Tout d’abord, les politiques isolationnistes «America First» pourraient pousser le Canada à s’aligner plus étroitement sur les préférences culturelles et économiques des États-Unis, ce qui pourrait remettre en question les protections en place pour les communautés francophones au Canada. Les industries culturelles francophones (pensons aux médias, films, musique, etc.) bénéficient du soutien du gouvernement et de cadres règlementaires conçus pour protéger l’identité bilingue du Canada par le biais des médias que nous produisons et consommons. Ces cadres vont de la Loi sur la radiodiffusion canadienne aux programmes d’appui aux langues officielles, en passant par les lois sur le droit d’auteur, les crédits d’impôt et les incitatifs à la production en langue française.
Les pressions exercées par Président Trump 2.0 pour dérèglementer les médias, le «Big Tech» et la propriété intellectuelle pourraient avoir un impact important sur les industries culturelles françaises. L’approche dérégulatrice de Trump dans ce domaine pourrait influencer les discussions canadiennes autour des services de streaming comme Netflix ou Disney+, qui n’ont été que récemment tenus de contribuer et de promouvoir les contenus francophones et canadiens sur leurs plateformes, en vertu de la Loi sur le streaming en ligne (2022). La diffusion de la culture et des médias américains par les services de streaming rendrait plus difficiles l’accès des Canadiens francophones aux médias de langue française et le maintien des droits linguistiques.
Nous pourrions également assister à de nouvelles limitations de la création culturelle francophone: une dérèglementation accrue des lois sur la propriété intellectuelle aux États-Unis, visant à protéger les géants de la technologie, pourrait réduire le pouvoir des artistes et des créateurs canadiens. Des changements dans la politique fiscale américaine affectant les collaborations transfrontalières dans la production cinématographique, télévisuelle et médiatique pourraient rendre les incitations canadiennes moins attrayantes, affectant les productions médiatiques francophones qui dépendent de partenariats ou de coproductions nord-américains.
De manière encore plus générale, d’éventuelles perturbations économiques ou commerciales pourraient avoir un impact sur les dépenses gouvernementales consacrées aux programmes auxquels répondent les communautés francophones minoritaires, tels que les Programmes d’appui aux langues officielles.
Ensuite, les positions commerciales protectionnistes des États-Unis pourraient avoir un impact négatif sur les exportations de fruits de mer, de carburant et de bois d’œuvre de la Nouvelle-Écosse. L’impact sur les fruits de mer est particulièrement notable: malgré les pertes potentielles sur le marché américain dans un cas de protectionnisme accru, les pêcheurs canadiens pourraient voir une demande augmentée de la Chine, telle que nous avons connu ces dernières années lors des récentes guerres commerciales entre les États-Unis et la Chine.
Mais l’impact est bien plus complexe. D’une part, l’industrie travaille en dollars canadiens, mais est payée en dollars américains, ce qui a contribué à des bénéfices importants alors que la valeur du dollar américain s’est renforcée au fil du temps. Trump est en faveur d’une dévaluation du dollar américain, ce qui pourrait inverser cet avantage.
En plus et surtout: la Chine a démontré sa volonté de mettre le commerce au service d’objectifs politiques stratégiques. Une dépendance excessive sur les marchés chinois rendrait les pêcheries acadiennes vulnérables aux conflits politiques et les placerait potentiellement au cœur des luttes pour les droits humains et la sécurité internationale. Par exemple, en 2019, la Chine a interdit les importations d’huile de canola canadienne peu après que le Canada a arrêté Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, à la demande du gouvernement américain, en raison de son implication présumée dans une fraude liée à la violation des sanctions contre l’Iran. L’interdiction de trois ans a couté aux agriculteurs canadiens des milliards de dollars en pertes d’exportations et en baisse de prix.
Il n’y a aucune raison de penser que la Chine ne fera pas de même avec le marché du homard, la prochaine fois que le Canada prendra une décision de principe sur une question de droits humains. Dans une telle situation, les pêcheurs néoécossais pourraient se retrouver coincés entre la défense de leurs moyens de subsistance et l’octroi d’un laissez-passer à la Chine pour l’une ou l’autre de ses nombreuses violations des droits humains, qu’il s’agisse de la torture de militants des droits humains, de l’internement massif ou de la stérilisation forcée de femmes ouïgoures ou une invasion de Taiwan.
Troisièmement, la Nouvelle-Écosse a fait des progrès en ce qui concerne la participation des femmes à la vie publique et la protection des droits des personnes LGBTQ+ et transgenres. Les élections municipales du mois dernier ont été marquées par d’importants progrès pour les femmes. La Nouvelle-Écosse compte la plus forte proportion de personnes transgenres et non binaires au Canada. La rhétorique ouvertement misogyne et sexiste de la campagne de Trump pourrait encourager des tendances similaires dans la conversation publique canadienne. Cela pourrait décourager la participation, accroitre l’hostilité, l’intolérance et le harcèlement.
Quatrièmement, la nouvelle administration Trump pourrait avoir un impact sur le tourisme et l’immigration. Notre région pourrait connaitre une baisse du tourisme si Trump tenait ses promesses de dévaluer le dollar et de mettre en œuvre des politiques frontalières plus strictes. Parallèlement, le tourisme médical pourrait augmenter, si l’accès à des soins de santé abordables (y compris l’avortement) est réduit ou supprimé aux États-Unis.
Dans le même ordre d’idées, la déportation massive promise des immigrés clandestins pourrait avoir pour effet d’envoyer ces populations vulnérables au-delà de nos frontières, tandis que les politiques d’immigration restrictives pourraient inciter davantage de personnes opprimées dans le monde à demander le statut de réfugié chez nous.
Bien que cela reste spéculatif à l’heure actuelle, si Trump utilise le système judiciaire pour poursuivre ses opposants politiques, comme il l’a promis, il est concevable d’imaginer des Américains cherchant un refuge politique dans la région avec des effets concomitants sur l’accès aux services, la disponibilité des logements et les prix des biens.
Enfin, la qualité de l’air dans «le tuyau d’échappement de l’Amérique du Nord» s’est améliorée au cours des deux dernières décennies, grâce aux règlementations américaines qui réduisent les émissions provenant de sources telles que la production d’électricité et les gaz d’échappement des véhicules sur la côte est. De même, la dérive transfrontalière de la pollution marine et l’acidification des océans ont un impact sur la pêche en Nouvelle-Écosse. Trump a fait campagne sur le gel et l’abrogation des protections environnementales, ce qui pourrait potentiellement avoir un impact sur notre qualité de l’air et nos écosystèmes marins.
Gabrielle Bardall
Professeure adjointe
Université Sainte Anne