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le Jeudi 30 mai 2024 7:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

La crise du cacao : quel avenir pour le chocolat? (1re partie)

Poudre de cacao et carrés de chocolat, deux produits dérivés du fruit du cacaoyer.  — PHOTO: Formulate Health - Wikimedia Commons
Poudre de cacao et carrés de chocolat, deux produits dérivés du fruit du cacaoyer.
PHOTO: Formulate Health - Wikimedia Commons
«Nous essayons juste de tenir bon.» C’est avec autant de résignation que de détermination que Tareq Hadhad, propriétaire-gérant de la chocolaterie Peace by Chocolate, s’exprime face à la situation actuelle de son industrie. Pourtant, son entreprise, sise à Antigonish et fondée en 2016 après l’immigration de sa famille qui fuyait la guerre en Syrie, représente l’une des plus inspirantes histoires de réussite de notre province, jusqu’au point d’être célébrée dans un film sorti il y a trois ans. Quel est donc le problème?
La crise du cacao : quel avenir pour le chocolat? (1re partie)
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Vous l’avez peut-être lu ou entendu : le prix du chocolat est en train de flamber. À terme, nos friandises préférées deviendront peut-être des produits de luxe. En se confiant récemment à CTV News, M. Hadhad déplorait que «le monde traverse une période difficile» en raison de l’inflation, qui met à mal le budget du commun des mortels. Il ne veut surtout pas augmenter ses prix, mais il se peut fort bien que la conjoncture lui force la main.

En mars, le cours du cacao, c’est-à-dire l’ingrédient de base du chocolat, dépassait 10 000 $ la tonne. C’était un record – le triple du prix de l’an dernier. Cette envolée fulgurante ne s’attribue pas uniquement à l’inflation généralisée, qui est en voie de se stabiliser d’ailleurs. L’industrie du cacao est confrontée à une crise sans précédent, circonstances qu’il s’agira de décrypter dans cette chronique et dans celle qui suivra.

Car, bien que cette crise relève de plusieurs conditions spécifiques à la filière du cacao, elle reflète également des mutations, qui nous guettent à l’ère du changement climatique. 

Depuis quelque temps, une maladie ravage les cacaoyers d’Afrique de l’Ouest, où se trouve une très grande proportion d’exploitations de cacao. Par conséquent, la production mondiale de cet «or brun» aura chuté d’environ 15 % de 2022 à 2024, passant de 5 242 000 tonnes à 4 449 000 tonnes. Pourtant, la demande ne fait que s’accroître. Contrairement à ce qui peut se produire dans d’autres contextes, la hausse de la valeur de ce produit ne bénéficie en rien à l’industrie et encore moins aux agriculteurs.

L’une des caractéristiques du secteur du cacao, c’est justement sa concentration dans quelques zones restreintes de la planète. Près des trois quarts du cacao produit dans le monde proviennent du continent africain. 

Qui plus est, deux pays, à savoir la Côte d’Ivoire et le Ghana, comptent pour près de 60 % de la production annuelle. À elle seule, la Côte d’Ivoire accapare 44 % du marché d’exportation – c’est énorme! 

Le cacao est également cultivé en Amérique du Sud et en Amérique centrale ainsi qu’en Asie du Sud-Est, surtout en Indonésie, et en Océanie, notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Torréfaction artisanale de fèves de cacao dans un village du Mexique.

PHOTO: Alejandro Linares Garcia - Wikimedia Commons

Toutefois, c’est bel et bien dans les forêts tropicales des Amériques que naît l’histoire de cet arbre sempervirent, dit Theobroma cacao en latin. «Theobroma» signifie «nourriture des dieux», rappel des bienfaits qui lui attribuaient les peuples de la Mésoamérique, qui ont tout d’abord cultivé et transformé les graines du cacaoyer ou cacaotier : les Olmèques, puis les Mayas et les Aztèques à nous devons le mot «chocolat». 

C’est dans la foulée de la colonisation espagnole, au tournant du 16e siècle, que le cacao traverse l’Atlantique pour devenir un produit très prisé à la cour d’Espagne puis dans les autres pays. 

Pendant très longtemps, le cacao est surtout consommé comme boisson, amère et bien plus épaisse que le chocolat chaud, qui égaie nos soirées d’hiver. Avec le thé et le café, il fait partie des stimulants dont l’usage se répand en Europe en raison du colonialisme. C’est surtout à partir du 19e siècle que le chocolat se métamorphose en bonbon, tel que nous le connaissons dans ses formes les plus ordinaires en Amérique comme en Europe. 

La transformation du cacao implique plusieurs étapes. Les graines du cacaoyer ou fèves de cacaos se cachent à l’intérieur de la cabosse, fruit ressemblant à un football américain. Après leur extraction, les fèves passent par la fermentation et le séchage avant d’être torréfiées – ce qui leur confère la couleur que nous associons au chocolat – puis concassées et broyées. Voilà le processus qui donne la poudre de cacao dans sa version la plus simple, même si d’autres étapes vont s’ajouter pour en arriver aux autres dérivés.

Le cacaoyer pousse dans les régions équatoriales et ne tolère pas n’importe quelles conditions. Cela nous amène à l’un des facteurs majeurs de la situation actuelle : c’est une plante relativement fragile qui souffre des variations de température et qui craint les précipitations excessives comme la sécheresse. 

En ce moment, les plantations d’Afrique de l’Ouest sont en train d’être décimées par la pourriture brune des cabosses du cacaoyer. La transmission de cette maladie, qui diminue le rendement des arbres et qui en tue un certain nombre, est causée par les fortes pluies qui s’abattent sur la région.

Ainsi, les dérèglements météorologiques dus au changement climatique y sont pour beaucoup dans la pénurie du cacao, qui s’observe dans les prix de nos barres de chocolat. Mais il y a d’autres raisons, liées plutôt à l’économie politique de l’industrie, que nous explorerons dans la prochaine chronique. 

Clint Bruce est la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales à l’Observatoire Nord-Sud de l’Université Sainte-Anne.