Dans un rapport provisoire publié en juillet, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones recommandait aux organismes gouvernementaux et entités qui ne l’auraient pas encore fait de transférer rapidement les documents liés aux pensionnats pour Autochtones au Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR).
Comme prévu dans le rapport, le Comité a tenu des audiences au début de l’automne pour demander des comptes aux entités qui n’avaient toujours pas remis les pièces demandées.
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Les sénateurs impatients
Le président du Comité, le sénateur Brian Francis, membre de la Première Nation de Lennox Island, située dans l’Île-du-Prince-Édouard, est lui-même un ancien élève de « l’externat indien » de Lennox.
« Les Autochtones font face à de nombreux obstacles pour accéder aux dossiers liés aux écoles résidentielles et les institutions qui y sont associées, explique-t-il en entrevue avec Francopresse. Ça comprend les statistiques de base, les coroners, les rapports médicaux. […] Plusieurs de ces dossiers ont été détruits par les gouvernements et l’Église. »
Pour lui, ces documents sont essentiels dans le chemin de vérité et de réconciliation. « Sans la vérité, il n’y a pas de justice et il ne peut y avoir de réconciliation », a-t-il déclaré.
« Tous les Canadiens devraient se demander, comme le Sénat est en train de le faire aujourd’hui, pour quelle raison des organisations auxquelles la vie des enfants autochtones a été confiée refusent maintenant de faire le nécessaire », a de son côté lancé le vice-président du Comité, David M. Arnot, lors de la séance du 19 septembre.
« Les gens ne vivent qu’un certain temps, a renchéri le sénateur Scott Tannas, également membre du Comité. Il y a beaucoup de gens qui cherchent des réponses. »
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Délai de traitement des documents
Selon la sous-ministre à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Jasmine Bouchard, les délais que présente l’organisme sont principalement liés aux grands nombres de parties prenantes qui sont assises autour de la table.
L’institution gouvernementale possède jusqu’à présent 6 millions de pages de documents liés aux externats pour Autochtones.
« Évidemment, notre intention, c’est de transférer partager les copies le plus possible avec le CNVR… Il y a beaucoup de gens autour de la table [les autres départements fédéraux, le centre, les survivants, etc.]. Il y a beaucoup de gens qui doivent s’entendre à ce qui doit être fait, comment ça doit être fait. »
Bibliothèque et Archives Canada a reçu 25 millions de dollars pour traiter ces documents. Jasmine Bouchard estime que c’est un processus qui peut prendre deux ans.
Avec une soixantaine d’employés sur ce dossier, il y a plusieurs étapes à suivre, précise Jasmine Bouchard. Par exemple : le repérage, la fouille, la numérisation, le traitement des métadonnées et la révision pour tenir compte de la vie privée.
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Les lois sur la protection de la vie privée
« Il y a beaucoup d’informations sur les élèves qui ont été dans ces établissements-là qui ne peuvent pas être partagés facilement par ce que ça va à l’encontre des lois sur l’accès à la vie privée, souligne Jasmine Bouchard. Ça, c’est la partie de notre travail qui demande plus de temps souvent. »
Au Canada, deux lois ont pour but de protéger la vie privée : la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui s’applique au secteur public, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui concerne au secteur privé, peut-on lire sur le site de la Bibliothèque du Parlement.
Le directeur général de l’entreprise Know History, Ryan Shackleton, et le chercheur Edward G. Sadowski ont aussi déclaré être dans la même situation.
Ryan Schackleton a soutenu qu’il détient des accès à tous les dossiers des ministères. Toutefois, les documents sont largement caviardés. « Ce sont des documents qui peuvent nous aider à retracer des lieux de sépulture, mais ils sont en grande partie inaccessibles », a-t-il déclaré devant les membres du Comité.
Selon lui, pour accéder aux informations complètes, il faudrait faire signer par chaque personne un document qui permettrait de retracer et de communiquer les informations en question. « Mais nous ne pouvons même pas voir les informations qui nous indiqueraient quelles sont les personnes qui devraient signer les documents », assure le directeur général.
Pour sa part, Edward G. Sadowski va plus loin. « Les droits de propriété intellectuelle autochtones n’ont été cédés au titre d’aucun traité », a-t-il lancé.
« Ces documents appartiennent aux Autochtones. Nous travaillons dans le cadre de structures coloniales qui empêchent les peuples autochtones d’accéder à leurs propres documents », a-t-il dit, désolé de ne pas avoir de solutions.
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Le manque de financement : un obstacle, mais pas le moindre
La recherche de financement reste en outre un enjeu important pour plusieurs des entités convoquées, comme le Musée royal de la Colombie-Britannique et la Société historique de Saint-Boniface.
Selon Jodi Giesbrecht, vice-présidente Archives, Collections et Recherche au Musée royal de la Colombie-Britannique, la recherche des archives reçoit un financement provincial. Néanmoins, celui-ci reste insuffisant.
« Nous sommes à la recherche d’autres possibilités de financement pour accélérer le processus de numérisation et de transfert », a-t-elle fait savoir lors de la séance du 20 septembre.
« Notre financement opérationnel issu des gouvernements provincial et fédéral n’a pas augmenté depuis près de 25 ans », a indiqué Janet La France, directrice générale de la Société historique de Saint-Boniface.
« Sans un financement accru et des ressources humaines pour entreprendre cette tâche à temps plein, ce processus pourrait prendre des décennies », a-t-elle lancé, ajoutant que ce manque de financement retarde « la justice pour ces communautés ».
Brian Francis se veut compréhensif de cette situation. Cependant, il presse les gouvernements et l’Église catholique d’allouer le soutien financier nécessaire afin d’expédier tous les documents.
Le Comité prévoit de produire un prochain rapport à ce sujet au début de l’année 2024.