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le Mercredi 26 juin 2024 7:00 Rubrique - Au rythme de notre monde

Le CMA 2019 sous la loupe des sciences sociales

Le tintamarre du 15 août 2019, à Dieppe (Nouveau-Brunswick).  — PHOTO: Gouvernement du Nouveau-Brunswick
Le tintamarre du 15 août 2019, à Dieppe (Nouveau-Brunswick).
PHOTO: Gouvernement du Nouveau-Brunswick
Depuis ses débuts, le Congrès mondial acadien a intéressé le monde de la recherche. Des thèses de doctorat, des articles, des chapitres de livre… nombreuses sont les études qui ont pris le Congrès comme objet de recherche.
Le CMA 2019 sous la loupe des sciences sociales
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Dans cette lignée, et forte de la conviction que l’événement gagne à être envisagé sous de multiples facettes, une équipe multidisciplinaire a été mise sur pied afin d’éclairer divers enjeux socioculturels autour de l’édition de 2019. 

En collaboration avec notre partenaire communautaire, notre équipe de recherche a étudié pendant trois ans, de juillet 2019 à juillet 2022, l’impact du Congrès mondial acadien (CMA) 2019 sur le plan culturel et social. 

Un sociologue, deux sociolinguistes, un politologue, un historien, une spécialiste en administration publique et deux auxiliaires de recherche ont uni leurs efforts dans le cadre du projet Événement culturel et construction identitaire en contexte minoritaire, le cas du CMA 2019, mené en partenariat avec la Société nationale de l’Acadie et financé par le Conseil de recherche en sciences humaines.

L’aspect novateur de notre étude tenait au fait que si le comité organisateur du CMA (COCMA) faisait évaluer l’impact économique depuis l’édition de 2009, notamment pour justifier les sommes investies auprès des bailleurs de fonds, aucune recherche n’avait tenté d’en mesurer les impacts culturels et sociaux. 

Or, ce sont bien de tels impacts que visaient avant tout les personnes au fondement des CMA : donner aux Acadien(ne)s l’occasion de tisser des liens, de renforcer leur sentiment d’appartenance, de faire rayonner leur culture, de se rappeler leur histoire, de se projeter dans l’avenir, etc.

C’est dans ce contexte que notre équipe a cherché à saisir les effets de la tenue d’un CMA sur le plan culturel et social au sein de la communauté où elle prenait place, pour l’édition de 2019 : l’Île-du-Prince-Édouard et le sud-est du Nouveau-Brunswick, et auprès des visiteur(euse)s venu(e)s pour l’événement.

Couverture du rapport sur le CMA 2019.

Nous avons interrogé le rôle du CMA comme lieu de construction et de négociation de l’identité individuelle, auprès des personnes qui participent à différents volets de l’événement, et de l’identité collective, en nous intéressant aux discours qui ont circulé dans l’espace public autour de l’événement et aux impacts éventuels sur les politiques publiques des organismes impliqués.  

Pour cela, nous avons mené des observations participantes au sein d’une quinzaine d’activités différentes et diversifiées, du Sommet des femmes à Bloomfield (Île-du-Prince-Édouard) à l’espace Extrême frontière de Moncton, en passant par une réunion de famille à Memramcook ou des journées communautaires et commémoratives à Summerside, Miscouche ou encore à Cormier-Village lors d’une rencontre Mi’kmaq/Acadiens, pour finir avec un jumelage entre Broussard, en Louisiane, et Cap-Pelé, au Nouveau-Brunswick. 

Nous avons fait passer un sondage auprès de presque 200 visiteur(euse)s. Nous avons aussi analysé la couverture médiatique de l’événement dans les journaux, à la radio et à la télé. 

Nous avons effectué une collecte de données sur les médias sociaux du COCMA en nous penchant sur le choix des informations diffusées et les commentaires reçus par les publications. Encore, nous avons réalisé 30 entretiens longs auprès de 33 personnes : des participant(e)s, des membres du COCMA ou des organisateur(trice)s d’activités communautaires et des représentant(e)s des bailleurs de fonds. 

