
Un pommier Belliveau, devant la maison de Coline Campbell, aurait plus de 200 ans, on pense. Il s’agit de la maison ancestrale de Frederic “Tikine” Belliveau, le fils de Marie-Modeste et Frederic Belliveau. La maison est toujours occupé par un descendant de cette famille.
Jean-Philippe Giroux
IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse
L’objectif de la causerie est de représenter les connaissances agricoles, culinaires et culturelles des Acadiens, d’une façon différente, à travers le savoir pomologique.
La Société acadienne de Clare (SAC) a contribué financièrement au projet communautaire, pour l’encadrer. «Ça rentre certainement dans notre mandat, parce que ça touche le patrimoine culinaire», précise Natalie Robichaud, directrice générale de la SAC.
«L’expression d’un patrimoine n’a pas forcément besoin d’être folklorique, vieillie ou historique. Ce qui est hyper intéressant, pour moi, c’est comment est-ce qu’on [prend] un objet culturel et on l’apporte au 21e siècle», explique M. Thibault, qui s’intéresse beaucoup à l’expression contemporaine de l’acadiennité. «C’est ça qui est le plus important, pour moi.»
Le patrimoine culinaire est une source de fierté pour les Acadiens de la Baie, selon Mme Robichaud. «Le monde est intéressé dans le sujet, surtout les personnes ainées, naturellement. D’où l’importance de le faire, je crois, pour assurer cette transmission-là, de la génération plus ainée aux plus jeunes.»
Mais c’est surtout M. Thibault, bien connu pour son livre de recettes Pantry and Palate: Remembering and Rediscovering Acadian Food, qui met ce type de patrimoine sur le radar, pointe la directrice générale.
La causerie du 26 avril, qui inclut une présentation dans La Chapelle de l’Université Sainte-Anne (USA) et une activité de greffage aux côtés de Denise Flynn, propriétaire de la Cidrerie Corberrie, se tiendra à un temps idéal de l’année pour greffer (avril, début du mois de mai).
L’USA a donné à la SAC la permission d’utiliser le pommier sur le campus de Pointe-de-l’Église pour effectuer la démonstration. Une sélection limitée de scions de pommier Belliveau sera disponible gratuitement pour les participants qui souhaitent en greffer sur leur propriété.
Un matrimoine de la Baie
La conférence fait partie d’un projet communautaire consacré à la récupération du matrimoine pomologique acadien du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, en mettant l’accent sur la pomme Belliveau, une espèce pomologique fonctionnement en voie de disparition.
Le matrimoine culturel est l’héritage culturel légué par les générations de femmes précédentes. Il s’agit d’un terme datant du Moyen Âge, avec une histoire politique et féministe.
L’histoire du Grand Dérangement s’est répandue sur les branches du pommier de Marie-Modeste Leblanc, épouse de Frederic Belliveau, grâce au pommier qui se trouvait près de leur domicile, et qui est encore vivant à ce jour.
Il porte le nom de famille de Frederic, mais sa croissance est le fruit du travail de Marie-Modeste, «Mme Frederic Belliveau».
Dans The Fall of the Acadian Belliveau: Genetics, Genealogy, and Recovery of Pomological Matrimoine des Karen Pinchin et Simon Thibault, un article présenté lors d’un symposium à l’Université d’Oxford qui sera au cœur de la causerie du 26 avril, les auteurs racontent que, à l’époque, l’arbre produisant des fruits sucrés, croquants et striés de rouge et de vert avait piqué la curiosité d’autres familles de la région, qui voulaient se procurer des greffons pour faire pousser, à leur tour, cet arbre fruitier.
Ainsi est née une tradition de subsistance axée sur la contribution méconnue de nombreuses générations de femmes acadiennes, puisque le travail dans les vergers des Acadiens, avant la Déportation, était majoritairement réservé aux femmes.
De plus qu’une autre tradition liée à la sécurité alimentaire collective: se préoccuper des autres, en partageant les ressources communes, pour la survie de la communauté.
«La pomme, elle représente comment est-ce que les Acadiens partageaient l’information, partageaient les connaissances et les valeurs communes pour préserver leur culture et préserver leur patrimoine, soit de façon directe ou indirecte», précise Simon Thibault.

Une carte de Clare, avec le nom et les frontières des concessions accordées aux Acadiens.
À l’adaptation
Les années suivant la Déportation furent difficiles pour les Acadiens, notamment en ce qui concerne l’adaptation à leur nouvel environnement.
Installés à la Baie-Sainte-Marie, après un retour en Nouvelle-Écosse, or, loin de leur région d’origine de la vallée d’Annapolis, plusieurs Acadiens ont été accordés des concessions, longues et étroites, qui donnaient sur l’océan et s’étendaient jusqu’au bois.
Afin de diminuer la pression exercée sur les arbres, les Acadiens ont déboisé une partie de leurs terres et ont choisi de planter la majorité des arbres à l’intérieur des terres, à une certaine distance de leurs habitations.
Cette nouvelle réalité a eu une influence énorme sur la manière de planter les pommiers, qui continuaient d’être cultivés, mais en plus petit nombre, car les terres en leur nom étaient moins arables et protégées des vents froids de l’océan que celles de la vallée.
L’arrivée de l’industrialisation
Le processus de greffage est une technique de multiplication des arbres fruitiers, en vue d’obtenir des fruits avec les mêmes variétés et caractéristiques. La cicatrisation s’effectue en peu de temps après le greffage, pour former un nouveau tronc de pommier.
Les pommiers de fruits de semences peuvent se polliniser entre eux et cultiver de nouvelles pommes avec des caractéristiques aléatoires des deux types de pommier.
Or, la greffe accélère la mise à fruit du pommier, d’où la popularité de cette pratique chez les cultivateurs et dans le secteur agroalimentaire. En pleine terre, pour un meilleur système racinaire, et entouré de pailles, afin de créer une couverture isolante pour mieux se défendre contre les agressions extérieures.
Avec l’industrialisation de la pomiculture, la Nouvelle-Écosse est allée d’un marché d’exportation britannique et d’une panoplie de pommes comme produits saisonniers à un système agricole commercialisé, qui priorise quelques variétés, certaines disponibles à longueur d’année.
Et donc, avec le temps et la vieillesse des pommiers, cette culture a mené à la baisse du nombre de plusieurs espèces, dont les pommes acadiennes, et, éventuellement, à de moins en moins de gens pour s’occuper d’elles, hormis des loisirites et des amateurs de pommes.
«Avec cette perte de connaissances agricoles et culinaires, on perd une partie de notre culture. Et à moi, c’est intéressant comment est-ce qu’on peut le rapatrier et le réapprivoiser», conclut Simon Thibault.