Bobby Therrien – IJL – Réseau.Presse – Acadie Nouvelle – Atl
Récemment, le maire de la Ville de Haut-Madawaska a exprimé son souhait de mettre en place certains incitatifs pour attirer des professionnels à son centre de santé communautaire.
Il a notamment fait allusion à la possibilité d’offrir un loyer gratuit pour une période de deux à trois ans, un terrain gratuit si le professionnel décide de se construire une maison ou une exemption des taxes d’eau et d’égouts pour une certaine période.
Claire Johnson, professeure en gestion des services de santé à l’Université de Moncton, croit que les incitatifs de nature financière sont loin d’être ceux qui sont les plus efficaces dans le recrutement et la rétention de nouveaux médecins ou de nouvelles infirmières.
Une étude menée par Mme Johnson suggère que la proximité de la famille et des amis, une plus grande autonomie professionnelle, ainsi que l’équilibre entre le travail et la famille sont des facteurs qui influencent davantage le choix d’un emploi et le maintien de cet emploi.
Sur une dizaine de facteurs explorés – autant pour le recrutement que la rétention – la rémunération n’a même pas été en mesure de se frayer un chemin dans le top 5 des éléments déterminants chez les 119 professionnels de la santé interrogés.
«C’est complexe comme situation, car l’argent est important, mais ce n’est jamais ça qui est déterminant. Les incitatifs financiers vont souvent pousser la personne dans la direction qu’ils avaient choisie de toute façon. Dans beaucoup de cas, les gens vont nous dire qu’ils voulaient revenir par chez eux et l’incitatif devient un boni», mentionne la professeure.
Modestes et de courte durée
Dans un article scientifique publié en 2017 par Ruth Lavergne, maintenant professeure au secteur de médecine familiale de l’Université Dalhousie, il est indiqué que les effets des incitations financières visant à améliorer la prestation des soins de santé sont mitigés. Selon elle, ils tendent à être modestes et de courte durée.
Selon Claire Johnson, bien que les gens aiment évidemment être mieux payés, ça ne change pas leur comportement de façon significative.
«Je peux donner l’exemple d’une personne à qui j’ai parlé dernièrement qui a reçu un incitatif financier important pour aller travailler à Ottawa. C’est une infirmière qui aimait beaucoup travailler en pédiatrie. En parlant avec elle, on s’est rendu compte qu’elle a accepté d’aller travailler à Ottawa, car c’est un hôpital pédiatrique (…) Le facteur de la langue a aussi penché dans la balance, car on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas choisi le centre IWK à Halifax qui est aussi un hôpital pédiatrique. Elle a répondu qu’elle aimait mieux travailler dans un environnement plus francophone» illustre-t-elle.
D’après Mme Johnson, le côté financier prend plus d’importance lorsque l’on évalue le salaire en fonction de la charge de travail.
«Selon les entretiens que j’ai faits avec des infirmières, la charge de travail qui est trop grande pour la rémunération. Le problème, c’est la charge de travail et non pas la rémunération, car les gens sont généralement heureux avec leur salaire. Certains prendraient même une baisse de salaire pour avoir une charge de travail plus raisonnable.»
Liens avec la communauté
Chez les médecins, un facteur important soulevé par l’étude de Claire Johnson est le développement des liens avec la communauté.
«On le voit chez les jeunes médecins, s’ils ont un partenaire qui est bien dans la communauté, c’est important. S’ils ont de la famille aux alentours, c’est encore plus important. Les médecins ont aussi besoin d’équipes de soutien qui vont leur permettre de faire un travail intéressant.»
Pour rendre à César ce qui est à César, la Municipalité de Haut-Madawaska et le comité consultatif du centre de santé communautaire ont aussi tenté de développer d’autres formes d’incitatifs. Il y a quelques mois, lors du lancement d’une grande opération de séduction auprès des professionnels de la santé, on a mis de l’avant le rythme de vie en région, ses attraits, ses activités et ce qui est disponible au centre de santé.
On a aussi rencontré des étudiants en médecine afin de prendre leur pouls à ce sujet.
L’un des objectifs des intervenants associés au centre de santé est de bâtir une équipe multidisciplinaire afin de notamment éliminer la charge administrative imposée aux médecins qui travaillent à la clinique afin qu’ils puissent se concentrer uniquement sur leurs fonctions médicales.
Cependant, les intérêts peuvent varier d’un médecin à l’autre, estime Mme Johnson. Par conséquent, un médecin spécialiste voudra être dans un centre spécialisé en milieu urbain. Le contraire est toutefois vrai pour les médecins de famille généralistes qui préfèrent un environnement plus rural leur permettant de pratiquer différents types de médecine.
Spécialisation des médecins
Comme le diable est dans les détails, la professeure en gestion des soins de santé croit toutefois que le domaine de la médecine met beaucoup d’accent sur la spécialisation de ses médecins.
«Il y a beaucoup de crédits qui viennent avec une spécialité et c’est aussi un contexte où le salaire va faire une différence. Il y a un trop grand écart entre le salaire d’un médecin spécialiste et d’un médecin de famille. On pourrait régler le problème avec de la rémunération plus que des incitatifs financiers.»
Dans cette optique, les régions rurales sont délaissées au profit des milieux urbains qui abritent les centres d’excellence dans lesquels se dirigent les médecins spécialistes.
«Les facultés de médecine devraient essayer de développer un certain prestige autour des médecins de famille en zone rurale.»
Quoi qu’il en soit, Mme Johnson croit que le concept d’incitatif financier est trop simpliste même s’il demeure néanmoins populaire.
«On le fait parce que c’est tangible, même si on sait que ça n’aide pas nécessairement. C’est plus facile de promettre de l’argent que de faire des changements en lien avec la charge de travail, le contrôle sur la pratique ou sur les horaires. C’est plus difficile à faire.»
Pour Claire Johnson, il est toujours possible d’attirer des professionnels de la santé en milieux ruraux, mais il leur faut une communauté prête à les soutenir, les apprécier et les intégrer.
«Au lieu d’avoir besoin du médecin pour des raisons purement médicales, on doit avoir une composante communautaire comme, par exemple: “nos enfants jouent au soccer ensemble” ou “on aime que ta conjointe ou ton conjoint contribue à la communauté”.»
«Il faut que les membres de la communauté aient des attentes réalistes et qu’ils respectent l’équilibre vie-travail de ces personnes.»