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le Mercredi 4 octobre 2023 11:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Voyager pour se faire soigner : le tourisme médical au Mexique

Les célèbres bains romains de la ville de Bath, en Angleterre, témoignent de l’antiquité du tourisme médical.  — PHOTO - David Iliff
Les célèbres bains romains de la ville de Bath, en Angleterre, témoignent de l’antiquité du tourisme médical.
PHOTO - David Iliff
Vous voyagez, ou vous connaissez des gens qui voyagent régulièrement ? Mais d’où vient cette envie de voir le monde, autrement dit le tourisme ? C’est en lisant et en écoutant des réflexions au sujet du tourisme que je me suis davantage posé ces questions et, plus particulièrement, en lien avec la santé, sujet central de mes recherches actuelles dans le cadre de ma maîtrise ici à l’Université Sainte-Anne.
Voyager pour se faire soigner : le tourisme médical au Mexique
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Voilà, alors que les gens voyagent pour le plaisir ou pour le travail, le tourisme médical, aussi, traverse les siècles et les frontières. Prenons le cas du Mexique.

Le tourisme : un concept, une histoire, une étymologie

Tous les mots ont une histoire, des histoires, qui les transportent jusqu’à nous. Si le tourisme est si populaire de nos jours, d’où vient ce mot ? 

À la base, le concept fait référence au fait de tourner ou de faire un voyage circulaire. Le terme, tel qu’on le connait aujourd’hui, remonte au 18e siècle – dans le sens de voyages entrepris pour le plaisir ou pour tenter de satisfaire une curiosité, sinon pour échapper à la réalité de chez soi, dans des lieux étrangers. Au fil des ans, et grâce à la mondialisation, le tourisme dans ce sens voit le jour comme mouvement de masse. Des gens de divers milieux embarquent pour l’aventure.

Le tourisme médical, plus particulièrement, renvoie à la circulation de patients qui souhaitent obtenir et recevoir des soins de santé à l’étranger. Les raisons pour entamer le voyage, y héberger et puis chercher des soins reviennent souvent à quelques facteurs communs : des prix plus abordables pour des traitements nécessaires, une meilleure compréhension de certaines conditions médicales qui ne sont pas traitées dans le pays d’origine, un environnement perçu comme étant plus paisible pour le rétablissement, la possibilité d’éviter de longues listes d’attentes pour des chirurgies, etc. 

Les services sollicités sont des chirurgies et des traitements essentiels (c’est-à-dire qui répondent à des besoins vitaux ou des maladies, par exemple), des opérations dentaires ou encore des opérations de types cosmétiques, selon le besoin ou le choix.

L’Hôpital CER à Tijuana (Mexique), qui se spécialise dans les chirurgies esthétiques et bariatriques contre l’obésité, attire chaque année des milliers de patients-touristes. 

PHOTO - https://commons.wikimedia.org

Le tourisme au Mexique

D’après le ministère du Tourisme du Mexique, en 2022, il y a eu 66 millions de visiteurs venus d’autres pays, dont 38,3 millions de touristes. La différence entre les deux catégories : les visiteurs s’y rendent pour une raison soit personnelle soit professionnelle, tandis que les touristes s’y rendent surtout pour le plaisir. 

Selon les données des principaux aéroports d’arrivée et des villes ayant les taux d’occupation hôtelière les plus élevés, les touristes fréquentent en majeure partie les régions de Quintana Roo, à l’est, de Basse-Californie du Sud, au nord-ouest, et de Jalisco, à l’ouest. 

Depuis la pandémie de la COVID-19, c’est-à-dire de 2020 jusqu’en 2022, le niveau de tourisme a augmenté de 57,6 %.

Cela a amené des résidents du pays à prendre la plume et la parole, plusieurs parmi eux étant de l’avis que les voyages de luxe et le mode de vie de beaucoup de ces touristes auraient des effets perturbants dans leurs communautés.

Réalité devenue ordinaire, le tourisme fait l’objet d’un balado de l’écrivain et militant culturel, Chris Christou, intitulé The End of Tourism. Natif de Toronto, il habite depuis 2015 à Oaxaca, au Mexique, où il s’engage dans les domaines de l’hospitalité et de la gastronomie, entre autres. 

