Par une nuit des plus paisibles, à l’angle de la place de Concarneau, survient une tentative d’assassinat contre M. Mostaguen en face de l’Hôtel de l’Amiral. Les principaux témoins : le douanier du quai et un drôle de chien, une grosse bête hargneuse d’un jaune sale. Le commissaire Maigret est rapidement dépêché sur les lieux, mais voilà qu’une autre tentative d’empoisonnement survient le lendemain à l’encontre de trois gentlemen, des habitués du Café de l’Amiral. Loin de s’arrêter là, les évènements macabres se poursuivent lorsqu’un membre du trio en question vient à disparaître peu après.
Tout porte à croire qu’il s’agit d’une triste agression qui précéderait son meurtre. De quoi faire planer un vent de panique sur la population de Concarneau. Le lecteur découvrira par la suite avec stupeur qu’il ne s’agissait que d’une mise en scène pour camoufler la fuite du personnage. Toutefois, comme si cela n’était pas déjà suffisant, le second membre, connu sous le nom de M. Le Pommeret, est retrouvé mort empoisonné chez lui le même jour à la suite d’un dîner, quelques heures après son apéritif au fameux Café de l’Amiral.
L’arrivée en ville d’un étrange vagabond, à l’allure de colosse inapprivoisé n’égale que la facilité avec laquelle il file d’entre les mains de la police, ne fait rien pour calmer l’esprit tourmenté des habitants de cette petite ville française, où le malheur ne semble jamais loin du quai. Par ailleurs, les circonstances de l’agression d’un douanier viennent à innocenter en partie l’impressionnant vagabond, trop occupé à disparaître aux côtés de son amante pour être mêlé au méfait. Finalement, le mystère réside dans les rouages d’une vengeance orchestrée par Léon Le Guérec, dit le colosse, qui amène le dernier des trois gentlemen à se condamner, lui et ses deux complices, à une suite d’évènements pénibles afin d’échapper aux conséquences bien méritées de leurs actes passés.
C’est dans une écriture digne des procédés stylistiques du siècle dernier que Georges Simenon nous plonge au cœur d’une enquête palpitante où les motivations du criminel demeurent encore la principale clé de l’énigme. En effet, l’ensemble de l’affaire repose sur un seul mobile : la peur. Et il serait judicieux de s’intéresser à son origine. C’est bel et bien le climat de paranoïa installé par le vagabond qui pousse le criminel, assujetti par la peur de représailles, à commettre de nombreuses tentatives de meurtres dans la ville de Concarneau.
Toutefois, ce qui pourrait passer, aux premiers abords, pour une perfide vengeance au caractère morbide, ne serait pourtant que l’expression d’une pauvre âme tourmentée, victime d’un complot autrefois orchestré par le même trio qui subit des mésaventures tout au long de l’enquête. Dès lors, la responsabilité du vagabond et le déroulement de ses gestes prête à confusion, et la ligne entre criminel et coupable s’amincit considérablement. D’autant plus que ledit vagabond décide finalement et soudainement d’abandonner le projet de vengeance d’une âme ravagée par la souffrance et en proie à un désespoir tragique, pour profiter d’un bonheur avec son ancienne fiancée et ainsi faire la paix avec lui-même. Il laisse les trois malhonnêtes à être les seuls artisans de leur propre destin.
Il apparaît finalement que le propriétaire du chien jaune n’est qu’une victime en quête d’un sens à sa vie brisée par un groupe d’hommes coupables de cupidité, d’où découlera une série d’évènements tragiques. De quoi remettre en question l’éthique morale et les attentes relatives au criminel et au coupable.
Cette œuvre du XXe siècle nous présente une enquête hors du commun où les apparences, bien souvent trompeuses, cachent en réalité un mystère bien plus complexe que celui d’un simple fait divers. Il serait de bon goût de recommander ce livre qui, en plus de nous éblouir par les observations savantes de l’extraordinaire commissaire Maigret, nous présente le roman policier sous une facette particulièrement existentielle, de quoi captiver l’intérêt des adeptes de ce genre romanesque.