mais qu’on pouvait se sentir différent à l’intérieur », raconte-t-elle, se disant «déçue» de la tournure prise par les évènements.

Elle soutient qu’au sein du comité de parents, tous les membres sont favorables à cet enseignement. 

Le contenu des ateliers est adapté à chaque âge, rappelle Tiana Meralli Ballou de Youth Project. 

Les plus petits, jusqu’en deuxième année, peuvent écouter des histoires, tandis que les plus grands peuvent manipuler des poupées, les habiller, leur donner leurs pronoms, leur sexe assigné à la naissance, leur identité et expression de genre. 

Nicole Dupuis est directrice générale de la Fédération des parents acadiens de la Nouvelle-Écosse.

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Points de vue irréconciliables  

Veronica Merryfield, fondatrice du Cape Breton Transgender Network (CBTN), insiste sur l’importance de parler du genre dès le plus jeune âge. 

« Les personnes transgenres ont conscience de leur transidentité très tôt et les enfants commencent à explorer leur identité de genre vers 3 ans, relève la militante. Si on n’en parle pas au primaire ou même pendant la petite enfance, certains élèves sentiront que leur identité n’est pas correcte. Ils se sentiront oubliés et exclus. » 

Un avis que partage Rohini Bannerjee, professeure et vice-présidente associée à la diversité à l’Université Saint-Mary’s : « Il n’est jamais trop tôt pour engager la conversation et casser les normes hétéronormées. L’intolérance commence chez les petits dans toutes les interactions du quotidien. »

Mais beaucoup de parents d’élèves contestent et pensent que ce n’est pas le rôle de l’école d’aborder ces sujets. 

« C’est totalement inapproprié d’en parler avant la quatrième année, les enfants doivent être autorisés à rester des enfants aussi longtemps que possible. L’école devrait guider nos enfants, et non les manipuler », estime Michelle Weihers, une mère de famille, signataire de la pétition « Say no to drag events for children! ». Cette pétition a été lancée à la suite de l’organisation d’un spectacle de drag queens pour toute la famille à Kentville.

La Néo-Écossaise dénonce une « sexualisation des enfants » et craint une recrudescence des problèmes de santé mentale. « Personne au sein du système scolaire et du gouvernement de la province ne nous écoute », regrette-t-elle.  

À lire aussi : Transidentité : les hauts et les bas du parcours d’une mama (Acadie Nouvelle) 

Rohini Bannerjee est professeure et vice-présidente associée à la diversité à l’Université Saint-Mary’s.

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« Peur de l’inconnu »

Qu’est-ce qui fait si peur dans la question de l’enseignement de l’identité de genre ? 

« C’est un sujet sensible et délicat, car l’identité est quelque chose de très personnel. La charge émotionnelle est forte, les parents veulent tout particulièrement consentir à ces choix d’éducation là », analyse Laurie Martin-Muranyi du CJP. 

Cynthia Sweeney pointe également la «désinformation» qui se répand à l’extérieur des salles de classe : « Il y a un discours de haine en provenance des États-Unis qui occupe de plus en plus d’espace chez nous. »

À lire aussi : Le genre n’est pas à débattre (Chronique) 

« Le débat crispé traduit de la méconnaissance et une peur de l’inconnu, mais aussi des convictions culturelles et religieuses différentes », poursuit Rohini Bannerjee de l’Université Saint-Mary’s. 

Elle rappelle à cet égard que la construction du genre est purement culturelle. « Le monde occidental met récemment des mots dessus, mais il y a plein de manières de vivre le genre selon plein de cultures », détaille l’universitaire. Elle prend l’exemple de la bispiritualité, cette identité de genre propre aux Autochtones.   

En attendant, la Floride vient d’adopter une loi interdisant l’enseignement sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle à l’école. Le débat risque de se polariser encore davantage en Nouvelle-Écosse, comme partout ailleurs au Canada. 

Veronica Merryfield est fondatrice du Cap Breton Transgender Network.

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Constance MacLeod est mère de deux enfants scolarisés à l’école francophone de Beaubassin d’Halifax et présidente du Comité de parents.

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Ryan Lutes est président du Syndicat des enseignants de Nouvelle-Écosse.

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Kevin Little est pasteur de l’Église Unie Bethany à Halifax.

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Michelle Weihers est contre l’enseignement de l’identité de genre.

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