Les colons Français, qui émigraient d’un peu partout en France vers la colonie appelée Acadie, apportaient leurs variétés linguistiques régionales. Et dans leurs nouveaux villages, ils s’échangeaient prononciations et mots. Or, leur conjoncture géographique nouvelle, le climat, les saisons, la mer et les retours de la Déportation les ont forcés à se créer de nouveaux mots ou de nouvelles manières d’exprimer leur vécu; c’est ainsi que de multiples parlers ont émergé.
Heureusement, les richesses de ces vernaculaires sont consignées dans de nombreux glossaires; entre autres, Le parler de la Baie Sainte-Marie, de Félix Thibodeau; le Glossaire acadien, de Pascal Poirier et le Dictionnaire du français acadien, d’Yves Cormier (qui couvrent tous deux l’ensemble des régions d’Acadie); le Glossaire du vieux parler acadien, d’Éphrem Boudreau (Cap-Breton); sans oublier l’indispensable Dictionnaire historique de la langue française, de Robert, qui donne l’origine des mots.
Les œuvres littéraires du 11e siècle jusqu’à 1632 (lorsque la véritable colonisation acadienne a débuté) ne sont pas à négliger; par exemple, dans La chanson de Roland, poème épique du 11e siècle, on trouve le verbe voir. Je l’ai veue; et dans les œuvres de Champlain, on trouve veu ou veuë, exactement comme on l’entend dans certains coins de l’Acadie.
Comme les parlers acadiens sont essentiellement du français régional, avec des ajouts et des transformations en terre d’Amérique, j’ai été frappé par les particularités suivantes, essentiellement de la Baie. Les mots sont soit :
—Anciens. Exemple : la pulpite (la chaire) employée à Wedgeport; le doré-dory-doris (embarcation); guenion : petite guenille (1652); C’ti-là (qui vient du Moyen âge : cestuy-là).
Le mot bourne ou sa variante bourgne nous vient de France. En effet, un pêcheur (14e siècle), qui avait maille à partir avec son voisin qui lui volait du poisson, expliquait à un juge itinérant la signification du mot borgne : nasse à une seule ouverture. Dans certaines parties de l’Acadie, les bournes n’avaient qu’un orifice.
Et la savoureuse expression : «Albert est le portrait tout chié de son père. Or, dans La farce de Maistre Pierre Pathelin (15e siècle) on trouve : «C’est le portrait tout crachié de son père» (une allusion au sperme); l’accent tonique porte sur chier.
—Ou des formes prestigieuses de verbes, mais pas très anciennes: L’emploi du subjonctif imparfait : i’ faudrait qu’ tu v’nis (que tu vinsses).
La différence entre le passé composé : j’ai mangé ça à matonne (action passée avec lien avec le passé, car j’ai roté tout l’après-midi) et le passé simple : J’ mangis ça à Noël (action passée sans lien avec le présent). Comme en espagnol.
Et l’emploi du passé surcomposé : Tant qu’i’ a yu fini d’ travailler… (quand il a eu fini…).
—Mots prononcés de manière différente. Jhoumard est une prononciation aspirée du mot *homard; (le Larousse nous l’indique bien, par un astérisque*). Dans mes classes, les Acadiens savaient presque toujours, sans consulter le dictionnaire, qu’un mot en h était ou non aspiré. Mais ils aspirent aussi hotel, horrible,…
Astheure n’est autre que à cette heure/à c’t’ heure… (mot vieilli ou régional, selon Larousse) Balzac écrivait «…à c’t’heure.»
—Mots contemporains, mais dont le sens diverge des autres définitions au dictionnaire, mais qui vont dans le sens originel de ces mots. Exemple : Gobiller au lieu de godiller, dans certaines régions de l’Acadie (manœuvrer une embarcation par un mouvement de gauche à droite de la godille; mouvement qu’on peut aussi appliquer à un cycliste qui louvoie). L’acception acadienne : Il gobille désigne la marche d’une personne ivre.
—Faux anglicismes (Je suggère de consulter le Oxford Dictionary of English Etymology) : En as-tu mangé?—Oui, j’en ai mangé un p’tit (a little). Ne devrait-on pas dire un petit peu? Non, il est employé au 16e siècle (notamment par Raberlais).
Le prêtre monte dans la pulpite (la chaire). C’est un mot médiéval qui nous vient du latin pulpitum.
La ‘pantré’ (où l’on garde le pain) viendrait-il de l’anglais ‘pantry’? Non, plutôt du français la paneterie.
‘Canceller’, mot français, a été copié par les Anglais.
—Et les mots mi’kmaq : madouesse : porc-épic. Machcoui : écorce de bouleau.
—Le genre des mots : on disait autrefois : la serpent (ou saprent, employé au sud du Cap-Breton); la silence (du 13e au 17e siècles) qui signifiait : repos, inaction, absence de mouvement); la coucher de soleil (14e siècle) employé dans la région d’Argyle.
On pourrait s’amuser longtemps à départager les vraies particularités du parler acadien du français international d’aujourd’hui et d’autrefois. Quel plaisir de découvrir l’origine lointaine des mots, souvent latine, et de prouver leur authenticité dans les grous liv’es.
Le Courrier a beaucoup parlé de l’insécurité linguistique que les gens éprouvent devant ceux qui parlent le français standard. Or, tous les peuples (Italiens, Allemands, Anglais, Arabes,…) emploient de multiples variétés régionales par rapport à la norme. Par contre, à l’école, ils apprennent tous la langue phare de leur pays; cela pour que les contrats, les livres, les journaux, la télé et l’école soient compris par tous. Comptons-nous chanceux : depuis la conquête romaine de la Gaule jusqu’au 17e siècle, la langue standard était le latin!
On peut lutter contre l’insécurité langagière en utilisant avec fierté sa langue maternelle, pleine de nuances et aux racines profondes, étant convaincu de son authentique valeur.
On peut également apprendre le français international pour communiquer avec les peuples de la francophonie et pour occuper des postes qui exigent un français universel.
Malheureusement beaucoup de cette richesse s’est perdue suite à la modernisation, à l’envahissante anglicisation, du fait qu’elle n’est pas codifiée, qu’elle n’est pas écrite (d’où le manque de matériel pédagogique) et qu’elle n’est pas abondamment diffusée dans les médias. Bravo à Radio CIFA pour des années de programmes en parler local (Clare et Argyle). Cet apport est majeur.
Comment alors conserver et enrichir son acadien, puisqu’il est essentiellement parlé? Il existe des textes de Félix Thibodeau, de Marie-Colombe Robichaud, de Rachelle Watts (Thalie ou la beauté d’une femme. 20 histoires avec mes notes linguistiques). Merci à mes personnes-ressources : Gisèle Thibault, Denis Comeau et François Thibault. Et je lève mon chapeau à Germaine Comeau pour avoir colligé les écrits de Félix Thibodeau, qui nous font rêver de ce français d’empremier.
Normand Godin