« Si une femme ne désire pas d’enfant, on lui répète qu’elle changera d’avis. Si c’est un homme, on estime que c’est un choix », s’exaspère Nadia*. La Franco-Ontarienne de 26 ans, qui souhaite taire son nom de famille pour des raisons de confidentialité médicale, parle d’expérience.
Elle explique qu’être enceinte lui donnerait « l’impression d’être privée de son corps » et elle a décidé de recourir à la stérilisation définitive. Autrement dit, elle souhaite se faire ligaturer les trompes de Fallope, une opération chirurgicale sous anesthésie générale.
Sa décision suscite au mieux « l’incrédulité » et « l’incompréhension », au pire « la réprobation » et « le mépris » de proches et même de parfaits inconnus.
Au Canada, le recours à cette méthode contraceptive est pourtant autorisé depuis 1969. Une pratique reconnue par la loi, mais pas encore par la société. Les Canadiennes de moins de 30 ans qui ne veulent pas d’enfant sont particulièrement stigmatisées.
Se libérer des hormones
Pour Marie-Alexia Masella, doctorante en bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la stérilisation volontaire reste taboue, car « elle touche à l’identité féminine ».
« Les regards changent, mais le grand objectif que la société donne aux femmes reste la maternité. Leur rôle est de mettre au monde et d’élever des enfants », analyse la chercheuse.
Ces femmes, qui veulent se réapproprier leur corps et se libérer d’une injonction à la maternité, sont victimes de préjugés, souvent accusées d’être irresponsables et égoïstes.
En Ontario, Nadia ne manque pas d’arguments pour justifier son choix. Elle tolère mal la pilule contraceptive et le stérilet lui procure « des règles trop abondantes et douloureuses ».
« J’utilise des moyens de contraception depuis l’adolescence. Ça me perturbe de ne même pas savoir à quoi ressemble mon caractère sans hormone », partage la jeune femme.
Surtout, elle sent au fond d’elle-même que la maternité n’est pas pour elle. « Je n’ai jamais eu ce désir, pas besoin d’aller chercher telle ou telle cause. Je ne suis pas malheureuse et je n’ai pas peur de vieillir seule », lance-t-elle.
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Non merci, pas d’enfant
Le profil de Nadia reste rare, mais la parole se libère. « Nous voyons plus de femmes dans la vingtaine qui veulent mettre un terme à leur fertilité, confirme la Dre Diane Francœur, directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). Elles ont moins peur qu’avant d’afficher leurs droits et revendiquent haut et fort leur choix. »
Les motivations sont diverses, selon une étude coécrite par Marie-Alexia Masella, doctorante à l’Université de Montréal. Certaines préfèrent se concentrer sur leur carrière et leur relation avec leur partenaire.
D’autres voient un enfant comme un poids qui coute cher. Elles refusent de se voir imposer l’éducation et la gestion du quotidien.
Elles sont par ailleurs de plus en plus nombreuses à s’inquiéter de la dégradation de l’environnement, qu’elles associent à la surpopulation.
« Impuissante » et « infantilisée »
La demande de Nadia s’est heurtée aux refus de plusieurs praticiens. Elle doit continuellement s’expliquer, affronter les propos « désobligeants » du corps médical lorsqu’elle évoque la stérilisation définitive.
La dernière gynécologue qu’elle a rencontrée s’est montrée plus ouverte. La docteure souhaite néanmoins attendre les 30 ans de la jeune femme pour en rediscuter. Nadia confie se sentir « impuissante » et « infantilisée » : « Je pense me connaitre assez pour me dire que si j’ai un regret dans le futur, je le surmonterai. »
En 2015, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) a reconnu qu’il n’y avait pas de raisons valables de refuser la stérilisation si la patiente donne un consentement libre et éclairé et que toutes les autres méthodes de contraception lui ont été proposées.
« Ça reste un parcours du combattant, parfois de plusieurs années, pour les personnes jeunes et sans enfant. La stérilisation peut entrer en confrontation avec les convictions personnelles et religieuses des soignants », relève Marie-Alexia Masella.
« Une femme de plus de 30 ans qui a déjà des enfants aura plus facilement accès à cette technique », poursuit-elle.
La chercheuse explique que les femmes perçoivent les refus « comme des atteintes à leur autonomie qui les placent dans une position d’objet ». Elle ajoute que les mots employés par les soignants peuvent s’apparenter à «une forme de violence gynécologique ».
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Stérilisations forcées
La stérilisation souffre d’une histoire ambivalente. Alors que certaines femmes ne parviennent pas à y avoir accès, d’autres y sont encouragées ou forcées.
Au Canada, de nombreuses Autochtones ont été stérilisées et le sont encore contre leur gré. En Inde, les autorités incitent encore aujourd’hui à la stérilisation pour contrôler la démographie.
La Chine mènerait également dans la région du Xinjiang à majorité musulmane une politique de stérilisations forcées visant notamment la communauté ouïgoure.
Éviter les coups de tête
Le risque de remords effraie les professionnels de la santé. « On respecte les femmes et leur décision, on est là pour les aider et non les juger, défend la Dre Diane Francœur, directrice générale de la SOGC. Mais on a tous eu dans notre bureau une patiente en larmes qui regrette sa décision. »
L’obstétricienne-gynécologue rappelle que l’âge moyen de la femme lors de la naissance du premier enfant au Canada est de 31 ans. « Quand une femme dans la vingtaine demande une ligature des trompes, on veut s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un coup de tête, mais d’une décision murement réfléchie, prise en toute indépendance », souligne-t-elle.
En pratique, un médecin dira toujours non lors du premier rendez-vous et laissera à sa patiente un délai de réflexion de plusieurs mois, explique ainsi la spécialiste. À ce titre, l’accompagnement par un tiers neutre, comme un travailleur social ou un psychologue, peut s’avérer utile.
« C’est essentiel d’avoir des discussions franches, de rappeler les risques d’une opération irréversible, insiste la Dre Francœur. Les femmes ont trop tendance à penser que la fécondation in vitro ou la procréation médicalement assistée les sauveront si elles changent d’avis. »
À l’issue du délai de réflexion, si la patiente est sure de son choix, il ne lui reste plus qu’à mettre son consentement par écrit.
« Un médecin qui refuse alors de procéder à l’opération, quelle qu’en soit la raison, a l’obligation de recommander sa patiente à un confrère », rappelle la Dre Francœur.
Pour mettre fin aux stéréotypes qui collent à la peau de la stérilisation, Marie-Alexia Masella plaide de son côté en faveur d’une formation accrue et d’une sensibilisation élargie du personnel de la santé.
* Le nom de famille de l’intervenante n’est pas dévoilé pour des raisons de confidentialité médicale.