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le Mercredi 13 Décembre 2023 9:00 Actualités nationales

Loi sur la radiodiffusion : la francophonie minoritaire inquiète

Sans obligations gouvernementales claires à leur égard, les radiodiffuseurs francophones peinent à assurer leur part du gâteau. 
 — PHOTO : Magda Ehlers – Pexels
Sans obligations gouvernementales claires à leur égard, les radiodiffuseurs francophones peinent à assurer leur part du gâteau.
PHOTO : Magda Ehlers – Pexels
FRANCOPRESSE – Les grands joueurs lui faisant de l’ombre, le secteur de la radiodiffusion francophone en situation minoritaire s’inquiète de sa capacité à subsister. Les radiodiffuseurs francophones craignent ne pas avoir leur juste part du gâteau depuis l’annonce d’un décret d’instruction au CRTC.
Loi sur la radiodiffusion : la francophonie minoritaire inquiète
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Ce décret d’instruction dicte le processus décisionnel du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans la règlementation de la Loi sur la diffusion continue en ligne (C-11), notamment en matière de renouvèlement de licences radiophoniques.

Or, selon Marie-Christine Morin, directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), le décret « n’est pas aussi précis qu’on aurait souhaité » en ce qui concerne les obligations envers les francophones hors Québec.

Loi sur la diffusion continue en ligne

La Loi sur la diffusion continue en ligne modifie la Loi sur la radiodiffusion et a reçu la sanction royale le 27 avril 2023.

CRTC

Le CRTC est un organisme public indépendant du gouvernement qui règlemente et supervise la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes.

Marie-Christine Morin est déçue de voir que les recommandations de la FCCF ne sont pas reflétées dans le projet de décret. 

PHOTO : Courtoisie

Obligations du CRTC : entre déception et inquiétudes

La FCCF, qui a participé aux consultations publiques menant à la rédaction du décret et qui a publié un mémoire à ce sujet, souhaitait notamment que la Loi sur les langues officielles (LLO) soit mentionnée dans le préambule.

Mais les recommandations n’ont, en grande partie, pas été retenues, note la directrice.

« On veut s’assurer que devant cet océan de création anglophone, les créateurs, producteurs, réalisateurs et artisans francophones vont trouver une place dans ce système de radiodiffusion canadien », explique Marie-Christine Morin.

Elle ne s’attend pas à ce que la considération pour les francophones hors Québec vienne de la part des géants de la radiodiffusion : « [Ils] n’ont pas de préoccupations dans leur modèle d’affaires par rapport à des communautés linguistiques en situation minoritaire ni par rapport à la dualité linguistique. »

Marie-Christine Morin comptait plutôt sur le gouvernement pour assurer la place de la radiodiffusion francophone, mais le contenu du décret l’a déçue.

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Un décret qui reflète mal les lois, selon la FCFA

Pour Serge Quinty, directeur des communications de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), le décret final n’est pas entièrement fidèle aux obligations du CRTC nommées dans la LLO et dans la Loi sur la radiodiffusion.

« On ne va pas autant en profondeur dans les grands principes, les grandes intentions législatives de ces deux lois-là », déplore-t-il.

« La Loi sur les langues officielles dit […] que les communautés francophones en situation minoritaire doivent être examinées dans leur spécificité. C’est ça qui n’est pas reflété dans le décret. »

Dans la Loi sur la radiodiffusion, les engagements sont nommés pour chaque public, dont les francophones en situation minoritaire. Un travail qui n’a pas été fait aussi méticuleusement dans le décret, selon lui.

Vient ensuite la question de mobiliser les francophones pour la mise en œuvre de la loi. Dans le décret, dit-il, « on reste quand même assez laconique sur comment on va les mobiliser, alors qu’encore une fois, dans la Loi sur la radiodiffusion, il y a tout un laïus qui a été mis là-dedans […] ce à quoi doivent ressembler les consultations ».

Clotilde Heibing connait l’impact que peut avoir un manque de consultation. 

