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le Jeudi 19 octobre 2023 11:00 Rubrique - Aux mille couleurs de Kjipuktuk… avec HD

Loretta Gould : couleurs et merveilles

Des œuvres de l’artiste visuelle L’Nu Loretta Gould.  — PHOTOS : Henri-Dominique Paratte
Des œuvres de l’artiste visuelle L’Nu Loretta Gould.
PHOTOS : Henri-Dominique Paratte
Il était difficile de ne pas voir de tableaux ou de reproductions de tableaux de l’artiste visuelle L’Nu Loretta Gould durant la préparation et lors des Jeux autochtones de l’Amérique du Nord à Halifax l’été passé. On a pu rencontrer l’artiste, qui avec sa plus jeune fille et son mari peignait devant une tente du village culturel installé sur le terrain communal.
Loretta Gould : couleurs et merveilles
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On a aussi pu, dans les tentes installées au bord du havre, se rendre compte que le talent créateur peut se poursuivre de génération en génération, puisque les œuvres de Shianne Gould, une fille plus âgée, figuraient en bonne place dans un kiosque d’artistes visuels micmacs.

Loretta Gould, née en 1976 et mère de famille (cinq enfants), de la Première Nation We’koqma’q (Waycobah), au Cap-Breton, n’a pas de « formation » picturale acquise dans une école d’art, selon la tradition de l’Occident blanc bourgeois. Elle n’est pas pour autant une artiste « naïve », terme qu’on applique trop facilement à des artistes autodidactes comme Eva Comeau Hersey ou Maud Lewis. 

Au départ, Loretta est une courtepointière, une artisane. Ne pouvant s’offrir une courtepointe qui lui plaisait, elle a décidé de faire les siennes, et leur qualité visuelle lui a permis d’en tirer un revenu pour sa famille. 

En 2013, catastrophe ! Sa machine à coudre casse. Elle décide alors de se mettre à la peinture acrylique pour réaliser des toiles qui, pour l’amateur d’art autochtone, rejoignent le courant des pionniers du style Woodland comme Norval Morrisseau ou Daphne Odjig. 

Le tableau, aux couleurs intenses, offre une image symbolique, évoquant l’univers des mythes et la spiritualité des peuples autochtones de l’île de la Tortue, avec bien sûr de nombreuses variations selon les peuples et les régions. Il n’y avait pas moins de 750 nations différentes aux Jeux autochtones de l’Amérique du Nord (JAAN). 

Des œuvres de l’artiste visuelle L’Nu Loretta Gould.

Ce qui frappe chez Loretta Gould, ce sont les thèmes proprement féminins, la volonté de relier la féminité individuelle aux grands rythmes du monde et de la Terre-Mère. Un arbre devient femme, une femme devient étoiles. Sa fille, Shianne, prolongera cette vision d’une manière différente, mais tout aussi intense…

Formes et couleurs ouvrent un monde mystérieux et fascinant : c’est pour cela qu’on en a fait 24 grands panneaux en matériau semi-transparent pour la salle d’enregistrement de l’Aéroport Stanfield en 2022. Celle-ci s’emplit de couleurs, de femmes, d’ours, de canoës, d’arbres – des liens constants entre les mondes végétal, animal, et humain. Les générations succèdent aux générations dans une harmonie profonde des formes, des êtres, et des couleurs. Et les voyageurs sont plongés dans le fait que cet aéroport est en Mi’kma’ki.

Une artiste doit vivre, surtout lorsqu’elle doit tenir compte des besoins d’une famille. Les toiles originales de Loretta Gould sont aujourd’hui largement hors de portée pour l’amateur moyen. Mais, dans le village culturel, un public admiratif, autochtone ou non, se pressait en grand nombre pour acquérir l’une des belles reproductions numérotées, signées, et vite épuisées. 

Le mari de l’artiste, Elliott, a lui aussi un talent artistique. Si on peut commander en ligne, une part essentielle de ses tâches est de transporter toiles et matériel. Il y a aussi les reproductions en plus petit format sur des cartes de vœux par exemple. L’art est avant tout partage et cette œuvre déborde l’espace étroit et souvent spécialisé des galeries, même si elle fait partie des artistes autochtones de la galerie Friends United, entre autres. 

Loretta Gould, qui est de plus en plus connue à travers le pays et dont de nombreuses reproductions signées sont maintenant épuisées, ne s’est pas limitée au seul domaine visuel. Auteure ou collaboratrice visuelle, elle donne au livre de George Paul, aux éditions Bouton d’Or Acadie, sur le chant d’honneur mi’kmaw – un morceau qui a largement retenti durant les JAAN ! – des illustrations saisissantes autant qu’inspirantes. On pourra le trouver au Salon du livre à l’École du Carrefour du 26 au 28 octobre. 

Loretta Gould : mère, artiste, créatrice, femme qui partage avec nous des dons qui semblent lui être venus tout simplement, avec le temps, mais n’en sont pas moins exceptionnels. La vie, la spiritualité, les jeux de lumière et de couleurs, la réflexion par l’art sur le sens de la vie et les valeurs du monde. Tout cela se retrouve dans ces toiles dont, une fois qu’on a dit « c’est beau », on se pose des questions qui vont au-delà des mots, très profondes dans notre âme et nos émotions. 

On y voit aussi, comme dans Our Presents, sous les ailes d’une libellule, un homme qui pêche des anguilles. Comme le père de Loretta le fait encore aujourd’hui. L’art, c’est la vie.

Où sont les frontières entre l’art et l’artisanat ? Tous deux participent du même besoin de création et de partage. Il n’est pas surprenant aujourd’hui que l’on célèbre sur le bâtiment du stationnement pour l’Hôpital QE2, sur le terrain communal, l’héritage du travail sur les textiles dans la province, avec une œuvre de l’artiste sino-canadienne Andrea Tsang Jackson… qui est aussi courtepointière. 

Les réseaux sociaux vous permettront d’entrer en contact tant avec Loretta qu’avec Shianne Gould. Et regardez les œuvres présentées sur le site Internet de Friends United.