Parmi d’autres thèmes qu’il faudrait explorer davantage pour mieux comprendre le rôle et la vie des femmes dans la société acadienne, elle signale l’émigration aux États-Unis, sujet de la série de chroniques que nous avons inaugurée le mois dernier.
Nous avons déjà signalé que, parmi les effets de l’émigration, les femmes acadiennes seraient entrées en contact de nouvelles idées, d’autres façons de faire et des perspectives professionnelles que leurs mères et grand-mères ne connaissaient pas forcément. Attirées par le désir d’aider autrui et par le prestige de ce domaine, plusieurs d’entre elles vont choisir une carrière en soins infirmiers.
C’est vrai qu’il existait plusieurs écoles aux Maritimes, telles que la Saint Martha’s School of Nursing, située à Antigonish, le Victoria General Hospital à Halifax et les écoles catholiques Hôtel-Dieu au Nouveau-Brunswick. Mais les programmes aux États-Unis offraient certains avantages: par exemple, la limite d’âge était parfois plus basse qu’au Canada.
Aux États-Unis, la formation aux soins infirmiers s’est instituée véritablement dans les années 1870, avec la fondation d’écoles de formation à l’hôpital Bellevue de New York, à l’hôpital d’État du Connecticut et au Massachusetts General Hospital à Boston.
De nombreuses Acadiennes vont prendre connaissance de ces programmes grâce aux annonces et au bouche-à-oreille. D’après les recherches de Susan Reverby, près d’un tiers des femmes qui ont suivi une formation dans ce domaine à Boston entre 1900 et 1939 provenaient des Maritimes.
En revanche, certaines d’entre elles partiront à la recherche d’emploi, après avoir reçu leur diplôme d’écoles canadiennes.
La sélection des candidates était stricte et les programmes étaient exigeants. Généralement affiliés à un hôpital, ils duraient de deux à trois ans et offraient un enseignement théorique ainsi qu’une formation clinique.
L’école d’infirmières du Boston City Hospital admettait seulement les jeunes femmes «d’un caractère irréprochable et en bonne santé» qui devaient «avoir un sens aigu du devoir et être prêtes à se conformer à des règles de discipline strictes».
Les infirmières étudiantes travaillaient jusqu’à une douzaine d’heures par jour et avaient très peu de jours de congé. Elles recevaient environ sept dollars par mois. Leurs tâches comprenaient souvent le nettoyage, la lessive, la préparation des repas, la stérilisation de l’équipement de l’hôpital ainsi que les soins directs aux patients.
En raison des exigences de la carrière, mais aussi pour des raisons personnelles, environ la moitié des infirmières sont restées célibataires. Celles qui se marient le font plus tard et ont peu d’enfants. En revanche, elles jouissent d’une certaine aisance matérielle. Bien sûr, plusieurs d’entre elles rentrent en Nouvelle-Écosse pour soigner leurs proches malades ou prendre leur retraite.
L’exemple des sœurs Amirault, auxquelles Carmen d’Entremont s’est intéressée dans le cadre de notre projet, illustre le parcours des infirmières acadiennes aux États-Unis.
À l’âge de 19 ans, Frances Augusta Amirault, originaire de Pubnico-Est, embarque sur le S.S. Yarmouth à destination de Boston. En 1914, elle obtient un diplôme de l’école d’infirmières de l’Hôpital Memorial de Nashua (New Hampshire). Au milieu des années 1940, après avoir travaillé au Massachusetts, Frances retourne à Nashua. Elle devient la première infirmière industrielle de la compagnie J. F. McElwain, fabricant de chaussures.
En 1922, sa sœur, Johanna Amirault, ou Joan, va suivre une formation d’infirmière à Nashua. Une fois ses études terminées, elle accepte un emploi dans ce même hôpital. En 1934, Joan épouse Edmund Sweeney. Le couple aura une fille.
En 1937, vers l’âge de 24 ans, Ann Amanda, surnommée Annie, rejoint ses sœurs aux États. Elle vient de recevoir un diplôme de l’école d’infirmières de l’hôpital St. Martha d’Antigonish, où elle avait remporté le prix du révérend Walter Michael Roberts pour la meilleure note en éthique. Elle avait aussi obtenu la meilleure note en anatomie.
Elle trouve un poste au département de chirurgie à l’hôpital de Norwood, où elle rencontre le docteur Harold Gordon Lee, un chirurgien orthopédique. Annie et Harold se marient et travaillent ensemble dans divers hôpitaux de plusieurs régions de la Nouvelle-Angleterre.
En 1948, Frances retourne à Pubnico pour élever les enfants de sa sœur, Grace, qui est décédée. Annie et Harold retourneront au pays, eux aussi, après leur retraite en 1967.

Catherine Pothier devant des tentes pour blessés de guerre.
Plusieurs infirmières acadiennes se sont démarquées et distinguées. Parmi celles-ci, il y a Régine Comeau (1902-1997) de Comeauville, fille de Grace Sheehan et du sénateur J. Willie Comeau. Après le décès de sa mère, la jeune Régine passe quelques années dans un couvent avant de se rendre à New York pour une formation en soins de santé.
Au moment de terminer ses études à la Kings County Hospital Center School of Nursing, à Brooklyn, elle obtient une moyenne de 97 %, ce qui lui vaut la médaille d’or de l’établissement.
Plus d’un millier de personnes assisteront cette année-là à la cérémonie de remise des diplômes, au sujet de laquelle un article paru dans un journal américain donne ces détails: «Le jour de sa remise de diplôme, Mlle Comeau a reçu de nombreux cadeaux de la part de ses associés et de ses amis, et sa chambre à l’hôpital était remplie, dit-on, de cadeaux et de fleurs.»
Avec l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale, certaines infirmières acadiennes s’occuperont de prisonniers ainsi que de soldats blessés sur le front.
C’est en s’engageant dans le corps infirmier américain que Catherine Pothier (1899-1969), qui a immigré aux États-Unis après avoir travaillé à Montréal dans un premier temps, contribuera au combat contre le fascisme. Au printemps 1943, elle est envoyée en Afrique du Nord, puis en Italie, où elle servira comme ambulancière et infirmière psychiatrique. Que de défis et d’aventures!
Ces profils de migrantes acadiennes vous intéressent? Près de 200 esquisses biographiques de ces femmes à la fois ordinaires et exceptionnelles ont été préparées par notre équipe de chercheuses bénévoles, affiliées à la Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie, à l’Association Madeleine LeBlanc, au Musée des Acadiens des Pubnicos et centre de recherche et à l’Association des Acadiennes d’Argyle.
Le public pourra les découvrir lorsque nous présenterons à nouveau notre exposition «Nos tantes font des vagues» en 2025. De plus amples renseignements seront fournis dans notre prochaine et ultime chronique à ce sujet.
Cette chronique a été rédigée par Clint Bruce, Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales, avec Carmen d’Entremont, associée de recherche.