Sigogne tenait beaucoup aux processions liturgiques pour célébrer des occasions spéciales, celles de la Fête-Dieu étant particulièrement notables. Le registre de la fabrique de Sainte-Anne rapporte en grands détails la procession du 21 août 1808, de l’ancienne à la nouvelle église de cette paroisse; il est plausible qu’il n’en fut pas autrement à Sainte-Marie.
Le peuple s’étant assemblé vers les huit heures du matin à la vieille église, chacun s’étant placé et ayant reçu du prêtre les différentes choses appartenant au culte divin comme les livres, les ornements d’autels, les habits sacerdotaux, etc., pour les emporter convenablement, après que le juge de paix, les constables ou huissiers avec les bedeaux avaient fait ranger les hommes sur deux rangs, la banière en avant, on est parti processionnellement pour se rendre en chantant le Veni Creator, les Litanies de la Sainte Vierge, etc., à l’église neuve où étant arrivé, le prêtre l’a bénie selon les pouvoirs qu’il en avait reçus et selon l’ordre marqué dans le Rituel et les processionnaux du diocèse. Ensuite il y a célébré la sainte Messe au milieu d’un grand concours de peuple français, anglais et sauvages et a fait durant le service divin des instructions en anglais et en français analogues aux circonstances. Les assistants ont témoigné une grande joie et une grande satisfaction de voir ainsi l’église ouverte pour l’office public et l’ont témoigné spécialement par une quête abondante pour l’endroit ainsi qu’on le peut voir à la colonne de la recette.1
C’est donc en 1808, presque 10 ans suivant son arrivée en ces lieux, que Sigogne réussit à bénir ses deux premières églises sur le sol acadien. Celle de Sainte-Anne avait été commencée le 5 juillet 1803, donc trois ans avant celle de Sainte-Marie, et malgré cela, elle ne fut terminée que quelques mois après celle de Sainte-Marie. Dans le cas de Sainte-Anne, il fallut cinq ans à la construire, tandis qu’à Sainte-Marie il n’en fallut que deux. Le registre de la fabrique de Sainte-Anne rapporte avec autant de détails que celui de Sainte-Marie les nombreux ennuis essuyés par le missionnaire dans ce projet de construction. Néanmoins, armé d’une persévérance inaltérable, d’un sens aigu du devoir et d’une volonté de fer, l’administrateur de ces paroisses ne relâcha pas les efforts nécessaires devant les obstacles et l’obstination de ses paroissiens; poursuivant inlassablement ses projets, il vint à bout de construire non seulement ces deux églises mais encore plusieurs autres ainsi que quelques presbytères.
Le projet de construction des deux premiers presbytères amena aussi des désharmonies dans les intentions du curé comparées à celles de ses paroissiens, quoique pas au même niveau que celles rencontrées dans la construction des églises. Le registre de la fabrique de Sainte-Marie rapporte qu’après quelques vains efforts, la construction d’un nouveau logement pour le missionnaire fut entreprise au printemps de l’année 1810, plus particulièrement le lundi de Pâques. La charpente fut érigée le lendemain de la Quasimodo, et finalement il déménagea « dans le nouveau presbytère vers le commencement de décembre 1810 ».2 Quant à la paroisse Sainte-Anne, la construction du nouveau presbytère, comme celle de l’église, fut beaucoup plus lente. Une des raisons probables de cette lenteur dans cette paroisse est que le missionnaire y séjournait moins fréquemment et pour des séjours moins longs qu’à Sainte-Marie. En conséquence, il n’était pas en mesure de surveiller le projet avec autant d’assiduité qu’il pouvait le faire à Sainte-Marie. Le registre de la fabrique de Sainte-Anne rapporte que le presbytère de cette paroisse a été commencé et la charpente montée durant l’été 1811. Le missionnaire ne put néanmoins s’y loger qu’en mars 1814.3 A partir de 1811, puisque le vieux presbytère « n’était plus habitable » et qu’il était éloigné de la nouvelle église,4 le missionnaire, durant ses résidences, demeurait chez un des paroissiens en attendant la construction de son nouveau presbytère. Il appert, selon certains aujourd’hui, qu’une partie de ce presbytère existe toujours intégrée au presbytère actuel de Sainte-Anne-du-Ruisseau.
