
Ce conflit oppose le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), autrefois un parti politique et maintenant un groupe armé, aux forces du gouvernement fédéral auxquelles sont alliées des milices régionales ainsi que l’armée érythréenne. L’implication d’autres pays de la région est également soupçonnée. La rébellion du FLPT reflète le mécontentement suscité par l’affaiblissement du pouvoir politique du groupe ethnique tigréen. Ayant dominé le gouvernement pendant plusieurs décennies, les dirigeants tigréens s’estiment lésés par une réforme des partis introduite par le premier ministre.
Malheureusement, c’est la population civile du Tigré qui est en train de payer le lourd prix de la violence. Selon les estimations, deux millions de personnes ont été déplacées et plusieurs milliers ont perdu la vie.
L’échiquier politique de l’Éthiopie relève d’un équilibre complexe dans ce pays multiethnique et plurilingue. Le Tigré forme l’un des dix États régionaux, auxquels s’ajoutent les villes-régions d’Addis-Abeba, la capitale, et de Dire Dawa. Avec un peu plus de 7 millions d’habitants, il compte pour environ 6 % de la population totale de 114 millions de personnes – ce qui, soit dit en passant, fait de l’Éthiopie la deuxième nation la plus peuplée du continent africain, après le Nigeria.
Malgré son poids démographique relativement faible, le Tigré est reconnu comme l’un des berceaux de la civilisation dans la région dite la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Somalie, Érythrée et Djibouti). Alors que sa capitale moderne se trouve à Mekele, la petite ville d’Aksoum abritait jadis le centre de l’Empire aksoumite qui fut, avec l’Arménie et avant l’Empire romain, l’un des premiers États à adopter le christianisme, au début du quatrième siècle. En témoigne son patrimoine architectural, notamment les célèbres églises et monastères orthodoxes taillés à même le roc des montagnes du Gheralta. De nos jours, la grande majorité des habitants du Tigré continuent de pratiquer l’agriculture.
Le conflit actuel résulte des tensions tantôt larvées, tantôt ouvertes, qui n’en finissent pas de fragiliser l’Éthiopie, en dépit de son commun héritage civilisationnel. En 1974, la monarchie millénaire, dont la couronne était portée depuis 1930 par l’empereur Haïlé Sélassié 1er, fut renversée par une junte communiste, le Derg. C’est sous ce régime que la famine a ravagé le pays en 1984-85 et aussi que l’Érythrée a mené sa longue et pénible guerre d’indépendance. Le transition politique au début des années 1990 aboutit à la constitution de République fédérale démocratique d’Éthiopie, inaugurée en 1995. Le modèle politique repose sur la cohabitation des identités ethnolinguistiques, voire sur la reconnaissance du caractère plurinational de l’Éthiopie, à telle enseigne que le droit de sécession est enchâssé dans la constitution. Or, la récente réforme effectuée par le premier ministre Ahmed a fusionné les partis ethniques en une seule formation, le Parti de la prospérité. Du coup, plusieurs Tigréens ont eu l’impression de ne plus avoir de voix, d’où la rébellion armée du FLPT.
Prompte et brutale, l’intervention du gouvernement fédéral a donné lieu à des atrocités commises, de toute évidence, de part et d’autre. Dans la foulée de l’opération lancée par le 4 novembre dernier par les Forces de défense éthiopiennes (FDE), dans le but de reprendre le contrôle du Tigré, des témoins ont rapporté à Amnistie internationale les horreurs qui ont été perpétrées par des milices associées au FLPT.
« Quand nous sommes arrivés, nous avons vu de nombreux cadavres ensanglantés dans les rues et dans les foyers fréquentés par les travailleurs saisonniers. C’était vraiment terrible de voir cela, et je n’arrive toujours pas à m’en remettre », expliquait un civil.
Depuis lors, d’autres massacres ont été attribués à l’armée éthiopienne et aux troupes venues d’Érythrée. Toutefois, les informations sortent difficilement du théâtre de cette guerre. Dès le début, le gouvernement a coupé les télécommunications, y compris Internet, et a fermé la zone aux journalistes et aux organismes humanitaires. La plupart des établissements, comme les banques, sont fermés.
Ces conditions provoquées par la guerre sont aggravées par d’autres problèmes. Tandis qu’une invasion de criquets, survenue l’automne dernier, menace les récoltes, le taux d’infection à la COVID-19 augmente en flèche.
Nous aurions tort de penser que ces événements ne nous touchent pas, ici au Canada. La diaspora éthiopienne, présente un peu partout dans le monde, est implantée en Alberta, où plusieurs manifestations ont été organisées pour dénoncer les actions du gouvernement éthiopien. Samedi dernier (24 avril), quelques dizaines d’Edmontoniennes et d’Edmontoniens d’origine tigréenne se rassemblaient pour attirer l’attention sur des mesures qu’ils qualifient de génocidaires.
L’une des organisatrices, Giyona Tiku de la Tigrayan Canadian Community of Edmonton, résumait ses préoccupations dans ces termes, lors d’un entretien avec CTV News : « Actuellement le gouvernement de l’Éthiopie et le gouvernement de l’Érythrée font la guerre aux civils qui habitent au Tigré. Ces gouvernements sont en train d’affamer par la force la population entière du Tigré. »
Pendant que tout cela se déroule, le gouvernement d’Abiy Ahmed tente d’organiser des élections législatives, prévues en juin. La vie démocratique de l’Éthiopie en dépendra, peut-être, sans mentionner la stabilité de ce coin de l’Afrique. Continuons de nous intéresser à cette situation.