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Partir aux États: expériences migratoires de femmes acadiennes (1re partie)

Lancement de l’exposition à l’Université Sainte-Anne le 16 août 2024. — PHOTO : Clint Bruce
Lancement de l’exposition à l’Université Sainte-Anne le 16 août 2024.
PHOTO : Clint Bruce
Née à Pubnico-Ouest en 1919, Phyllis d’Entremont allait prendre plus tard, alors jeune adulte, le chemin emprunté par beaucoup d’Acadiens et d’Acadiennes de son époque: émigrer aux États-Unis. Cinq de ses sœurs ont fait le même choix, et un frère aussi.
Partir aux États: expériences migratoires de femmes acadiennes (1re partie)
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D’abord serveuse à Boston, elle déménage ensuite à Long Island (New York), où elle étudie le design intérieur avant d’ouvrir sa propre boutique, «The Acadian Collection». En 1944, elle épouse John Redecha, l’homme avec qui elle aura deux enfants. Passionnée de la mode, Phyllis va se maquiller et s’habiller chic jusqu’à son décès… à 102 ans!

Fascinant, certes, le parcours de Phyllis n’est qu’un exemple parmi tant d’autres histoires tout aussi captivantes de l’émigration acadienne vers le nord-est des États-Unis, entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e siècle. C’est ce phénomène qui a fait l’objet d’une exposition lancée au mois d’aout, «Nos tantes font des vagues : expériences migratoires de femmes acadiennes». 

Dans cette chronique et celles qui suivront, il s’agira de faire connaitre cette facette méconnue de l’histoire acadienne.

Deux points d’abord sur l’exposition. 

Celle-ci s’inscrit dans un vaste projet de recherche intitulé «Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord, 1640-1940», ou TSMF, sous la direction du professeur Yves Frenette de l’Université de Saint-Boniface, historien et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les migrations, les transferts et les communautés francophones. 

Phyllis (d’Entremont), designer d’intérieur née à Pubnico-Ouest, avec son mari John Redecha à New York. 

PHOTO : CR2023.19.6, Centre de recherche PCD

Financée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), cette initiative réunit un grand nombre de chercheurs et d’organismes partenaires dans le but de mieux comprendre les mouvements et les processus migratoires qui ont façonné nos communautés francophones, et ce, dans presque toutes les régions du continent. L’Acadie y trouve une place de choix.

Deuxième point: notre exposition, qui est coordonnée par Carmen d’Entremont, associée de recherche à l’Observatoire Nord/Sud, est le fruit d’une démarche collaborative qui a débuté il y a plus de cinq ans. Cette collaboration réunit un comité de chercheuses bénévoles de Clare, affiliées à la Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie et à l’Association Madeleine LeBlanc, et d’Argyle, affiliées, quant à elles, à l’Association des Acadiennes d’Argyle ainsi qu’au Musée des Acadiens des Pubnicos et centre de recherche dont les ressources nous ont été précieuses.

Animées par les souvenirs de leurs tantes et d’autres membres de leurs familles qui sont parties aux États-Unis, ces bénévoles se sont mobilisées pour recueillir auprès des gens de la communauté des documents et des récits de migrations. Ainsi, nous avons pu constituer une importante collection de photos qui ont été numérisées à l’Observatoire Nord/Sud. 

Les efforts du comité sont venus enrichir les enquêtes menées par les chercheurs universitaires, notamment Carmen d’Entremont et moi-même, avec l’aide de plusieurs assistants de recherche.

Que faut-il savoir en découvrant cette exposition? D’une part, l’émigration des Acadiennes et Acadiens vers les États-Unis s’inscrit dans un vaste mouvement qui touche l’ensemble des provinces maritimes ainsi que la population canadienne-française. Nous sommes alors à l’ère de l’industrialisation et de la modernisation. 

Notons, d’autre part, que cette période correspond à celle des grandes vagues d’immigration vers les Amériques, principalement en provenance d’Europe: entre 1870 et 1930, plus de 25 millions de nouveaux arrivants et de nouvelles arrivantes s’installèrent aux États-Unis. L’immigration franco-canadienne, quant à elle, totalise environ 900 000 personnes sur près d’un siècle. 

Si beaucoup de ces migrants rêvent d’y faire leur vie pour de bon, une proportion considérable retourne dans leur pays d’origine. Nous parlons alors de «migrations circulaires» pour décrire ce va-et-vient entre les régions d’origine et le pays d’accueil.

Quant aux jeunes femmes du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, la plupart d’entre elles se sont dirigées vers la Nouvelle-Angleterre, mais aussi à destination de New York. En plus de chercher du travail et des opportunités éducatives, elles ont émigré pour s’éloigner d’un mode de vie traditionnel, s’épanouir et vivre de nouvelles expériences.

L’émigration depuis les provinces maritimes a eu un impact majeur sur les communautés francophones tout en implantant de nouvelles branches de la diaspora acadienne aux États-Unis. S’il est essentiel de comprendre ce contexte général, notre exposition privilégie tout autant des récits de vie d’individus. 

Car il n’y a rien de banal dans l’histoire de toutes ces migrantes acadiennes. Prenons encore l’exemple de Phyllis (d’Entremont) Redecha, originaire de Pubnico-Ouest et fondatrice de «The Acadian Collection». Après sa retraite en 2012, elle reste encore plusieurs années aux États-Unis. Cependant, à l’âge de 97 ans, elle décide de rentrer en Nouvelle-Écosse, où elle finira ses jours en 2021, dans le pays d’Acadie qui l’avait vu naitre et grandir, et qu’elle n’avait jamais oubliée.

Lancée le 16 aout à l’Université Sainte-Anne, c’est-à-dire pendant le Congrès mondial acadien, puis le 25 aout au centre communautaire de Pubnico-Est, notre exposition a attiré beaucoup d’attention et d’éloges. Pour cette raison, «Nos tantes font des vagues» sera accessible à nouveau l’an prochain – lieu et dates à déterminer. 

D’ici là, notre intention est de donner aux lectrices et lecteurs du Courrier l’envie de voir l’exposition, certes, mais aussi de s’intéresser davantage à leur propre passé familial.

Ce texte a été rédigé par Clint Bruce, Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales, avec Carmen d’Entremont, associée de recherche.