PHOTO : Rachelle Richard-Léger

C’est la loi « qui gagne »

Darius Bossé, avocat en droit public chez Power Law, rappelle qu’en modifiant la Loi sur la radiodiffusion, le gouvernement prévoit un régime de consultations spécifique au CRTC.

« Lorsque [les activités du CRTC] ont le potentiel d’avoir un impact négatif sur les communautés de langues officielles en situation minoritaire […] ça déclenche l’obligation de consultation », dit-il.

L’avocat rappelle que la nouvelle LLO comprend un régime applicable à toutes les institutions fédérales, dont le CRTC, qui explique « très concrètement ce que ça veut dire de consulter et ce que les institutions fédérales doivent faire quand elles consultent les organismes, les représentants des communautés linguistiques en situation minoritaire ».

« L’obligation énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion et dans la Loi sur les langues officielles est très détaillée. Ça veut dire aller chercher la rétroaction des parties prenantes, mais également considérer celle-ci, être prêt à changer d’idée, fournir de la rétroaction, etc. », explicite Darius Bossé.

L’avocat rappelle qu’au bout du compte, « la Loi sur les langues officielles, c’est une supraloi, c’est une loi quasi constitutionnelle. Ça veut dire que lorsqu’il y a un conflit entre cette loi-là et une autre loi normale, c’est la Loi sur les langues officielles qui gagne, qui triomphe ».

Le décret oblige le CRTC à « veiller à ce que les exigences concernant les dépenses soutiennent la création et la disponibilité de programmation en français, en tenant compte du contexte minoritaire du français au Canada et en Amérique du Nord et des défis particuliers de la création et la mise à disposition d’une programmation de langue originale française ».

« Il était temps », déclare François Carrier, président de l’Association des radios communautaires du Québec (ARCQ), dans un courriel.

« Les différences existent entre la francophonie canadienne et le Québec, sans aucun doute, dit-il. C’est pour cette raison que les programmes doivent toujours prendre en considération les deux réalités de façon séparée. »

Selon lui, le décret vient dire « que ce sont les besoins dans la francophonie en Amérique du Nord qui sont nombreux ».

Pour Serge Quinty, le décret d’instructions au CRTC reflète faiblement certaines dimensions de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la radiodiffusion. 

PHOTO : Courtoisie FCFA

L’importance de consulter

Clotilde Heibing, directrice générale de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), connait bien les dégâts que peut engendrer un manque de consultation. Son organisme s’est rendu en Cour fédérale après qu’un renouvèlement de licence encadré par le CRTC a engendré des pertes économiques dans l’industrie musicale francophone.

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« Au-delà même d’être nommé, poursuit-elle, il nous faut nous voir au travers du CRTC. Je l’ai exprimé la dernière fois qu’on s’est rencontré avec le CRTC, la capacité à aborder les sujets dans un vocabulaire qui nous soit accessible. »

Le langage juridique n’étant pas accessible à tous, Clotilde Heibing croit qu’il serait utile que les organismes francophones soient mis au courant des sujets qui pourraient potentiellement avoir un impact sur la francophonie canadienne.

« Le diable est dans les détails »

« On sait que le diable est dans les détails, avertit Marie Christine Morin. Une des choses qu’on trouve qui manque dans ce cadre règlementaire […], c’est que le français doit avoir une priorité. »

Selon elle, ce manque de précision dans le décret au CRTC oblige la FCCF à surveiller toutes les décisions, comme les renouvèlements de licences de radiodiffuseurs, et de rappeler au CRTC la priorité qu’il doit accorder « à la production, à la création en français, puis à l’accès au contenu francophone ».

Elle ajoute qu’être aux aguets de chaque décision du CRTC n’est pas chose facile : « On n’est pas des grandes institutions avec plein de moyens. »

« Personne n’a les ressources financières, les ressources humaines, le temps, l’énergie, l’envie d’aller au-delà des recommandations écrites, confirme Clotilde Heibing. Donc on se base sur les obligations qui sont échangées et quand on n’est pas nommé, on peut craindre qu’on ne soit pas consulté et on revient à ces travers qu’on a connus sur les années précédentes. »

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