Connue comme le lieu de naissance de Jésus-Christ, la ville de Bethléem se situe dans les territoires occupés par l’État d’Israël depuis la guerre de Six Jours en 1967, bien qu’administrés par l’Autorité palestinienne.
C’est aussi la patrie ancestrale d’un grand nombre de citoyens et de résidents du Chili, ce pays longiligne s’étendant sur le flanc pacifique du continent sud-américain. Implantée au Chili depuis la fin du 19e siècle, la communauté palestinienne fait partie intégrante de sa société d’accueil, tout en maintenant des liens solidaires avec sa terre d’origine.
Quelle est la pertinence de cette situation pour nous ?
Nul besoin de le rappeler au lectorat du Courrier : à l’heure actuelle, la crise humanitaire à Gaza ne fait que s’aggraver sous l’assaut des forces israéliennes, qui font fi des lois relatives aux conflits armés, et devant l’impuissance de la communauté internationale. En même temps, la Cisjordanie devient le théâtre d’abus et de violences visant à déposséder davantage les Palestiniens.
Si la diaspora acadienne a surtout une orientation culturelle, la diaspora palestinienne, elle, qui est composée à la fois de réfugiés dans les pays voisins et de communautés immigrées dans plus d’une trentaine d’autres pays, se mobilise pour des raisons politiques, aussi. Il y a donc des ressemblances ainsi que des divergences entre les deux cas.
L’Amérique latine abrite la plus grande population palestinienne à l’extérieur du Moyen-Orient. La communauté chilienne compterait près d’un demi-million de personnes, soit plus de 2 % de la population du pays.
Il y a une forte concentration dans la capitale, Santiago, où le quartier de Patronato regorge de cafés, de restaurants et d’autres commerces moyen-orientaux. La langue arabe s’y entend, dans la musique et les conversations.
L’organisation la plus visible de la diaspora, c’est une équipe de soccer. Le Club Deportivo Palestino a été fondé par des immigrés en 1920. Même si son personnel n’est plus limité aux joueurs d’origine palestinienne, l’identité de l’équipe demeure forte.
Cela n’exclut pas des prises de position en faveur de la libération de la Palestine. En 2014, des plaintes ont été déposées contre le maillot du club, qui affichait une carte de la Palestine avant l’établissement d’Israël. Ce geste symbolique a été jugé trop politique et trop controversé. Même après une réprimande de la part de la ligue, l’équipe a défendu son choix, avec l’appui des autres associations de la communauté.
La vivacité du lien diasporique s’explique par le renouvellement continuel de l’immigration palestinienne. C’est sous l’Empire ottoman que débuta cette tendance, à l’époque de l’immigration de masse vers les Amériques.
Par la suite, d’autres vagues se sont succédé en raison des pressions exercées par le mouvement sioniste, c’est-à-dire la campagne qui allait mener à l’établissement de l’État d’Israël en 1947-48, ce qui a entraîné la Nakba ou «catastrophe» des déplacements forcés de la population arabe, puis par les crises et conflits ultérieurs. Ce phénomène se poursuit jusqu’à nos jours.
La vaste majorité des Chiliens palestiniens sont d’héritage chrétien, à la différence de la population actuelle de la Palestine, à dominante musulmane. La différence religieuse ne suscite aucune fissure en ce qui concerne l’identité nationale et la libération du peuple palestinien.
Il est vrai qu’au Chili, la langue arabe a tendance à se perdre au fil des générations. Cependant, d’autres éléments de la culture sont maintenus avec enthousiasme. C’est ce que raconte Marcelo Marzouka, sociologue et Chilien palestinien de la troisième génération, dans un épisode du balado Stories from Palestine. Selon Marzouka, la nourriture ainsi que la danse traditionnelle sont toujours pratiquées, même parmi les jeunes.
Marzouka, qui parle un arabe fonctionnel et qui se rend régulièrement au Moyen-Orient, se considère comme «100 % Chilien et 100 % Palestinien en même temps», plutôt que d’avoir une identité scindée.
Et cela, d’autant plus que la communauté palestinienne est fortement appréciée par la population générale comme un composant authentique de la nation chilienne. Après avoir subi des discriminations au tout début, les immigrés palestiniens ont obtenu leur place au soleil, notamment dans le secteur du vêtement, puis dans de nombreux autres domaines, y compris en politique.
En 2021, un Palestinien et ancien dissident contre le régime autoritaire d’Augusto Pinochet, Daniel Jadue, maire de la commune de Recoleta, s’est présenté aux élections présidentielles.
Même s’il n’a pas gagné, le président actuel, Gabriel Boric, se prononce énergiquement en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza. «Nous assistons à des attaques violentes et inacceptables contre des civils par l’armée israélienne, faisant des milliers de victimes», a-t-il déclaré le mois dernier.
Tout en reconnaissant les torts du Hamas, Boric affirme que «ce qui se passe à Gaza est totalement injustifié».
Ces affirmations témoignent non seulement d’un souci d’humanité, mais aussi de l’affinité, si forte au Chili, pour la cause palestinienne grâce à la diaspora. Comme quoi, ces racines en Palestine plongent également dans le sol sud-américain.
Clint Bruce est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales à l’Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne.