«Cette anthologie rend l’histoire des francophones en situation minoritaire plus réelle et palpable. Elle permet véritablement de lire des morceaux d’histoire», affirme l’historien Joel Belliveau, cofondateur de l’anthologie virtuelle Parolefranco.ca.
«Le public redécouvre avec les mots de l’époque les luttes des francophones pour avoir des services en français, des écoles, des universités, mais aussi des quotidiens de langue française», poursuit Marcel Martel, l’autre historien derrière le projet.
Le site web regroupe cinquante documents de la création de la Confédération, le 1er juillet 1867, à aujourd’hui. Des écrits qui témoignent des prises de parole par et pour les francophones en situation minoritaire. Il s’agit aussi d’un outil pédagogique pour les enseignants. Un lancement virtuel est prévu le 27 mars prochain.
Chaque document original, numérisé dans son intégralité et mis en ligne, est accompagné d’un court texte de mise en contexte et de nombreuses références bibliographiques. Le tout est systématiquement traduit en anglais.
«C’est une excellente initiative, les connaissances mises en avant sont de premier ordre, très bien choisies et parlent à des personnes non initiées», salue André Magord, professeur à l’Université de Poitiers, en France, et titulaire d’une chaire Mobilité francophone de l’Université d’Ottawa.
«C’est une ressource très précieuse pour ceux qui étudient l’histoire canadienne depuis l’étranger», ajoute-t-il.
Un outil pour les plus jeunes
Le site internet Parolefranco.ca n’est pas seulement pour les universitaires. C’est aussi une ressource pédagogique pour les enseignants.
Les historiens Joel Belliveau et Marcel Martel veulent contacter les ministères de l’Éducation des provinces afin de jeter des ponts entre l’anthologie et les curriculums du secondaire tout en créant du matériel pédagogique pour les élèves.
«On pourrait même imaginer un second développement pour les plus jeunes, avec un côté encore plus coté ludique et davantage d’images», avance l’historien français André Magord.
«Portes d’accès immédiates sur l’histoire»
Face à la concurrence d’internet et des réseaux sociaux dans la transmission des connaissances, André Magord considère Parolefranco comme un «outil intéressant, capable de retenir l’attention des jeunes et de leur offrir des portes d’accès immédiates sur l’histoire».
L’idée de l’anthologie trottait dans la tête de Marcel Martel depuis au moins quatre ans. Le professeur d’histoire à l’Université de York, en Ontario, regrettait l’absence d’un recueil pancanadien, auquel «tous les Canadiens pourraient s’identifier».
«Il y en avait quelques-uns sur les Acadiens et les Franco-Ontariens, mais ils dataient des années 1980-1990 et n’avaient jamais été mis à jour», détaille-t-il.
C’est un coup de fil de la journaliste indépendante Andréanne Joly, en 2022, qui a donné vie au projet.
Elle rédigeait alors un cahier traitant du rôle des médias dans les crises scolaires franco-canadiennes et était tombée sur un discours de Marcel Martel, dans lequel il formulait le vœu d’une anthologie pancanadienne. Elle avait alors cherché à savoir si ce projet s’était concrétisé. Malheureusement non, lui avait-on répondu.
Mais il n’en fallait pas plus à Marcel Martel pour dégoter un financement du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes et se lancer dans l’aventure avec Joel Belliveau.
Les deux historiens ont écumé les centres de recherche et les dépôts d’archives partout au pays en quête de manifestes, de lettres, de discours, de mémoires, de chansons, etc. Ils sont allés à Moncton, à Ottawa et à Winnipeg, entre autres, et ont fini par identifier près de 80 documents.
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Chasse au trésor
«Ce n’était pas évident, on a passé des heures à fouiller dans des salles d’archives, on est allé à la pêche à l’information», observe Joel Belliveau.
Les spécialistes ont mis sur pied un comité scientifique pour les aider à sélectionner les textes les plus pertinents et emblématiques. Ils ont aussi lancé un appel à contribution à la communauté universitaire.
Rapidement, plusieurs critères se sont dégagés. Les documents devaient être inédits, écrits par des francophones et refléter la diversité régionale des francophonies canadiennes. Ils devaient en outre mettre en lumière la situation et les priorités des communautés, les tensions internes autant que les moments d’unité.
Pour le moment, près de la moitié de la sélection concerne l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. L’anthologie compte ainsi plusieurs manifestes, «des écrits qui veulent secouer les gens et leur disent “réveillez-vous”», décrit Marcel Martel.
Il cite notamment Molière go home!, rédigé en 1970 par des étudiants de l’Université Laurentienne. Ces étudiants en littérature française dénoncent l’absence d’auteurs franco-canadiens dans les programmes d’études et les références étrangères, surtout françaises, perçues comme aliénantes, qui dominent.
Joel Belliveau évoque, lui, le plus vieux document du site : une lettre du 14 aout 1867 que l’abbé Georges Antoine Belcourt, fondateur de la Banque des Fermiers à l’Île-du-Prince-Édouard, adresse à un gentilhomme français. Cette lettre témoigne des débuts de la renaissance acadienne.
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Encore des «trous»
Deux autres mémoires féministes adressées à la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada en 1968 retiennent l’attention des historiens. Le premier est celui de la Fédération des femmes canadiennes-françaises.
Le second est celui d’un groupe de femmes de Moncton. Son contenu est influencé par les 241 réponses à un questionnaire publié dans L’Évangéline, le quotidien de langue française des Maritimes.
À travail égal, salaire égal, des garderies payées par l’État, des congés de maternité, leurs revendications sont encore d’actualité.
«Malheureusement, il y a des trous. Nous aurions aimé avoir plus de documents sur les femmes, le monde ouvrier, les minorités racialisées, la communauté 2ELGBTQIA+», reconnait Marcel Martel.
Mais le recueil n’en est qu’à ses débuts. L’objectif des fondateurs est d’ajouter régulièrement de nouveaux documents : cinq à six par an idéalement. D’ici quelques semaines, deux textes supplémentaires devraient venir enrichir la collection.
«Nous lançons un appel au public, si vous notez des manques, n’hésitez pas à nous en faire part», insiste Marcel Martel.
En France, André Magord a déjà quelques idées. Il pense à des manuscrits sur les Congrès mondiaux acadiens, les relations entre l’Acadie et la France du temps du président français Charles de Gaulle.
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