le Mercredi 27 septembre 2023
le Vendredi 28 août 2020 8:03 Non classé

23.2     « L’excès des jeunes gens … se moquer et rire de ce qu’ils entendent … » (p. 586 b)

À gauche, un exemple d’une page du sermon original, tel qu’elle existe aux Archives nationales, Ottawa, Fonds Sigogne, MG 23, C-10, vol. 2, page 584, pagination de l’archiviste (dans Internet, c’est l’image 492). Toutes les pages de ce sermon, et des autres, sont ainsi manuscrites par Sigogne. Ce sermon a été prêché par Sigogne en 1­­808
À gauche, un exemple d’une page du sermon original, tel qu’elle existe aux Archives nationales, Ottawa, Fonds Sigogne, MG 23, C-10, vol. 2, page 584, pagination de l’archiviste (dans Internet, c’est l’image 492). Toutes les pages de ce sermon, et des autres, sont ainsi manuscrites par Sigogne. Ce sermon a été prêché par Sigogne en 1­­808
(Segment 2 du sermon de Sigogne sur les cabarets et la vie immorale des Acadiens, initié la semaine dernière dans ces colonnes)
23.2     « L’excès des jeunes gens … se moquer et rire de ce qu’ils entendent … » (p. 586 b)
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Nous réitérons ce que nous avons exprimé la semaine dernière : ce genre d’instructions révèle un précieux témoignage au sujet de comportements observés par Sigogne parmi certains paroissiens de son temps. Il s’agit d’une sorte d’attestation très rare par rapport au temps et au lieu, car peu d’écrits existent décrivant la vie socioculturelle de ses Acadiens à l’époque. Grâce à ces manuscrits sigogniens, nous découvrons des détails, parfois étonnants, dans la vie de nos ancêtres qui seraient autrement inconnus, ce qui en fait une valeur inestimable pour mieux comprendre le vécu de ceux-ci.

(La transcription du manuscrit commencée la semaine dernière se poursuit ainsi … )

Ainsi j’ai pris mon parti. Mais avant de vous le déclarer, [583]permettez-moi de m’expliquer et de vous faire voir l’excès du mal qui vous accable, les conséquences qui vous menacent et le danger réel auquel vous êtes exposés. Vous venez de bâtir une église, il y a longtemps qu’on l’a entreprise, il y a longtemps qu’on en parle, il y a encore plus longtemps qu’on en avait besoin. Mais malgré tout aujourd’hui, beaucoup ne sont pas encore prêts à payer les frais qui ont été faits et ne se sont pas pourvus quoique la dépense soit modique, car l’ouvrage est mesquin et le bâtiment peu honorable pour un grand établissement. Quelles disputes cela n’a-t-il pas occasionnées ? Pourquoi ? Parce que la volonté pleine et entière n’y est pas, parce que l’Église de Jésus Christ n’est pas celle où est le Dieu de votre cœur. Ce sont les cabarets et autres maisons de débauches qui sont les lieux où vous faites vos offrandes. Vous servez le Dieu de la boisson et, pour me servir des termes de saint Paul, vous vous faites un dieu de votre ventre et vous le servez bien. Les cabarets sont les temples de cette idole infâme et c’est là où vous lui offrez toutes vos prémices, vous principalement, ô jeunes gens ! Et si vous faites quelques offrandes à l’église ce n’est que le reste que la débauche et le luxe veulent bien vous laisser comme par hasard ; encore parle-t-on de manière à faire voir qu’on le regrette, ce qu’on ne fait pas pour ce qu’on donne aux cabaretiers. Ô chefs de familles ! Vous voyez vos enfants en agir de la sorte, vous le souffrez et on prend leur parti lorsque le pasteur veut faire la correction. Je connais de vos jeunes gens qui se font un mérite et un honneur de faire les généreux et les grands buveurs, qui ne manqueraient pas une compagnie de débauche, qui sont de tous les partis, et qui trouvent de l’argent pour se faire ce qu’ils appellent honneur en ces sortes d’infâmes circonstances. Par ailleurs ils n’ont pas daigné montrer le moindre zèle pour l’église, car je ne puis lire leurs noms sur le registre parmi ceux qui ont contribué à ce qu’il a fallu payer pour les vases sacrés parce qu’ils n’ont rien fourni. Je n’en suis pas surpris, ils sacrifient et ils offrent tout ce qu’ils ont dans les cabarets à l’idole de l’eau-de-vie qu’ils aiment seule et qu’ils adorent. En sorte qu’il ne leur reste rien pour subvenir aux nécessités de leur famille et il en est de telles parmi vous qui sont aujourd’hui en dettes et en arrière pour ce qui regarde l’église, tandis qu’elles ont des garçons débauchés, ivrognes et prodigues et des filles attifées et luxurieusement habillées au-dessus [584]bien certainement de leur état qui n’est que celui de simples paysans et paysannes, je dirai ici forcé par les circonstances, de pauvres gens, puisque leurs pères et mères se trouvent réduits à la nécessité, sont en dettes, mal logés et qu’ils n’ont pas eu le moyen dans l’espace de cinq ou six ans de se pourvoir de quelques piastres pour fournir à la dépense de l’église. J’en connais plusieurs de cette malheureuse et déshonorante espèce. Ceux-là sont sans cœur, sans honneur, sans principe, sans courage puisqu’ils prétendent ne pouvoir empêcher chez leurs enfants de mener le train de débauche et de luxe qu’ils mènent. Oui, évidemment mes frères, l’eau-de-vie et ce lieu sont la ruine de vos âmes, de vos corps, de vos familles, de vos enfants, de vos biens, de votre honneur et le seront assurément bien vite de tout l’établissement si on continue. Vous criez toutefois à la pauvreté dès qu’il faut payer des taxes bien modiques, dès qu’il faut payer pour l’église ou pour les honoraires du prêtre ; assurément vous êtes pauvres et je le crois aisément. Mais le luxe et le libertinage vous appauvrissent.

