le Samedi 14 septembre 2024
le Vendredi 3 novembre 2023 11:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Diversifiée et parfois dissidente : l’opinion juive sur la question palestinienne – 2ème partie

La barrière de séparation israélienne en est venue à symboliser l'immobilisme des efforts de coexistence harmonieuse. — PHOTO : Wikimedia - Nagillum
La barrière de séparation israélienne en est venue à symboliser l'immobilisme des efforts de coexistence harmonieuse.
PHOTO : Wikimedia - Nagillum
La guerre qui fait rage au Moyen-Orient, entre l’État d’Israël et les milices affiliées au parti islamiste Hamas, est en train de tourner à la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza. Controversé et très clivant, ce dossier d’actualité internationale a eu des répercussions directes dans notre province depuis ma dernière chronique à ce sujet.
Diversifiée et parfois dissidente : l’opinion juive sur la question palestinienne – 2ème partie
00:00 00:00

Il y a quelques jours, CTV News Atlantic licenciait une employée, Yara Jamal, Canadienne d’origine palestinienne, en raison de ses publications anti-Israël dans les médias sociaux.

Alors que des groupes pro-israéliens ont applaudi cette décision, l’opinion de la communauté juive sur la question palestinienne n’a pourtant rien d’un bloc uniforme. Tout en déplorant les attaques perpétrées par le Hamas depuis le 7 octobre dernier, des associations comme Voix juives indépendantes Canada (VJI) continuent d’afficher leur solidarité avec les Palestiniens et de s’opposer au sionisme, à savoir l’idéologie selon laquelle la terre d’Israël appartiendrait exclusivement au peuple juif en vertu d’une promesse de Dieu. 

« Cet outrage fait partie d’une campagne de longue haleine, exacerbée par les récentes tensions, visant à effacer les voix palestiniennes et celles qui critiquent les politiques et les pratiques israéliennes », affirmait Larry Haiven, professeur émérite de St. Mary’s University et membre de l’exécutif de VJI, en entretien avec The Macdonald Notebook. « Et CTV, une organisation qui prétend soutenir la liberté d’expression, a succombé en un clin d’œil. »

Qu’en est-il de l’état du débat public en Israël même ? Se trouve-t-il là-bas une diversité d’opinion semblable à celle qui se fait entendre dans la diaspora juive ?

Oui, absolument. 

Des membres du groupe de vétérans israéliens « Breaking the Silence » sous le regard d’un soldat dans la ville d’Hébron en Cisjordanie. 

PHOTO : Wikimedia - Oren Rozeon

Comme nous l’avons souligné auparavant, il y a tout sauf un consensus au sein de la société israélienne quant à la voie à suivre pour une paix durable. C’est ce dont témoignent les résultats d’un sondage réalisé l’été dernier à propos des préférences pour régler la question palestinienne, surtout en ce qui concerne la Cisjordanie, où des colonies juives s’implantent à vive allure et en flagrante contradiction avec la loi internationale, et la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2006.

Un quart des Israéliennes et Israéliens juifs – le groupe majoritaire en Israël même s’il y a une forte minorité arabe – déclarent ne pas avoir de véritable opinion. Une pluralité (35 %) se prononce en faveur de la solution à deux États, celle qui fut préconisée par les accords d’Oslo de 1993 et qui aura échoué lamentablement. 

Tout à l’opposé, près d’un tiers (30 %) aimerait mieux voir l’annexion pure et simple des territoires palestiniens : c’est la vision des sionistes de droite, dont le premier ministre Benyamin Netanyahou. 

Il n’y a qu’une frange de la population juive (10 %) qui rêve d’un seul État avec des droits égaux pour tout le monde.

Pourtant, c’est de cette frange-là, aux côtés du groupe préférant la solution à deux États, que surgissent les voix les plus fortes de la dissidence israélienne. Pour ma part, je me suis éduqué sur ces questions en lisant des intellectuels juifs antisionistes comme l’historien Ilan Pappé, le sociologue Baruch Kimmerling et quelques autres. 