Son balado se penche sur les grandes questions portant sur le tourisme, l’envie d’errance, l’exil, « l’hospitalité radicale » et la résilience culturelle à travers le monde. Les sujets abordés concernent des communautés spécifiques, tout en ouvrant sur des conversations qui s’appliquent ailleurs et qui traversent des frontières.

L’une des saisons du balado (réalisé en espagnol et en anglais) est consacrée aux expériences et aux retombées du tourisme au Mexique, vues comme autant d’échos du colonialisme dans la mesure où les touristes exploitent – de manière voulue ou non – les ressources locales. Ainsi, les participantes et participants au balado mettent sur la table diverses façons d’interpréter la situation.

Un lien entre le tourisme et la santé ? 

Si le tourisme a maintenu son sens et sa fonction sociale tout en gagnant de l’ampleur au fil des siècles, l’on peut comprendre pourquoi cette activité est devenue si habituelle pour bien des gens. Bien que la signification première du mot s’applique toujours, les voyages circulaires varient en nature. Les déplacements sur de longues distances se font pour des raisons de profession, de vacances, de culture et même de santé. 

Quant à ce dernier lien, il s’agit d’un phénomène qui se retrace jusqu’à l’antiquité égyptienne, lorsque des bains de mer servaient à soulager et guérir des douleurs. Plus tard, à l’époque gréco-romaine, l’hydrothérapie et d’autres remèdes employant de l’eau se sont poursuivis et approfondis. 

Les déplacements circulaires en quête de bien-être et de soulagement de douleurs ou de troubles de santé ne datent donc pas d’hier. Le tourisme médical qui est en cours et qui « dépasse les frontières et les océans » découle de cette histoire, soulignent les chercheurs Loïck et William Menvielle.

Au Mexique, la paie est même un facteur d’attraction, qu’expose Phil Galewitz dans un article du New York Times paru en 2019. Son reportage montre que des Américains et Américaines se rendent au Mexique pour éviter de payer les sommes exorbitantes imposées par le système de santé aux États-Unis. 

Dans A Mexican Hospital, an American Surgeon, and a $5,000 Check (Yes, a Check), nous apprenons que des médecins d’autres pays (et donc pas seulement des touristes-patients) s’y rendent même pour la journée afin de compléter des chirurgies, quitte à repartir tout de suite. 

D’après le site Web de l’Hôpital CMQ, le Mexique reçoit, bon an, mal an, entre 200 000 et 1 million de patients en provenance de l’étranger. Le site souligne aussi que « les effets du tourisme médical dépassent le secteur des soins de santé. Il s’intègre à de grandes industries, tels les hôtels, les restaurants, les voyagistes, entre autres ». 

Ainsi, le tourisme médical constituerait une industrie en soi qui renforce l’économie du pays. Où sont les interactions avec les gens du milieu ? Comment vivent-ils cette réalité et cet accès aux soins de santé ? 

Une étude de cas menée par Sébastien Fleuret et Samuel Jouault examine les liens entre les soins de santé offerts et les retombées du tourisme dans la communauté « d’accueil » de Cancún – Riviera Maya. Comme le tourisme associé à la santé dépend de l’accès à des services d’une indéniable importance économique, il entraîne forcément des effets sur le vécu local. D’où l’intérêt de ces chercheurs à veiller aux perceptions de la santé des gens qui habitent la région, face aux touristes, aux touristes-patients et les lieux que ces derniers fréquentent. Est-ce que la création et le maintien de l’offre de services de tourisme médical sont aussi avantageux pour les résidentes et résidents que pour les visiteurs de l’extérieur ?

Puisque le tourisme représente un phénomène de masse, le tourisme médical apparaît comme un moyen de voir le monde tout en se faisant soigner. Si le fait de voyager pour se faire soigner a suscité une certaine attention en provoquant une prise de parole locale, nous voici appelés à notre tour à nous interroger sur nos propres façons de suivre (ou non) certaines tendances touristiques.