Avant de rendre l’âme en novembre 1844, Sigogne a coordonné et surveillé au total la construction de neuf églises sur son immense territoire pastoral, les deux premières en 1808, à Sainte-Marie et à Sainte-Anne. Sauf l’église Saint-Pierre érigée en 1815 à Pubnico-ouest, les six autres églises furent toutes bâties dans le comté Digby : l’église Saint-Mandé, à Meteghan, en 1817; le premier patron de cette paroisse fut choisi et dicté par Mgr Plessis, évêque de Québec, lors de sa visite en Acadie en 1815.
Suivant le grand incendie en 1820 à la Baie Sainte-Marie qui avait rasé l’église, le presbytère et plusieurs autres maisons familiales, granges, etc. (principalement à Petit-Ruisseau et à Pointe-de-l’Église), une autre église dû être complétée en 1829 … les gens l’avaient nommée ‘la grande église’ parce que elle était beaucoup plus grande que celle qui avait passée au feu. En 1830, l’église Sainte-Croix à Plympton fut érigée; en 1831, l’église Saint-François-Xavier fut construite sur la réserve mi’kmaq à Bear River (anciennement Rivière Imbert) … cette dernière demeure intacte encore aujourd’hui et elle est encore utilisée comme lieu de culte occasionnel. À Digby, l’église Saint-Patrice fut complétée en 1834.
Enfin, celle de Corberrie, l’église Saint-Jean-Baptiste, fut complétée en 1837, alors que Sigogne avait 74 ans. Abandonné en janvier 2007 comme lieu de culte par le Diocèse de Yarmouth à l’époque, l’édifice est depuis demeuré vide et inutilisé. Le village de Corberrie, malgré les vaillants efforts des paroissiens, n’était pas en moyen de maintenir cette vieille église en état de survie. Nous, personnellement, avons fait plusieurs démarches auprès de différentes autorités, civiles autant qu’ecclésiastiques, pour la faire déplacer, au moins en partie, au Village historique acadien de la Nouvelle-Écosse où l’absence d’une église sur son site est manifestement déplorée. Toutes ces démarches déployées sur plusieurs années ont été en vain, car cette ancienne église est restée sans recevoir le maintien nécessaire pour la conserver intacte. Au début du 21e siècle, la charpente nécessitait de toute évidence des rénovations importantes, et la décision inévitable devenait de plus en plus urgente. Malheureusement, l’une des deux églises existantes en ce 21esiècle et construites sous la surveillance de Sigogne, l’ancienne église Saint-Jean-Baptiste fut démolie en 2018.
Sous son administration, Sigogne est donc responsable en tout ou en partie de 12 édifices paroissiaux, sans compter les quelques granges, etc., qu’il s’est fait construire pour ses besoins personnels.
Pour Sigogne, construire des maisons de Dieu c’est généralement enfanter dans la douleur; seules une patience éprouvée, une ténacité remarquable et une énergie infatigable de sa part lui ont permis de mener à bien une œuvre de bâtisseur d’églises qui s’étend sur 45 ans et qui n’a aucun équivalent à cette époque particulièrement malaisée et exigeante.
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1Registre de la fabrique de Sainte-Anne-du-Ruisseau (RFSAR), folio 19. Voir aussi folio 18 vo; la quête du 21 août 1808 a rapporté la belle somme de 1 £ 1 shelling et 1 denier et demi.
2Registre de la fabrique de Sainte-Marie (RFSM), folio 42 vo.
3RFSAR, folio 25.
4Voir AAQ, 312 CN, N.-É., V:68, lettre du 18 février 1811 de Sigogne à Plessis, p. 1: « À Sainte-Anne d’Argyle, il n’y a qu’un petit logement tout pourri et tout délabré, encore est-il très éloigné de l’église. »