Il existe aussi des associations solidaires envers la Palestine et, dans ce qui suit, nous en considérerons deux des plus respectées : l’organisation non gouvernementale B’Tselem et le collectif Breaking the Silence (Briser le silence).

Le nom de B’Tselem, mot qui signifie « à l’image de [Dieu] », renvoie au principe judaïque selon lequel tous les êtres humains ont une valeur intrinsèque, égale et inestimable. La création de l’organisme remonte à 1989, dans la foulée de la première Intifada, qui était une révolte populaire palestinienne contre les forces de l’occupation. 

Ses fondateurs étaient pour la plupart des juristes, des universitaires et des politiciens israéliens, toutes et tous animés par la conviction que le projet sioniste s’était affreusement fourvoyé en imposant un système basé sur la dépossession et l’oppression des Palestiniens. Ainsi, le groupe s’oppose au « suprémacisme juif ». 

La principale mission de B’Tselem consiste à documenter les politiques, pratiques et conditions de l’occupation et à faire connaître ces renseignements afin de réorienter le débat public. 

Par l’étendue de ses efforts et la rigueur de ses méthodes, l’organisme est devenu le centre israélien par excellence d’information sur les droits de la personne, tout d’abord dans les territoires occupés et, de plus en plus, à l’intérieur d’Israël. Même le gouvernement et l’armée se servent des rapports de B’Tselem pour vérifier leurs propres renseignements.

En janvier 2021, la critique fondamentale de B’Tselem s’est exprimée avec intensité dans un rapport intitulé Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : c’est un apartheid. Les auteurs tenaient à rendre définitive la comparaison entre la situation palestinienne et le système de ségrégation raciale qu’avait connue l’Afrique du Sud entre les années 1940 et 1990. 

Des organismes extérieurs comme Amnistie internationale allaient bientôt emboîter le pas. Ce n’est pas un jugement favorable, c’est le moins qu’on puisse dire !

Quant à l’association Breaking the Silence (BTS), celle-ci est composée d’anciennes et anciens militaires des Forces de défense israéliennes, qui s’attachent à faire la lumière sur les mécanismes mêmes du contrôle de la population palestinienne, jusque dans ses aspects les plus quotidiens. 

Pour ce faire, BTS a recueilli et publié plus d’un millier de témoignages par d’anciens soldats. Cette documentation soigneusement vérifiée est rendue disponible dans un but à la fois humanitaire et politique. « Notre travail vise à mettre fin à l’occupation », lit-on dans son énoncé de mission. 

Afin de donner une idée plus pénétrante de sa vision, je me permets de citer ce texte plus longuement :

« Les soldats qui servent dans les territoires observent et participent à des actions militaires qui les changent énormément. Les cas d’abus envers les Palestiniens, de pillage et de destruction de biens sont la norme depuis des années, mais ces incidents sont toujours décrits officiellement comme des cas “extrêmes” et “uniques”. Nos témoignages dépeignent une image différente – et beaucoup plus sombre – dans laquelle la détérioration des normes morales s’exprime dans le caractère des ordres militaires et des règles d’engagement que l’État considère comme justifiés au nom de la sécurité d’Israël. »

À toute personne désireuse d’avoir une meilleure compréhension de ce dilemme géopolitique, je conseille fortement de découvrir la documentation de ce collectif.

Il est sans doute normal que le Canada ainsi que notre grand voisin du sud persistent à appuyer l’État d’Israël dans sa volonté de contenir le problème palestinien plutôt que d’y faire face. Après tout, nos deux pays d’Amérique du Nord doivent leur existence, tout comme Israël, au colonialisme de peuplement, c’est-à-dire à l’implantation de populations étrangères et au déplacement des peuples autochtones. 

Espérons qu’un jour, plus proche que lointain, nous pourrons plutôt soutenir des efforts de réconciliation entre Israël et la Palestine.