Ensuite, avec l’éclairage des documents recueillis, des entretiens menés et des observations faites sur place, nous avons tenté de saisir, de manière inductive, c’est-à-dire sans théories ou attentes préconçues, à la fois la vision et les objectifs des organisateur(trice)s, les attentes des organismes bailleurs de fonds de l’événement et surtout les perceptions de ses publics. 

Les résultats de nos analyses nous ont permis de faire ressortir quelques grandes composantes que nous avons présentées dans un rapport de recherche. Pour en donner une idée, voici quelques résultats de nos observations.

D’abord, il faut noter que le CMA possède assurément une grande capacité de mobilisation. Par exemple, ce sont quelque 800 bénévoles qui se sont impliqués dans l’organisation des différentes activités et plus de 15 000 personnes qui ont participé au tintamarre dans les rues de Dieppe, le 15 aout 2019. 

En ce qui concerne la construction identitaire, on prête au tintamarre un sens fort, en référence à la mémoire de la Déportation. D’un point de vue plus politique, il ressort aussi que dans le contexte minoritaire acadien, où le fait français est souvent marginalisé. 

Le tintamarre est appréhendé comme une manifestation hautement visible et audible de l’Acadie. Le tintamarre est l’occasion pour les participant(e)s de ressentir de la fierté quant à leur identité et de développer ainsi un rapport positif à celle-ci, selon les déclarations que nous avons recueillies.

En plus du tintamarre, considéré comme «le point culminant […] là où ont convergé des gens de partout au monde pour célébrer ensemble», les gens ont, en général, beaucoup apprécié les grands événements (spectacles d’ouverture, de clôture ou encore celui du 25e), qui servent d’occasions pour être ensemble. 

On a d’ailleurs noté une forte volonté du comité organisateur de donner à voir une Acadie contemporaine en présentant, à côté d’artistes de longue date, bien des représentant(e)s de la relève. Si la programmation des spectacles a parfois été interrogée par des répondant(e)s, beaucoup l’ont grandement appréciée.

Au-delà des activités festives et symboliques, des conférences et des tables rondes se sont tenues. L’histoire du choix de l’hymne acadien dans l’église de Miscouche en 1884, racontée par Georges Arsenault, a attiré une foule nombreuse, qui fut émue par la narration de l’historien local. Le Grand Parle-Ouère a aussi permis aux membres les plus politisés de la communauté de faire entendre leur voix. 

Participer au CMA ce n’est pas tout à fait comme participer à une activité festive sans enjeux politiques : 70 % de nos répondant(e)s ont affirmé que cela a été très important pour elles et eux de participer au CMA. Ils et elles disent y avoir participé pour diverses raisons, dont 82 % pour y exprimer leur fierté et leur appartenance acadienne. 

Une preuve s’il en est de l’importance communautaire et socioculturelle du CMA!

Forte de son expérience et de son goût pour l’activité, la même équipe de recherche, élargie en mettant cette fois de l’avant l’expertise de collègues de l’Université Sainte-Anne (USA) et de multiples partenaires communautaires, récidive pour l’édition de 2024, qui débutera sous peu. 

Outre Clint Bruce, déjà partie prenante de l’équipe de recherche sur le CMA 2019 et qui, cette fois-ci, assure le leadership du projet, notre dernière équipe s’est enrichie de plusieurs professeur(e)s de l’USA (en plus de l’Université de Moncton et de l’Université Carleton, aussi représentées), de plusieurs auxiliaires de recherche, de la chercheuse postdoctorante Sandrine Mounier dans le rôle de coordonnatrice ainsi que plusieurs partenaires communautaires. 

Il se peut donc que, lors de votre participation aux événements du Congrès, vous deveniez vous-même informateur(trice) pour cette nouvelle étude. Nous avons hâte de vous rencontrer et de vous entendre nous parler de votre expérience du CMA!

Cette chronique a été rédigée par Laurence Arrighi avec la collaboration d’Éric Forgues et de Christine Paulin pour l’ensemble de l’équipe de recherche CMA 2019.