Le vendredi 19 mai, alors que la remise des diplômes (la « collation des grades ») battait son plein à l’Université du Mont Saint-Vincent, la réunion de l’ACFAS-Acadie avait lieu en « présentiel » et en ligne pour la première fois depuis la pandémie, et ce, sur le campus d’une institution anglophone. Présents, une vingtaine de membres en présentiel, une trentaine en ligne.
L’ACFAS, c’est un organisme qui remonte à 1923, donc il y a un siècle. Son but ? L’avancement des sciences en milieu canadien-français, des sciences de la vie aux mathématiques, des sciences naturelles aux sciences humaines. Le siège est à Montréal, mais il y a maintenant des ACFAS régionales qui regroupent les chercheur.es. L’ACFAS-Acadie dessert le plus grand territoire en dehors du Québec. Il y avait au Mont des professeurs-chercheurs de partout en Atlantique.
Selon Erwan Bertin, professeur de chimie à Saint-François Xavier, la pandémie a été sans doute difficile pour les enseignants, mais surtout pour les étudiants, qu’elle a considérablement désorientés.
Comme plusieurs autres, ce professeur de sciences apprécie des programmes qui lui ont permis, par exemple, d’envoyer en stage à l’INRS (Institut National de la Recherche Scientifique), au Québec, un étudiant dans le domaine de l’électrochimie… dont la première langue n’était pas le français.
Mais quel étudiant.e ne serait pas tenté.e de fonctionner en français aussi, lorsque cela permet de démultiplier les possibilités pour une carrière future ? Un chimiste n’a pas besoin de lire les œuvres complètes de Balzac ou d’Antonine Maillet… pas plus que le chimiste anglophone Charles Dickens ou Margaret Atwood !
La rencontre nous a offert une occasion de voir à quel point l’ACFAS et sa branche régionale étaient actives, non seulement par une table ronde sur les possibilités de développer le réseau des chercheurs que par une multiplication des ponts avec francophones et francophiles dans les universités anglophones des Maritimes. Le physicien Chérif Mata a bien montré qu’il était possible et souhaitable de publier dans d’autres langues que l’anglais : le français et l’espagnol, entre autres.
Un but des colloques a toujours été de pouvoir échanger, faire le point et découvrir de nouveaux centres d’intérêt. La professeure Juliette Valcke, enseignante de français au département de langues modernes du Mont Saint-Vincent, a bien mis en relief le sentiment d’isolement que peuvent rencontrer des enseignants-chercheurs francophones et francophiles qui vivent, en dehors de leurs cours, la majorité de leur vie professionnelle en anglais. C’était d’ailleurs le but du panel, réunissant Kenneth Deveau, Jimmy Thibeault et Chérif Mata, que nous faire réfléchir aux moyens possibles de mieux se rencontrer.
Un regard sur le panneau plurilingue à l’entrée du Mont Saint-Vincent ou la composition du club français de cette même université montre bien la diversification considérable du monde universitaire atlantique à l’heure actuelle. Sonia Moubarik, analyste du discours politique ayant fait ses études, y compris son doctorat, au Maroc, avant de rejoindre les rangs du corps professoral de l’Université Sainte-Anne (USA), est une preuve évidente de cette diversification et de cette internationalisation. Nous sommes peut-être sur l’île de la Tortue, mais nous sommes reliés au monde entier…
Nous avons besoin de nous voir, de nous parler, de nous rencontrer. Pourtant, on ne peut nier que la pandémie, en poussant au développement massif de moyens de communication en ligne, a eu des effets positifs autant que négatifs. C’est ainsi que, le 17 mai, dans les bureaux de Halifax de l’Équipe d’alphabétisation Nouvelle-Écosse, Stéphanie Saint-Pierre, historienne à l’USA, présentait une conférence très complète et bien documentée sur l’enseignement de l’histoire dans le contexte de Vérité et Réconciliation.
Cela ne concerne pas seulement l’histoire autochtone – même si celle-ci, qui devra être faite par les communautés autochtones elles-mêmes, remet en question un certain nombre de principes de l’histoire telle que définie jusqu’ici par les normes eurocentrées qui dominent notre vision – mais aussi l’histoire de l’Acadie. C’est ainsi que la professeure Saint-Pierre a pu nous présenter la même situation historique, celle de l’établissement de l’Ile Sainte-Croix, selon deux perspectives bien différentes : un texte de 2004 de l’Université du Maine, un texte de 2019 de l’Encyclopédie canadienne.
Les jeunes de demain ne deviendront pas tous historiens et n’auront pas forcément de postes à l’université – le manque de moyens force souvent des étudiants à reporter leur participation à des cours par manque de place – mais tous auront en tête ce qu’on leur aura enseigné et la perspective dans laquelle ce sera fait. Et un certain nombre rejoindront des réseaux de chercheurs comme l’Acfas-Acadie…