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le Mardi 17 octobre 2023 9:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Diversifiée et parfois dissidente : l’opinion juive sur la question palestinienne (1ère partie)

Bombardement par l’armée israélienne d’un immeuble abritant les bureaux de plusieurs médias à Gaza, les 11 et 12 mai 2021.  — PHOTO : Osama Eid - Wikimedia
Bombardement par l’armée israélienne d’un immeuble abritant les bureaux de plusieurs médias à Gaza, les 11 et 12 mai 2021.
PHOTO : Osama Eid - Wikimedia
Depuis plusieurs jours, les yeux du monde entier sont rivés sur la bande de Gaza, cette zone de 365 km2 – recouvrant près de deux fois et demie moins que la superficie de la région de Clare – où sont entassés plus de deux millions de Palestiniennes et Palestiniens, réfugiés et descendants de réfugiés déplacés par la création de l’État d’Israël en 1948. C’est à partir de ce territoire exigu, foyer de la résistance palestinienne, que les milices du groupe islamiste Hamas ont lancé une série d’opérations contre Israël et commis plusieurs atrocités à l’endroit des civils israéliens.
Diversifiée et parfois dissidente : l’opinion juive sur la question palestinienne (1ère partie)
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Bien que la cause palestinienne jouisse d’un soutien massif et grandissant à travers la planète, l’horreur de ces attentats aura renforcé l’appui diplomatique au gouvernement israélien. La contre-attaque de l’Armée de défense d’Israël – ou IDF (Israel Defense Forces) – s’annonce terrible, forte du plein assentiment d’une partie de la communauté internationale et notamment des États-Unis. Cette nouvelle guerre entre Hamas et Israël est en train de provoquer une catastrophe humanitaire pour la population de Gaza.

Prenons un peu de recul. En temps de crise, il est tout à fait naturel que la société israélienne se rallie sous la bannière de la défense nationale. Mais qu’en est-il de l’opinion publique sur la question palestinienne plus généralement ? Et dans la diaspora juive ailleurs ? 

En Israël, aucun consensus social ne semble s’imposer quant à la meilleure voie pour en finir avec le conflit. Il faut déjà noter que la population israélienne, d’environ 9,5 millions de personnes, comporte une forte minorité arabe (21 %) à côté de la majorité juive (73 %). Au sein de cette dernière, 35 % des gens sont favorables à la « solution à deux États », c’est-à-dire à l’établissement d’un pays réellement indépendant pour les Palestiniens, selon un sondage récent (Mitvim/Institut israélien pour les politiques étrangères régionales). 

En revanche, près de 30 % des répondants aimeraient mieux qu’Israël s’empare pleinement des territoires palestiniens et qu’un statut privilégié soit accordé aux Juifs. C’est une vision diamétralement opposée à la première option. 

Un rabbin de Neturei Karta à gauche, portant sur sa veste un macaron pour la « Palestine libre ». 

PHOTO : Alisdare Hickson - Wikimedia

Seulement 10 % des Juifs israéliens se prononcent en faveur d’un seul État avec des droits égaux pour tout le monde. Autre hic, un quart des personnes sondées répondent tout simplement : « Je ne sais pas. »

C’est en exploitant ces clivages que les voix les plus radicales – avec le premier ministre Benjamin Netanyahu à leur tête – ont pu se maintenir au pouvoir, malgré les crises politiques et les scandales successifs des dernières années.

Et dans la diaspora ? Puisque la plus grande concentration de la population mondiale juive ou d’héritage juif se trouve aux États-Unis (5,8 millions et 2,8 millions, respectivement), il est indispensable d’en tenir compte. Et cela, d’autant plus que les États-Unis demeurent l’allié indéfectible de l’État d’Israël.