Vous seriez riches si vous saviez vivre chrétiennement avec sobriété et tempérance. * (astérisque du prédicateur)[586 b]Vous vivriez mieux, je veux dire, vous jouiriez d’une plus grande abondance et d’un bien-être plus heureux et plus convenable, vous auriez ou plutôt vous pourriez aisément vous procurer une nourriture plus saine et meilleure si vous saviez mettre à profit toutes vos ressources et si vous aviez plus d’économie. —

[584 mi-page]Je dirai plus, ô ivrognes, ô hommes, filles et femmes, vêtus au-dessus de votre état, réduisez-vous aux bornes honnêtes de votre condition, vivez avec retenue et modestie, ayez de l’économie et, pour lors, vous serez plus à votre aise dans vos familles. Ce que vous dépensez mal à propos à boire et au luxe des habits, vous assistera à vous procurer une nourriture plus convenable pour vous et vos enfants, à satisfaire ce que vous devez et à vous faire honneur dans toutes les affaires extérieures, et à pourvoir contre les différents accidents de la vie. Ajoutez à cette épargne honorable et chrétienne, la bénédiction de Dieu et le témoignage d’une bonne conscience. Mais depuis deux ou trois ans les veillées, les danses, les repas de débauches que vous appelez vulgairement froliques[i], l’ivrognerie et d’autres excès qu’il ne faut pas nommer ici se sont tellement accrus, avec l’indifférence que je vois à ce sujet dans le plus grand nombre des familles parce qu’elles y trempent, que je crains que le mal soit sans remède et me rebute absolument. ** (double astérisque du prédicateur)

[586 b]— Voici encore d’autres raisons. L’excès des jeunes gensest tel qu’ils se font maintenant un jeu du refus des sacrements tant à cause de l’ivresse qu’à cause des danses, de la fréquentation des cabarets, des veillées, de l’impudicité et des autres excès criminels et damnables qui en sont les suites. N’en avez-vous pas vus au grand scandale de toute la paroisse en sortant les pieds de leur confesseur courir sur l’heure même au cabaret et s’y enivrer, et malgré les remontrances et les instructions qui leur sont données, se moquer et rire de ce qu’ils entendent et se donner des noms ridicules à cause de cela, se servir de termes indécents sur ce que le prêtre leur impose en cette occasion. Si je puis croire toutes les apparences, si je dois m’en rapporter à tout ce que j’en entends dire, l’excès est bien au-delà qu’on ne se l’imagine. Je ne le sais que trop bien et si vous voulez ouvrir les yeux et considérer cette conduite licencieuse et débauchée de vos jeunes indociles, elle est assurément la cause qu’on en voit si peu à la Sainte Table. Hélas, hélas chrétiens ! Que c’est honteux, et quelle tâche pour moi ! Quel chagrin pour vous ! Si vous avez encore quelque crainte de Dieu, ce qui assurément m’afflige le plus et me doit faire craindre davantage pour l’avenir, c’est la conduite qu’on a tenue depuis ma première déclaration et mes premiers avertissements ; il semble qu’on s’est efforcé pour faire plus d’excès que d’ordinaire durant ce dernier carnaval.

