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le Lundi 19 juin 2023 13:00 Actualités nationales

Enseignement de l’identité de genre dans les écoles : comment s’y prendre ?

  PHOTO - James A. Molnar (Unsplash)
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ENTRETIEN – Comment parler d’identité de genre et d’orientation sexuelle aux jeunes ? Quels sujets aborder et à quel âge ? Autant de questions qui font polémique dans les écoles canadiennes. Deux experts apportent des éléments de réponse.
Enseignement de l’identité de genre dans les écoles : comment s’y prendre ?
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Doug P. VanderLaan est professeur au Département de psychologie au campus de Mississauga de l’Université de Toronto. Ses recherches se concentrent sur l’expression du genre tout au long de la vie et sur le développement de l’orientation sexuelle. Julie Descheneaux, est doctorante en sexologie et chargée de cours au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. Francopresse a discuté avec chacun d’eux pour faire la lumière sur les façons d’enseigner l’identité de genre aux enfants. 

Francopresse : Êtes-vous favorable à l’enseignement de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle dans les écoles ? 

Julie Descheneaux : Il existe un consensus scientifique sur les bienfaits de parler d’identité de genre et d’orientation sexuelle en milieu scolaire. Les chercheurs constatent des bénéfices pour les élèves en questionnement de genre, mais aussi pour tous les autres. 

Aborder ces questions à l’école favorise un climat de respect. Cela permet de lutter contre la marginalisation des jeunes en questionnement qui sont souvent plus vulnérables. Et cela permet de faire de leurs camarades de classe des allié·e·s.  

Les lignes directrices internationales sur l’éducation à la sexualité, les principes directeurs de l’UNESCO notamment, recommandent également une grande ouverture. Les enseignants se doivent de répondre à la curiosité des élèves qui s’interrogent sur leur sexualité et leur genre.

Doug P. VanderLaan : Ce sont des sujets importants qui ont leur place dans un programme d’éducation sexuelle complet.

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Julie Descheneaux est chargée de cours au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal.

PHOTO - Courtoisie

L’identité de genre et l’orientation sexuelle sont des sujets sensibles qui touchent à l’intimité. Comment les aborder de manière appropriée avec les élèves ? 

Doug P. VanderLaan : La clé consiste à adapter les sujets au développement psychosexuel des enfants, à ce qu’ils sont capables de comprendre à un âge donné. Pour aborder le sujet de l’orientation sexuelle, je ne parlerais pas d’attirance ou de relations avant un âge avancé. 

Par contre, à mesure que la place de la diversité sexuelle s’élargit et devient plus visible dans la société, il est pertinent de parler de diversité familiale aux plus jeunes. Il s’agit d’évoquer toutes les configurations parentales qui existent de nos jours, comme les parents de même sexe.

Du côté des enfants plus âgés, il faut les encourager à avoir des attitudes inclusives. Les enseignants peuvent aider leurs élèves à déceler des cas de discrimination et les outiller pour savoir comment y réagir.

Julie Descheneaux : Le corps enseignant doit reprendre la terminologie des enfants. Autrement dit, expliquer les concepts avec leurs mots, en s’adaptant à chaque âge.

On peut lire des contes aux plus jeunes, utiliser des métaphores. À partir de la quatrième année, on peut évoquer les stéréotypes de genre et les rôles sexuels. On a la chance d’avoir de plus en plus de livres et d’outils pédagogiques de qualité.

Je distinguerais par ailleurs l’éducation formelle de celle dite informelle. Cette dernière est essentielle, car les élèves n’attendent pas une leçon précise pour poser une question. Leurs interrogations peuvent surgir n’importe quand, n’importe où dans l’école. C’est important de toujours laisser la porte ouverte aux discussions, de donner beaucoup d’espace aux jeunes et à leurs préoccupations.

Doug P. VanderLaan est professeur associé au Département de psychologie de l’Université de Toronto à Mississauga et directeur du Laboratoire d’investigations biopsychosociales du genre.

PHOTO - Courtoisie Université de Toronto

Les craintes des parents se concentrent souvent sur l’enseignement délivré aux plus jeunes, de la maternelle à la quatrième année. Qu’en pensez-vous ? 

Doug P. VanderLaan : Selon la recherche, ce serait à 8 ans que les enfants transgenres ou ayant un genre différent courent le plus de risques d’avoir des relations médiocres avec leurs camarades et de développer des problèmes de santé mentale. 

Il semble donc primordial d’avoir des discussions sur le sujet dès la troisième année. Je pense néanmoins que les scientifiques restent divisés sur les sujets les plus appropriés à aborder durant les premières années d’école. La recherche n’est pas préparée pour répondre à toutes ces questions qui font l’objet de débats houleux. 

Julie Descheneaux : Selon moi, les craintes des parents ne sont pas fondées scientifiquement. Les enfants peuvent se questionner sur leur genre à partir de 4 ou 5 ans. C’est donc approprié de commencer à en parler à ces âges-là.

L’enseignement ne va pas remettre en cause l’identité des petits. Personne ne peut convaincre un jeune de ce qu’il n’est pas. Cela va juste consolider l’identité de genre de la très grande majorité de ceux qui ne sont pas en questionnement. 

Pour les autres, ça va les aider à développer une image positive d’eux. Car ce n’est pas facile d’affirmer un nouveau genre, contraire à toutes les attentes de l’environnement social et familial.

Comment expliquer que le sujet provoque une telle polémique ? 

Julie Descheneaux : L’identité de genre, l’orientation sexuelle font appel à des valeurs familiales et personnelles, ce qui peut susciter une certaine controverse chez les parents.

L’éducation à la sexualité a toujours été controversée depuis ses origines au début du XXe siècle. Mais, aujourd’hui, on est en plein bouleversement. 

La place de l’intimité et de la sexualité change, les rôles et les mœurs sexuels évoluent. La communauté 2SLGBTQIA+ acquiert de plus en plus de droits. Une partie de la population réagit vivement à ces avancées sociales. 

On se doit d’apporter des réponses scientifiques aux jeunes plutôt que des dogmes religieux ou sociaux. Ça implique aussi de mettre les parents dans le coup, d’avoir des programmes au sein des écoles pour les outiller.

Doug P. VanderLaan : Des fractures se créent parce que les gens sont influencés par leur propre éducation et les valeurs qui leur ont été inculquées. Ce qu’ils lisent dans les médias, ce qu’ils voient en ligne ou à la télévision entrent aussi en ligne de compte. 

En tant que chercheur, mon rôle est de trouver des moyens afin de garantir à tous les parents, peu importe leurs valeurs, que les écoles abordent les bons sujets au bon moment, avec les bonnes méthodes.

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À ce propos, la formation du corps enseignant est-elle à la hauteur ?

Julie Descheneaux : C’est le point qui achoppe. C’est excessivement important de mieux outiller les professeurs sur un sujet si sensible. Chaque province a un travail de fond à faire pour améliorer la formation, qu’elle soit initiale ou continue.

Doug P. VanderLaan : En toute honnêteté, je ne sais même pas à quoi ressemble leur formation à ce sujet. Je ne pense pas que la recherche soit suffisamment avancée pour alimenter les programmes de formation et fournir une instruction de qualité au corps enseignant. Des études sont en cours et on attend en quelque sorte que des lignes directrices exemplaires en ressortent. 

Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de clarté.