Pour la majorité des Juives et Juifs des États-Unis, le sort d’Israël prend une réelle importance, à en croire une enquête menée en 2019-20 par le Pew Research Center. « Parmi l’ensemble des Juifs américains, explique le rapport, 58 % se disent très ou assez attachés émotionnellement à Israël, un sentiment partagé par la majorité des trois plus grandes confessions juives américaines » – c’est-à-dire orthodoxe, conservatrice et réformiste. Il n’y a que 16 % qui estiment que l’existence d’Israël n’a aucune pertinence vis-à-vis de leur identité juive.

Toutefois, l’expression politique de cet attachement varie considérablement en fonction de l’affiliation partisane. La plupart des Juifs américains sont des démocrates qui, au moment du sondage, portaient un jugement négatif sur Benjamin Netanyahu ainsi que sur l’approche diplomatique de l’administration Trump, farouchement pro-israélienne. Chez les Juifs orthodoxes, plutôt républicains, l’appui à Trump – et à Netanyahu – se faisait sentir davantage.

Les groupes de pression conservateurs exercent beaucoup d’influence à Washington. Le plus connu d’entre eux est AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), qui fait du lobbying pour l’aide militaire des États-Unis au bénéfice d’Israël, parmi d’autres dossiers. Toutefois, la droite sioniste – c’est-à-dire, en faveur de la colonisation de la Palestine par le peuple juif – n’a pas l’exclusivité du discours public.

Fondé en 1996, l’organisme progressiste Jewish Voice for Peace (JVP) milite contre l’oppression de la population palestinienne. La direction de JVP exprime sa position en termes forts : « Le gouvernement israélien prétend agir au nom du peuple juif ; c’est pourquoi nous nous efforçons de faire en sorte que le monde sache que de nombreux Juifs sont opposés à ses actions. » 

Ce groupe veille également à réfuter l’amalgame, souvent avancé par le camp antipalestinien, entre le fait de critiquer l’État d’Israël, d’une part, et l’antisémitisme (ou haine du peuple juif), d’autre part.

De ce côté-ci de la frontière, c’est l’association Voix juives indépendantes Canada (VJI) qui, en œuvrant pour la solidarité propalestinienne, « promeut la justice et la paix pour tous en Israël-Palestine » et, du coup, « s’oppose à toute forme de racisme ». Pour toute personne s’intéressant aux droits de la personne, le site web de VJI propose des ressources et des pistes d’action très pertinentes.

Mais l’opposition au colonialisme israélien ne vient pas seulement de la société civile d’orientation progressiste. Au sein du courant orthodoxe du judaïsme, plusieurs sectes dites ultra-orthodoxes et connues sous le nom de Haredim, ou « les craignant-Dieu », ne tiennent pas le projet sioniste pour un article de foi. 

Minoritaires, certes, et vivant en rupture avec la modernité, les Haredim comptent néanmoins près de 2 millions d’adhérents à travers le monde. Quelques-uns de leurs chefs dénoncent vigoureusement l’État d’Israël et même toute l’idéologie sioniste qu’ils considèrent comme étant contraires à la volonté de Dieu pour le peuple juif.

Parmi ces groupes, les Neturei Karta adoptent l’approche la plus radicale. Ses membres manifestent régulièrement contre Israël et en faveur de la cause palestinienne, allant jusqu’à participer à des rencontres en Iran et avec des organisations islamiques de tous types, y compris extrémistes. 

Le rabbin Yisroel Dovid Weiss prend souvent la parole en plaidant pour le dialogue entre juifs et musulmans. Quant à la spirale de violence qui caractérise l’occupation, il explique : « Bien sûr, notre rabbin [fondateur] a dit dès le début du sionisme que [ce mouvement] entraînerait des effusions de sang, des afflictions et des souffrances considérables. Nous comprenons donc que de telles choses se produiront. »

Ayant jeté un coup d’œil sur la solidarité juive avec la Palestine dans la diaspora nord-américaine, nous examinerons de plus près, dans la prochaine chronique, le contexte en Israël.