Heureusement, nous en retrouvons une transcription de la main de Placide Gaudet, ce qui nous permet d’en déchiffrer une bonne partie, mais hélas, pas entièrement, nous laissant sur notre appétit. Cependant, nous apprenons des faits intéressants sur la vie au quotidien de l’abbé Sigogne. D’abord, une lettre de la France en 1816 pouvait prendre jusqu’à cinq mois pour se rendre à destination en Amérique du Nord. Et la réponse d’un continent à l’autre n’était pas toujours assurée. Ensuite, nous apprenons que les nouvelles parvenant de la famille Sigogne en France se faisaient très rares, voire inexistantes, surtout de son père … suivant le départ de l’abbé du sol français en 1792. Aussi, lorsque la paroisse de Meteghan fut fondée en 1817, son nom patronal était Saint-Mandé. Puis encore, l’abbé nous décrit comment l’autochtone mi’kmaq se déplaçait avec sa famille à travers les forêts. À noter que nos commentaires explicatifs sont en parenthèses dans le texte.
Monsieur Gallicher, notaire
Après plusieurs détours, votre lettre en date du 16 février dernier m’est parvenue vers le milieu de juillet sur le coin de terre où je demeure, entre la mer et les forêts. Des voyages et de grandes occupations m’ont empêché d’y répondre plus tôt et quand bien même je l’aurais pu faire, je manquais l’occasion pour envoyer la lettre. Je vais faire une double réponse à l’honneur de la vôtre ; pour être plus sûr, j’en risquerai une par Londres et l’autre par Boston. Je me flatte que la succession pourra nous rembourser de la dépense que cela pourra nous occasionner.
Je ne saurais vous décrire la surprise où m’a jeté votre lettre. Je commencerai par vous remercier de votre complaisance. Je suis bien étonné que mon frère et ma sœur ne m’aient pas écrit. Il y a près de 23 ans que je n’ai entendu parler d’eux, quoique, cependant, j’aie reçu quelques lettres de France et d’Angleterre. Il faut peut-être l’attribuer aux malheurs des temps. J’ai écrit plusieurs fois à mon père et à mon frère pour leur faire connaître ma situation qui, selon le monde, est assez bonne et même honorable ici.
Mais, aussi, je suis chargé d’occupations. J’ai une très grande mission qui contient deux paroisses et bientôt quatre. (En 1816, ses deux paroisses étaient Sainte-Marie, Pointe-de-l’Église et Sainte-Anne, Sainte-Anne-du-Ruisseau; et les deux autres qu’il anticipait : Saint-Pierre, Pubnico- Ouest et Saint-Mandé, Meteghan.) Je vais entreprendre de bâtir une 5ième église (sur la réser ve mi’kmaq à Bear River, près de Digby/ Annapolis Royal) mais celle-là je ne pense pas la desservir, quoiqu’à présent je suis le seul prêtre qui puisse le faire, car c’est pour des sauvages (dorénavant dans cette lettre : peuple mi’kmaq) et il n’y a que moi qui entende leur langue à présent. Leur quartier est éloigné et je vieillis. Je ne pourrai m’en charger. Dieu y pourvoira. Un autre fera ce que j’ai fait, il apprendra le Mickmake (sic) (langue mi’kmaq) qui est la 7e langue que j’ai apprise mais la plus originale et la plus difficile que je connaisse. J’ai déjà béni trois églises (Sainte-Marie et Sainte-Anne en 1808, et Saint-Pierre en 1815), la quatrième (Saint-Mandé en 1817) est bientôt prête. J’espère y dire la messe avant l’hiver. L’évêque de Québec à sa visite chez moi, à près de 300 lieues (environ 1 300+ km) de chez lui, l’an dernier, m’a fait l’honneur de lui donner le nom de Saint-Mandé, notre patron. J’en avais placé la 1ère pierre il y avait quelques semaines lorsqu’il est arrivé. Elle est joliment située sur le bord de la mer.
Ici, je me trouve obligé de prêcher et de confesser en trios langues, très souvent le même jour pour la confession, savoir en anglais, en sauvage et en français, ajouter à ceci que je suis juge de paix et le seul magistrat sur une étendue de terrain de 12 à 13 lieues (54 à 58 km). Je suis éloigné de tout autre prêtre; par conséquent point d’assistance. Il y a ici environ 400 familles catholiques françaises entremêlées de quelques Irlandais sans compter les sauvages qui affluent à certaines saisons et viennent quelques-uns de plus de 110 lieues (près de 500 km) avec leurs enfants. Mais 100 lieues (444 km) sont peu de chose pour un sauvage errant dans le bois, la femme portant son petit enfant arrangé solidement et commodément dans une espèce de boîte ouver te sur son dos avec deux brettelles comme on porte une hotte, et l’homme son fusil à la main, une espèce de giberne en arrière pendant à sa ceinture, un canot d’écorce sur sa tête assez grand pour contenir lui, sa femme et 5 ou 6 enfants qui portent eux aussi leur part du bagage et la marmite, et lorsqu’il se trouve un lac dont le pays abonde, des étangs ou des rivières ou encore… à bas le canot, on s’embarque, on passe de l’autre (rivage) … décharger le bagage et le canot pour continuer … la chasse pour nourrir la famille ainsi à … mais ils vivent bien, ils tuent dès lors … et des orignals (sic) animaux plus …
(dommage ici… la fin du manuscrit est illisible et la transcription n’en dit pas plus).