Disons plutôt que les nouvelles technologies de l’information et de la communication représentent autant d’armes à double tranchant dans le contexte de la mondialisation culturelle.
L’univers de la francophonie numérique est-il en expansion ou en déclin? L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s’intéresse hautement à cette question. Pour y répondre, elle a chargé une équipe de recherche d’effectuer des enquêtes dont les résultats sont présentés dans un volet de son dernier rapport sur La langue française dans le monde, 2019-2022. J’en présente pour vous les grandes lignes et quelques points saillants, autant de faits qui nous concernent toutes et tous.
Il va sans dire que le fait francophone lui-même évolue à vive allure. Il y aurait actuellement plus de 321 millions de francophones, y compris les personnes utilisant le français comme deuxième, voire troisième ou quatrième langue, dont 255 millions de locuteurs quotidiens.
Bien plus que la moitié d’entre elles et eux vivent soit en Afrique du Nord et au Proche-Orient (14,6 %), soit en Afrique subsaharienne ou dans les pays de l’océan Indien (47,4 %), tandis que l’Europe compte pour moins d’un tiers (31,2 %) de la francophonie mondiale.
La zone Amérique-Caraïbes, dont font partie l’Acadie ainsi que ma Louisiane natale, réunit 6,6 % des habitués de la langue de Zachary Richard. Le français sert de langue officielle, seule ou avec une autre langue, dans 29 pays et trois gouvernements.
Il s’agit ainsi de la cinquième langue la plus parlée au monde, derrière l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol. Selon toutes les projections, les prochaines décennies verront une croissance robuste du nombre de francophones, essentiellement en Afrique, qui devient déjà le foyer de notre langue.
Qu’en est-il alors de sa place sur la planète virtuelle?
D’après les recherches menées par l’Observatoire de la langue française, le français se maintiendrait au quatrième rang parmi les langues utilisées sur Internet. Selon ce classement reposant sur des calculs très complexes et tenant compte de multiples facteurs, il serait devancé par l’anglais, le chinois et l’espagnol.
Pour mieux comprendre ce que cela veut dire au juste, trois constats peuvent attirer notre attention.
Premier constat : c’est moins la domination totale par l’anglais qui caractérisera le cyberespace de demain qu’un plurilinguisme de plus en plus diversifié. Lorsque l’accès à Internet se généralisait dans les années 1990, il y avait la crainte – et la réelle possibilité – d’une homogénéisation linguistique de «l’inforoute», comme on disait alors.
Il a fallu attendre quatre ans après le lancement de Facebook, en 2004, avant que la version française de la plateforme soit disponible. Aujourd’hui, nous sommes très loin de cette situation. Par exemple, la majorité des applications ont des interfaces dans plusieurs langues.
Certes, l’anglais et le chinois jouissent l’un et l’autre d’une présence forte et durable. À lui seul, l’anglais accapare 38,7 % des contenus de tous les sites web.
Mais l’hindi, qui est au coude à coude avec le français, sera peut-être rejoint par le malais, dont le pourcentage d’usages globaux dans les plateformes et applications dépasse celui du japonais. Pour résumer : «Le centre de gravité de l’Internet est en train de se déplacer rapidement des langues européennes vers les langues asiatiques et l’arabe.»
La deuxième donnée majeure, c’est la fracture numérique, c’est-à-dire l’écart dans l’accès aux nouvelles technologies. Dû essentiellement aux conditions qui déterminent le développement d’un pays ou la marginalisation de certains groupes, ce fossé entre «connectés» et «non connectés» (ou mal connectés) pèse pour beaucoup dans l’équilibre des langues de l’Internet.
Le taux moyen de connectivité des francophones à travers le monde se situe autour de 65 %, mais il y a de fortes disparités entre l’Europe et l’Amérique, d’un côté, et les pays d’Afrique, de l’autre côté, en raison de la pénétration relativement faible d’Internet : «L’Afrique francophone représente 41 % des locuteurs du français, mais seulement 23 % des francophones connectés, comme conséquence d’un taux de connexion à l’Internet très bas.»
En outre, la qualité de la bande passante laisse largement à désirer. Il est à prévoir et à espérer que l’amélioration des réseaux mobiles finira par combler ce retard.
Le troisième grand enjeu concerne les contenus eux-mêmes. Il ne suffit pas d’avoir accès à des sites et des applis en version française, car il faut aussi que la francophonie puisse s’exprimer dans l’univers virtuel, dans toute sa diversité, et que les francophones de partout s’y reconnaissent.
Il me semble, d’ailleurs, que c’est ce qui explique l’attractivité des sites anglais au Canada francophone. À cet égard, on ne peut que saluer le dynamisme de TFO, provenant de l’Ontario, ou, chez nous, la chaîne TéléNÉ, une initiative de la Fédération culturelle acadienne de la Nouvelle-Écosse.
C’est bien beau, mais les contenus francophones ne sont pas toujours très visibles ou accessibles. Souvent, les algorithmes de recherche ne les favorisent pas parmi les résultats.
Le rapport de l’OIF explique : «Différents types de contrôles et de prescriptions sur les choix de consommation culturelle exercés par les modèles d’affaires des grandes plateformes internationales conduisent à des écarts très significatifs dans l’accès à ces contenus et à des inégalités en termes de partage de revenus.»
On peut alors évoquer le problème de la «découvrabilité», concept né au Canada. En 2021, l’OIF a même adopté une Stratégie de la Francophonie numérique afin de guider les pays membres et de les inciter à promouvoir l’accès aux plateformes et aux produits culturels en français.
La Francophonie numérique est déjà en marche. Soyons de la partie.