le Mercredi 18 septembre 2024
le Mercredi 24 janvier 2024 11:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Visages musulmans, visages de l’humanité

Dans le sens de l’horloge : Bhai Doman, Sawdah Jaulim Collard, Fouad Diouman, Zohra Rajah.  — PHOTO : Umar Timol
Dans le sens de l’horloge : Bhai Doman, Sawdah Jaulim Collard, Fouad Diouman, Zohra Rajah.
PHOTO : Umar Timol
Depuis le mois d’octobre dernier, nous assistons au massacre sans merci de la population civile de la bande de Gaza, ce territoire exigu coincé entre Israël et l’Égypte, où vivent plus de deux millions de Palestiniens. Alliée de la cause palestinienne, l’Afrique du Sud vient d’intenter devant la Cour pénale internationale une plainte contre Israël pour génocide : selon cette accusation, la riposte contre le Hamas servirait de prétexte à décimer la population palestinienne pour mieux la chasser de la région.
Visages musulmans, visages de l’humanité
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Pourquoi les États-Unis continuent-ils de fournir de l’aide militaire et du matériel de guerre à l’armée israélienne ? Et comment se fait-il que la communauté internationale – Afrique du Sud mise à part – reste muette, pour ne pas dire impuissante ?  

« Je pense que l’islamophobie, c’est-à-dire la diabolisation et la déshumanisation des musulmans, est un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans le monde. » Tel est le constat, certes triste, dont me fait part Umar Timol, écrivain et photographe de l’île Maurice, dans l’océan Indien (Mauritius, en anglais), et lui-même musulman. 

Ayant commencé à suivre Umar sur Facebook il y a plusieurs années, c’est avec curiosité et admiration que j’ai pris connaissance d’un projet photographique qu’il a lancé en 2021, en pleine pandémie, Muslim Faces: Breaking the Stereotypes (Visages musulmans : briser les stéréotypes). À travers une trentaine de portraits noir et blanc, accompagnés de témoignages, cette initiative cherche à combattre l’islamophobie en donnant à voir la perspective de Mauriciennes et de Mauriciens de foi musulmane.

Scène de rue dans une ville de l’île Maurice.

PHOTO : Sébastien Amiet

Géographiquement parlant, la Palestine, située au cœur du Moyen-Orient, est fort éloignée de Maurice, célèbre destination touristique au sud de l’équateur. Mais pour Umar Timol, il existerait une parenté spirituelle entre l’un et l’autre lieu.

La petite République de Maurice, composée de son île principale ainsi que de Rodrigues et de quelques îles plus lointaines, compte environ 1,2 million d’habitants. Multiculturelle, multiethnique et plurilingue, la société mauricienne présente un kaléidoscope d’humanité. 

Colonie française avant d’être récupérée par le Royaume-Uni au début du 19e siècle, Maurice acquiert son indépendance en 1968. Au sein de sa population aux racines très diverses, environ deux tiers des habitants ont des origines sud-asiatiques – de l’Inde, pour la plupart. 

Ainsi, le portrait religieux se caractérise également par la diversité : alors que l’hindouisme puis le christianisme totalisent environ 80 % de la population, l’islam compte près de 215 000 fidèles (ou 17,3 %).

Quant à la situation linguistique, c’est le créole mauricien qui est parlé par la quasi-totalité des gens, même si l’anglais a le statut de langue officielle tandis que le français demeure un important vecteur de culture. Il en résulte que Maurice appartient à la fois au Commonwealth et à l’Organisation internationale de la Francophonie.

Cette richesse culturelle se conjugue avec une scène littéraire extrêmement dynamique, surtout en langue française. Umar Timol en fait partie. Écrivain polyvalent, il a fait publier quatre recueils de poésie, deux romans et de nombreux articles dans des revues mauriciennes. 

Salués par la critique, ses écrits ont paru dans plusieurs anthologies et ont été traduits dans plusieurs langues. C’est aussi un animateur du milieu, notamment comme membre fondateur de la revue mauricienne de poésie Point barre. Et ses contributions ne s’arrêtent pas là.

Or, l’une des vocations de l’art consiste à éveiller notre empathie en nous sensibilisant à d’autres réalités humaines – ce qui va à l’encontre, bien sûr, des discours clivants et déshumanisants qui polluent la sphère publique et l’imaginaire social. 

