Celle-ci – que vous lisez très probablement dans l’intimité de votre résidence! – s’en tiendra à une note positive, mais encore sous le signe de l’interconnectivité du monde. Aujourd’hui 20 mars, c’est la Journée internationale de la Francophonie. Malgré l’annulation de plusieurs activités prévues pour marquer cette date, rien ne nous empêche de profiter de l’occasion pour mieux comprendre les dynamiques de l’univers francophone auquel appartiennent nos communautés néo-écossaises.
Il existe pour cela une fabuleuse ressource : La Langue française dans le monde, un rapport d’envergure préparé par l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF) de l’Université Laval et l’Observatoire de la langue française de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Publiée sous forme de livre et disponible en librairie, la plus récente édition est sortie l’an dernier, chez Gallimard.
À sa parution, plusieurs constats ont été relayés dans les médias. Avec 300 millions de locuteurs, le français se range parmi les langues les plus pratiquées au monde. (Les auteurs le situent en cinquième position, après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe, classement qui, à ma grande perplexité, ne tient pas compte du hindi, parlé par environ 340 millions de personnes.) Près de 60 % des francophones se trouvent en Afrique et c’est sur ce continent que se jouera l’avenir de notre langue. Les projections démographiques esquissent une nette progression d’ici 2070, grâce au basculement vers le Sud : entre 477 millions et 747 millions de francophones, selon les scénarios qui dépendront de la croissance démographique et de la place du français dans les systèmes d’éducation.
Fort d’un statut officiel dans 32 États et gouvernements et dans bon nombre d’organisations internationales, en plus d’être solidement implanté dans des pays comme l’Algérie, le français demeure et demeurera, semble-t-il, une langue mondiale et, de ce fait, l’un des vecteurs de la mondialisation. C’est pour cela qu’il continue d’être enseigné un peu partout.
Mais attention : les francophonies ne se ressemblent pas. À quelques exceptions près, la pratique du français évolue dans des contextes plurilingues, encadrés par des régimes linguistiques très diversifiés. Entre le Liban, au Moyen-Orient, et Madagascar, dans l’océan Indien, il y a un monde de différence.
La précédente version de La Langue française dans le monde (2014) en rendait déjà compte. Il était alors question de balayer les catégories jusque-là en vigueur, qui divisaient les francophones entre locuteurs « natifs » et « partiels », pour envisager dorénavant une « galaxie francophone » composée de trois sortes de « planètes » : « naître en français », « vivre (aussi) en français » et « choisir le français comme langue étrangère ». Tous les habitants de ces trois « planètes » ou situations-types font partie de la francophonie.
Ce qu’il y a d’intéressant et de nouveau dans le rapport de 2019, ce sont les résultats d’enquêtes sur des aires spécifiques ou encore sur des domaines comme l’économie, les médias et le secteur de l’éducation. Voici trois exemples des questions qui sont explorées afin de mieux cerner les francophonies d’aujourd’hui.
1) « Usages et avenir du français dans l’espace francophone du Sud » – Le projet TRANSLINGA a examiné les enjeux de la transmission du français dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest, à savoir : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Sénégal. Les résultats donnent l’impression que le français s’implantera de plus en plus comme langue du foyer, sans pourtant évincer les autres langues nationales ou ethniques. Par exemple, au Burkina Faso, 73 % des jeunes interrogés ont déclaré avoir l’intention d’apprendre le français à leurs enfants.
Un autre sondage sur les attitudes des locuteurs révèle toutefois que la langue de Senghor (enfin, une parmi plusieurs autres…) ne s’est pas encore affranchie des connotations liées au colonialisme. Il y a donc du chemin à faire.
2) « Usages médiatiques et numériques » – Le français serait la quatrième langue de l’Internet tandis que l’Afrique réunit 362 millions d’internautes sur une population totale de 1,2 milliard. Cette proportion ira grandissant.
Les jeunes Africains passent en moyenne deux heures, 20 minutes par jour sur Internet et les réseaux sociaux. La Langue française dans le monde en conclut à « un continent très connecté », grâce notamment à l’application mobile Whatsapp.
Les médias francophones comme Radio France Internationale et TV5 Monde affichent des taux d’écoute très élevés en Afrique francophone. C’est là où la chaîne internationale compte 71% de son audience régulière. Au Maghreb, 10,5 % des téléspectateurs regardent TV5 Monde au moins une fois par semaine.
3) « Le français pour le développement » – Existe-t-il une économie francophone (EF)? Si oui, comment peut-elle être mise au service des populations désireuses d’améliorer leur sort en tirant profit de la globalisation culturelle? Alors que l’espace francophone représente 7,3 % de la population mondiale, les pays de l’EF assurent 8,7 % du produit intérieur brut à l’échelle mondiale. Si 90 % de ces richesses se réalisent dans les pays du Nord, ceux du Sud connaissent une croissance économique bien supérieure. D’où le besoin d’échanges réellement bénéfiques à tous les partenaires.
Parmi les défenseurs d’une meilleure coopération économique au sein de la Francophonie, Vincent Jacques a créé une crypto-monnaie à cette fin, Paypite. Faute d’une devise commune à l’instar de l’euro, ce Bitcoin francophone pourra « démultiplier le potentiel de croissance économique des pays francophones, notamment en réduisant les coûts liés au transfert d’argent », dit l’inventeur de Paypite.
L’un des experts cités dans l’ouvrage est Rada Tirvassen, professeur à l’Université de Pretoria (Afrique du Sud) et originaire de l’île Maurice. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, la Francophonie de demain tirera sa force vitale de sa diversité mise au profit du dialogue et du développement. Chaque aire francophone devient un laboratoire des possibles.
« La Francophonie institutionnelle peut s’appuyer sur ces contextes afin de faire prendre conscience aux décideurs des conditions nécessaires à la création d’un espace francophone qui pourrait être au service de l’harmonie sociale et de l’avancement socio-économique », affirme-t-il.
« De manière plus générale, la Francophonie peut montrer à quel point il est essentiel de créer les conditions nécessaires au progrès des communautés humaines et à la coexistence des pratiques langagières dans un équilibre, il est vrai difficile à réaliser, entre le respect des traditions et l’évolution vers la modernité. »
C’est encore une promesse, mais dont l’éventuelle réalisation vaut bien nos efforts.