Jean-Philippe Giroux – IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse
En utilisant une technologie de pointe, qui comprend le sondeur multifaisceaux, un appareil placé sous la coque du navire mesurant la profondeur des eaux avec des impulsions sonores, la Commission a réussi à cartographier un banc à l’est du plateau néo-écossais.
On emploie également un profileur de fond, pouvant traverser les sédiments en utilisant des impulsions sonores avec des fréquences plus basses et plus d’énergie.
Antérieurement, les données sur les fonds marins étaient un peu plus limitées. Les premières collectes, à partir de câbles et de poids, ont eu lieu au début des années 1900.
Au milieu de ce même siècle, les scientifiques ont commencé à utiliser le sondeur monofaisceau. Il envoie une onde sonore en direction du fond marin qui rebondit vers la surface, pour mesurer la distance.
Mais les lignes produites par ce sondeur ne permettaient de cartographier que l’espace sous le bateau. Donc, vers les années 90, le sonore multifaisceau a été introduit afin d’inclure chaque mètre carré.
Aujourd’hui, les véhicules sous-marins autonomes (VSA) sont indispensables dans la recherche océanique, surtout avec les points les plus bas. «Plus on est loin du fond marin, plus l’angle entre chaque faisceau est large, donc moins on a une bonne résolution sur le fond marin», précise Alexandre Normandeau, chercheur scientifique à la Commission géologique du Canada.
Précédemment, on pouvait concevoir des images et des cartes du plancher d’un lac ou d’un océan avec des couleurs et des formes. Les nouveaux ensembles de données permettent de créer des cartes de géologies superficielles, qui incluent les types de topographies qu’on associe à tel type de sédiment.
Différents fonds marins, différents projets
On n’exploite pas tous les fonds marins de la même manière, précise Alexandre Normandeau. Par exemple, les câbles sous-marins qui relient l’Europe à l’Amérique du Nord ne peuvent pas traverser l’Atlantique par les régions de sable et gravier, puisqu’il y a beaucoup trop de mouvement sur ce type de fond marin, pouvant briser les câbles.
Pour faire de la planification et pour prendre des décisions éclairées, que ce soit pour les pêches, les énergies éoliennes ou même les plateformes pétrolières, on ne peut pas y aller à l’aveuglette, fait remarquer le scientifique, d’où l’importance de la recherche.
Quand les scientifiques font la reconstruction de l’histoire glaciaire d’un plateau continental, ils sont en mesure de comprendre pourquoi il y a différents types de sables, mais aussi de savoir ce qu’il y a sous la surface du plancher océanique. Il y a parfois des marais émergés, de gros galets, du gaz, des fluides qui se promènent, etc.
Les zones idéales pour les projets d’énergie renouvelable semblent être les eaux peu profondes au large de la province, en déposant des fondations gravitaires en béton sur une surface dure pouvant supporter le poids.
«Il est possible de l’appliquer à des éléments tels que la roche mère ou les sédiments glaciaires, par exemple, mais dès qu’on commence à obtenir des boues molles ou quelque chose qui pourrait contenir du gaz ou tout type de matériau biogène, cela commence à poser un problème», explique Jordan Eamer, aussi chercheur scientifique à la Commission.
Dans les eaux plus profondes, de 30 à 70 mètres, ils enfoncent le tuyau de l’éolienne dans une région où le sable est limoneux et épais.
À ce jour, moins de 25 % du plancher océanique à l’échelle mondiale a été cartographié. «Le reste est très, très peu documenté», insiste M. Normandeau, et si le secteur va de l’avant avec les projets d’énergies renouvelables, il faudra des cartes pour soumettre l’industrie à une régulation.
En 2022, l’UNESCO a déclaré que, d’ici 2030, au moins 80 % des fonds marins seront cartographiés. La carte actuelle de la Commission pour la Nouvelle-Écosse documente les fonds marins jusqu’à environ 500 km à l’est du plateau.
«Un paysage relique d’un autre temps»
Le plateau néo-écossais, il y a 10 000 ans, était en grande partie émergé, un archipel qui a disparu après la fonte des glaciers. Les examens des données récentes offrent plus de détails précis sur les reliefs de l’océan, dont la présence de ravines, de dunes et des évidences d’avalanches sous-marines passées.
On y a découvert de même des trésors du passé comme des chenaux ensevelis, des amas de débris rocheux et les traces des effets de l’érosion par les nappes glaciaires sur les paysages, ce qui permet de reconstituer l’histoire des océans.
L’un des outils utilisés lors des missions est un extracteur de carottes de sédiments, de longs échantillons tubulaires et verticaux, afin d’analyser les couches sédimentaires qui sont déposées à travers le temps.
Le processus est «excessivement cher», informe Alexandre Normandeau, et prend «énormément de temps», ce qui peut expliquer le retard. Il faut passer à travers chaque bande de territoire comme une tondeuse à gazon : une ligne à la fois, l’une à côté de l’autre.
Un autre problème, selon lui, c’est une mentalité qui persiste. Plusieurs ont tendance à ne pas porter attention à ce qui se passe dans l’océan. «On ignore un peu ce qui est là. On se dit, ah ben, ce qui est sous l’eau, c’est inerte, ça bouge pas, alors que c’est pas vrai. Ça bouge énormément», conclut M. Normandeau.