D’où le projet Muslim Faces, qui se veut, explique Umar, « une tentative, par l’entremise de témoignages et de portraits photographiques, de déconstruire les stéréotypes sur les musulmans et de montrer leur humanité fondamentale ».

La description du projet précise qu’il s’agit d’« une invitation à la découverte et au dialogue avec l’autre. Dans un monde de plus en plus marqué par l’ignorance et la montée de la haine, construisons des ponts pour faire briller l’essence de l’humanité à travers le regard de l’autre. »

Les individus qui acceptent de participer le font avec enthousiasme. Ce sont des femmes et hommes de toutes les générations, ayant des parcours variés et des expériences uniques. Elles et ils sont unis par leur foi en Dieu et par l’importance accordée à leur identité islamique. « Ce sont de belles rencontres, très enrichissantes », dit Umar.

Voici sa démarche : « Je prends les photos chez moi. On converse longuement avant la séance photographique. Ils m’envoient ensuite par courriel le texte qui sera publié. »

Mon appréciation spontanée : tous ces visages sont beaux, tous les portraits d’Umar sont saisissants. 

Le témoignage de Bhai Doman évoque sa croyance fondamentale : « Être musulman signifie se soumettre entièrement à Allah et obéir à toutes ses lois. Être musulman, c’est ne plaire qu’à Allah et non aux êtres humains. Être musulman signifie vivre dans ce monde uniquement comme une préparation à la vie éternelle après la mort, en sacrifiant les plaisirs de ce monde pour être récompensé par Jannah (le paradis). »

D’autres textes personnalisent davantage le credo islamique en le rattachant au vécu de l’individu. Pour Sawdah Jaulim Collard, l’injonction divine de lire ou de réciter – « Iqra », en arabe – lui a ouvert, dès son jeune âge, les portes magiques de l’amour des livres, de la curiosité intellectuelle, voire de l’esprit critique face aux codes sociaux trop rigides. « Je crois que l’islam, en tant que religion et mode de vie, est si beau et si facile à vivre », affirme-t-elle. « Et j’espère que la foi nous aidera à construire ces ponts que la tradition et la culture ont brûlés. »

Âgée de 79 ans au moment de son témoignage, Zohra Rajah est restée handicapée par la polio qu’elle a contractée dans l’enfance. Plus tard, un accident de voiture lui a presque coûté la vie. « Sans l’islam, je ne pense pas que j’aurais eu la résistance mentale nécessaire pour survivre aux périodes difficiles », confie-t-elle. 

Au lieu de se laisser abattre par les séquelles de sa maladie, elle en a tiré sa raison d’être. Défenseure des droits des personnes handicapées, Mme Rajah a fondé une école qui accueille de nos jours une cinquantaine d’élèves de Port-Louis, la capitale mauricienne.

Quoiqu’enracinée dans l’éducation religieuse qu’il a reçue de son grand-père, d’origine yéménite, la perspective cosmopolite de Fouad Diouman a été façonnée par ses périodes de résidence à l’étranger, autant en Europe que dans les États du golfe Persique. 

Il s’intéresse fortement aux techniques de la gestion administrative. À l’instar du militant afro-américain Malcolm X, M. Diouman a fortement été marqué par l’expérience du pèlerinage à La Mecque : « L’homme le plus riche du monde, malgré son comportement extérieur parfois arrogant, sans gêne ni hésitation dans la mosquée, côtoyant le plus pauvre, tous deux égaux devant Dieu. »

S’il règne une coexistence paisible entre les communautés religieuses de l’île Maurice, c’est loin d’être le cas ailleurs dans le monde. Du nord-ouest de la Chine à la Palestine en passant par la Birmanie et sans oublier la France, les musulmanes et musulmans sont confrontés à la violence, à la discrimination et à l’oppression sous diverses formes. 

« L’islamophobie, comme tous les racismes, détruit les cœurs et les êtres. Le génocide des Palestiniens en constitue un exemple flagrant », fait remarquer Umar Timol. Pourtant, il n’est ni juste ni digne de réduire un ensemble humain aussi vaste et varié à un répertoire restreint d’idées reçues. « Nous sommes Un et pluriel », rajoute-t-il.

Comment découvrir les autres portraits qu’il a réalisés et rassemblés ? C’est simple : allez sur Facebook et faites une recherche pour Muslim Faces. Vous en sortirez agrandi et inspiré.

Clint Bruce est Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales, à l’Observatoire Nord/Sud (Université Sainte-Anne).