[586 a)] Le carême même n’a pas été exempt de ces excès par quelques-uns. S’il vous plaît comparez vous-mêmes, mes frères, cette façon d’agir avec les devoirs d’un chrétien. Ouvrez vos oreilles et écoutez ma réflexion ; comparez, dis-je, votre zèle pour ces sortes de débauches. Vous ne trouvez pas le temps long lorsque vous y êtes livrés ; vous avez assez de loisir. Mais l’église où vous devez venir adorer Dieu, votre créateur, et Jésus Christ, son fils notre Sauveur, était absolument vide le jeudi saint dernier ; c’était sans doute trop fatigant et trop gênant d’y venir pour des gens qui s’accoutument ainsi à la gloutonnerie. J’ai assurément toute raison de dire que le Dieu de votre cœur est l’idole de la boisson et de la bonne chair et non pas le Seigneur qui n’en a que les restes. N’est-il rien de plus outrageant pour Dieu et y a-t-il quelque chose de plus affligeant et de plus rebutant pour moi ? Non, sans doute, mes frères, mais sachez aussi que Dieu n’est plus dangereux, plus pernicieux ni plus damnable pour vous que tous ces désordres. Le Seigneur saura se venger ; il peut défendre sa cause lui-même et il le fera assurément tôt ou tard. Si sa vengeance n’éclate pas subitement et visiblement, son heure n’en vient pas moins et n’en est que plus assurée. Si la miséricorde et la patience de Dieu règnent encore, sa colère et sa justice n’en auront que plus justement sujet de se faire sentir sur des hommes impies, scélérats, impudiques, efféminés, déréglés et ivrognes. Lorsque les peuples anciens ont été arrivés au point de corruption où vous êtes maintenant parvenus et que Dieu dans sa miséricorde les fit avertir de se réformer comme il le fait assurément à votre égard par ma bouche, s’il n’a pas été écouté et obéi, il a aussitôt fait éclater sa vengeance sur ces mêmes personnes. Les peuples de l’ancien monde, les Juifs, les Assyriens, les anciens Perses, les Grecs, et les Romains, [579, mi-page]ceux de Sodome, de Ninive, de Tyr et de Sidon, tous ces peuples devenus objet de la colère de Dieu à cause de leurs vices sont tous disparus à l’exception des Juifs qui demeurent encore dispersés et connus sur la terre en exemple singulier et unique, portant sur eux un caractère particulier de réprobation. Croirez-vous être plus épargnés ? Oh ! assurément non, mes frères ! Et ne vous trompez pas, ne vous abusez pas, si vous commencez si mal, comment pouvez-vous espérer bien finir ?

Voici encore une autre source de dégoût, que je vous ai déjà fait connaître et qui touche très sensiblement la délicatesse de mes sentiments. C’est le mauvais cœur avec lequel j’en vois un grand nombre me satisfaire pour ce qui est dû selon nos accords et la manière injuste dont on fait ce recouvrement de la somme qu’on paie. Il est évidemment contre la justice et contre ma conscience à moi, que tous paient également, n’étant pas tous égaux en moyens. Mais comme ceux qui peuvent mieux payer ont toujours empiété sur ce point, je crois absolument que ce sentiment est général parmi vous. Quoique je ne veuille point sur ce point aller plus loin et vous chagriner davantage, je ne puis cependant approuver cette manière et je vous le dis encore, elle répugne absolument à mon cœur et à ma conscience et elle ne m’en déplaît pas moins. [580]Les réflexions personnelles et publiques de quelques personnes à cet égard me couvrent de confusion, m’offensent et me dégoûtent. Oui chrétiens, mes frères, je vous le déclare encore ici ; je n’ai nullement besoin de votre argent malgré vous et je préfère ne le point avoir que de le voir donner quoiqu’il soit dû en toute justice, ou de le voir donner de si mauvaise grâce, avec tant de réflexions et de dissension. Je sais être pauvre, j’ai connu la nécessité, et comme saint Paul, ô chrétiens ! je puis dire que ces mains que Dieu m’a données ont suppléé à mes besoins dans le temps de ma détresse, et avec l’assistance de Dieu elles le pourront encore. Telles sont la sévérité et la délicatesse de mes sentiments en ce point. Mais je n’en suis pas moins disposé à remplir les fonctions de mon ministère selon le temps et les circonstances. Je vous prie de ne pas prendre ceci pour des reproches ; ce n’est pas mon intention de vous en faire. Je ne prétends pas même me plaindre par ces observations mais seulement vous exposer un fait et des choses que vous connaissez bien et vous faire connaître mes sentiments à ce sujet.

(Segment 3, et la fin du sermon, dans ces colonnes la semaine prochaine … )

[1]Le mot froliques esttiré du verbe anglais to frolicqui signifie « se divertir » ou « folâtrer ». Les Acadiens de l’époque ont sans doute adopté cet anglicisme pour se référer à leurs divertissements et leur amusement frivole.